Rencontre avec Alexis Langlois, le réalisateur du jouissif et anti-cistème “De La Terreur Mes Soeurs !”

Article publié le 10 octobre 2019

Texte : Maxime Retailleau
Photo : De La Terreur Mes Sœurs !
26/11/2019

Couronné du Grand Prix du Fifib, le revenge movie De La Terreur Mes Sœurs ! détourne le cinéma de genre pour déployer la révolte jubilatoire de quatre héroïnes anti-transphobes. Rencontre avec son réalisateur, Alexis Langlois, à l’occasion de sa sortie en salle au MK2 Beaubourg à Paris.

« Le monde irait tellement mieux si chacun pouvait faire ce qu’il veut de sa chatte » : plus qu’un statement politique, cette phrase lâchée lors d’une discussion dans De La Terreur Mes Sœurs ! constitue un appel à la révolte face à l’intolérance, qui embrasera l’imagination de ses quatre héroïnes trans. Au cours d’un récit à sketchs exubérant marqué par sa polyphonie, n’hésitant pas à emprunter au cinéma gore ou encore au mélodrame, les personnages campés par Raya Martigny, Dustin Muchuvitz (qui mixait il y a un mois lors de la Antidote Halloween Party) Nana Benamer et Naëlle Dariya s’évertuent ainsi à trouver le meilleur moyen de hacker le « cis-tème » – au sens propre comme au figuré -, incarné dans le court-métrage par Félix Maritaud et Justine Langlois, la sœur du réalisateur.

Les actrices sont chacune des collaboratrice régulières d’Alexis Langlois (on peut les retrouver dans ses précédents court-métrages tels que Fanfreluches et idées noires ou encore À ton âge le chagrin c’est vite passé), qui rêverait de fonder un jour sa propre troupe de comédien.nes-muses à l’image des Dreamleaders de John Waters ou de l’Antiteater de Fassbinder – des inspirations qu’il cite aux côtés de Gregg Araki ou encore Derek Jarman. Le prix du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux en poche, le réalisateur planche désormais sur l’écriture de son premier long-métrage et d’une sitcom aux accents trash, en parallèle de la diffusion de De La Terreur au MK2 Beaubourg de Paris durant les sept prochains jours (en présence de l’équipe du film jeudi 28 novembre et mardi 3 décembre).

Comment le projet de réaliser De La Terreur Mes Sœurs ! est-il né ?
Je connais les actrices depuis plusieurs années, et dès que je les ai rencontrées on a tourné des films ensemble. Étant proche d’elles, j’ai parfois été spectateur de certaines situations et elles m’ont raconté certaines choses, comment elles perçoivent les représentations de personnes trans au cinéma par exemple, et je me suis dit qu’il fallait leur écrire un rôle en partant de leur point de vue à elles. Le sujet du film, c’est de dire que ce ne sont pas elles qui ont un problème, mais les autres qui ont un problème avec elles. Ça m’amusait aussi d’écrire des rôles prenant le contrepied des personnages de filles trans sages, en souffrance. Dans De La Terreur elles sont drôles, un peu bitchs parfois, et hyper solidaires. On a créé des rôles [Alexis Langlois a co-écrit le scénario avec Hania Ourabah, ndlr] pour mettre en valeur ce qu’on aimait chez elles.

Avant l’avant-première, tu as expliqué au public que tu avais rencontré des difficultés pour mener ce film à bien. En quoi consistaient-elles ? La recherche de financement a été compliquée ?
Oui, c’était le principal obstacle. Ça n’a pas été difficile de trouver un producteur parce que j’ai la chance de collaborer depuis longtemps avec Aurélien Deseez des Films du Bélier. En revanche, faire un court-métrage en France implique de présenter un scénario à des commissions (il y a les régions, le CNC, les chaînes, etc.), qui font des retours sur la qualité d’écriture avec un devoir d’objectivité, sauf que dans notre cas ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Leurs membres ont vraiment remis en question l’essence même du projet. On nous a dit de nombreuses fois qu’il ne fallait pas montrer ces filles là comme ça, je pense que le fait qu’elles aient l’air fortes les gênait beaucoup… En fait on nous incitait à faire des films du type « la transition douloureuse », « ma vie est difficile »… Une comédie un peu vénère et militante, ils n’en voulaient pas. Comme s’il fallait cantonner les trans à un certain genre de cinéma ! Je me suis dit qu’il y avait vraiment de la transphobie. Mais dans chaque commission il y avait aussi des personnes qui adhéraient au projet, et finalement on est parvenu à le réaliser, même si c’était très long : trois ans au total, alors que c’est un court métrage.

Il y a quelques mois, Antidote interviewait Leyna Bloom, la première femme trans de couleur à avoir foulé le tapis rouge pour un film sélectionné à Cannes, Port Authority. Lors de l’entretien, elle dénonçait l’invisibilisation des trans dans la culture dominante. Est-ce une situation qui est en train d’évoluer selon toi ?
Il y a des couvertures de magazines sur certains rôles incarnés par des trans, mais j’ai l’impression qu’il s’agit davantage d’un sujet journalistique que d’une véritable révolution. Grâce aux médias les trans ont obtenu une plus grande visibilité, mais en réalité sur grand écran leur présence reste vraiment faible, et la majorité de la production ne change pas. Il y a un ou deux films qui sont médiatisés, du coup ils obtiennent de la visibilité et on a l’impression qu’il y en a beaucoup, mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

« J’ai grandi dans un environnement très prolo en Normandie, où on te dit que tu ne pourras pas gagner ta vie en faisant du cinéma, que ce ne sera jamais possible. »

Tu avais déjà réalisé de nombreux court métrages avant De La Terreur. Peux-tu nous raconter comment tu t’es lancé dans le cinéma ?
J’ai fait du théâtre très jeune, puis j’ai continué au lycée, et en parallèle on a co-réalisé des films auto-produits avec une copine. À partir du moment où on a commencé, vers 14 ans, on a en a tourné un tous les étés, puis je les ai faits seul.

Quel était le sujet de ton premier film ?
Je l’ai fait avec Carlotta Coco, elle avait alors 14 ou 15 ans et jouait un petit garçon qui plongeait dans son lit et rencontrait plein de personnages, c’était une sorte d’Alice au Pays des Merveilles en version sombre, où elle jouait tous les rôles. Elle se transformait, et dans tous les court-métrages que j’ai réalisés par la suite les actrices et acteurs ont à nouveau joué plusieurs rôles. Je pense que c’est aussi ce qui a plu aux filles dans De La Terreur : quand Raya prend un couteau et fait semblant d’être une vengeresse par exemple, il y a vraiment un côté « on va dire que », « on se fait des films ».

Photo : De La Terreur Mes Sœurs !

Tu as ensuite suivi des études théoriques sur le cinéma à Paris-VIII, tout en continuant à tourner en parallèle. Pourquoi était-ce important pour toi de conserver ta casquette de réalisateur ?
Je viens d’un milieu qui n’est pas du tout cinéphile : j’ai grandi dans un environnement très prolo en Normandie, où on te dit que tu ne pourras pas gagner ta vie en faisant du cinéma, que ce ne sera jamais possible. C’était relativement sérieux de faire de la théorie, il m’a fallu écrire un mémoire, faire des recherches, et ça m’a d’ailleurs passionné. Je savais en revanche que j’avais davantage envie de réaliser des films, mais je pensais que cela resterait toujours des projets amateurs – au sens où j’aurais eu une autre activité à côté -, puis un jour un producteur m’a dit : « Maintenant on va essayer de trouver de l’argent ». C’est devenu un peu plus professionnel grâce aux personnes qui m’ont dit que c’était possible.

Tu as dédié ton mémoire à l’actrice Magdalena Montezuma, une très proche collaboratrice de Werner Schroeter. Qu’est-ce qui te séduisait chez elle ?
On dirait une actrice du muet projetée dans des films parlant des années 70-80 : je trouvais ça assez étonnant de jouer de cette manière, donc ses performances, son visage me fascinaient. En m’intéressant à elle, j’ai ensuite pris conscience qu’elle jouait vraiment un rôle créatif majeur dans les films où elle incarnait un personnage. Et je trouvais la relation qu’elle entretenait avec Werner Schroeter incroyable : il la laissait vraiment jouer à sa manière, du coup elle devenait presque la metteur en scène de son propre jeu, et c’est ce qui plaisait à Schroeter. Elle concevait aussi les costumes…

As-tu le sentiment que leur collaboration fusionnelle t’a inspirée pour De La Terreur Mes Sœurs ! ?
Oui, je pense tout le temps à ce type de relation, notamment en ce qui concerne Nana qui a eu plusieurs casquettes sur ce film, puisqu’elle a aussi signé la musique. Magdalena Montezuma avait un cancer quand elle a tourné dans son dernier long-métrage, Le Roi des roses, que Schroeter avait écrit pour elle avant qu’elle ne meurt, pour qu’elle puisse jouer un dernier grand rôle. Je ne vais pas comparer ce film à De La Terreur, mais j’avais vraiment l’idée à mon tour d’écrire des rôles pour les actrices, afin de les mettre en valeur.

De La Terreur Mes Sœurs ! sera projeté du 27 novembre au 3 décembre 2019 au MK2 Beaubourg, 50 Rue Rambuteau, Paris 3.

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