La résurrection du gothique

Article publié le 26 septembre 2016

Texte : Paola Tuzzi
Photo : Dries Van Noten automne-hiver 2016

Fini le temps où, souffre-douleur marginalisé, le gothique longeait les couloirs du lycée en quête de pom-pom girls à traumatiser. Il s’exhibe désormais avec fierté des podiums aux tapis rouges jusqu’aux sempiternelles campagnes de pub, dans un élan de rédemption aussi saisissant qu’innovant. Moins dentelle de Calais que sportswear molletonné, le style Emo s’offre en effet une “street cred” insoupçonnée, sans pour autant saccager les codes qui ont fait son identité. Démonstration.

L’IMAGERIE CATHOLIQUE

De gauche à droite : Christopher Kane printemps-été 2017, Givenchy automne-hiver 2106, Fenty Puma automne-hiver 2016, Vetements automne-hiver 2016

Désacralisé 30 ans plus tôt par une Madonna popgoth, le symbolisme catho s’érige à présent en nouveau totem d’une industrie profane en plein bouleversement. Tandis que l’irrévérencieuse Rihanna affublait ainsi ses mannequins de chokers réhaussés de croix chrétiennes pour son premier défilé Fenty, le collectif Vetements installait son catwalk sous la nef d’une église classée et Givenchy s’inspirait des rosaces de vitraux pour pimper ses tops hivernaux. Des références sacrées finalement très second degré, convoquées plus pour l’effet de hype que pour rentrer dans un éventuel jeu de provocations avec Vatican II. Amen.

L’INSPIRATION VICTORIENNE

De gauche à droite : Kenzo automne-hiver 2016, Véronique Branquinho automne-hiver 2016, Rodarte automne-hiver 2016, Alexander McQueen automne-hiver 2016

Collerettes immaculées grimpantes, manches bouffantes intenses et surtout, pléthore de volants : le vestiaire romantique façon Jane Austen gothique s’immisce dans la mode contemporaine au prix d’un hold-up anachronique des plus savoureux. Alors que Véronique Branquinho et Alexander McQueen nous en livrent une interprétation quasi-exégétique, Rodarte et Kenzo réussissent à faire de ces codes désuets des munitions stylistiques offensives, à coups de matières acides et de superpositions vindicatives.

LES BOTTES À PLATEFORME

De gauche à droite : Balenciaga automne-hiver 2016, Marc Jacobs automne-hiver 2016, Maison Margiela automne-hiver 2016

À mi-chemin entre les grolles de Kiss et les échasses de Lady Gaga au Gala du Met, les bottes à plateformes s’offrent une réhabilitation stupéfiante. Indiscutablement gothiques chez Marc Jacobs qui se risque sans détour à la référence premier degré, Margiela les décline sur un mode punk anglais nettement moins effrayant, avec des paires lacées en vinyle façon Mods, subtilement rétro. Quant aux boots Balenciaga, elles conjuguent avec virtuosité semelles massives et cuir rutilant sans une once de lourdeur. Le pied.

LES ÉGÉRIES TRASH

De gauche à droite : campagne Marc Jacobs automne-hiver 2016, campagne Brioni automne-hiver 2016

Autre signe de rémission du gothique : l’intrusion de certaines égéries dark-trash dans le système codifié du luxe. Marylin Manson devient ainsi égérie Marc Jacobs (sic!), les mecs de Metallica s’improvisent figures de proue du relooking express de Brioni et Courtney Love pose sous l’objectif d’Hedi Slimane, alors encore D.A. de Saint Laurent. Inversement, les pop stars les plus lisses rallient une à une la vague gothique, à commencer par la très conventionnelle Taylor Swift qui, à Coachella, n’a pas hésité à troquer son uniforme de mascotte pop américaine pour une dégaine néo-métal des plus inattendues.

LA TYPOGRAPHIE GOTHIQUE

De gauche à droite : Gucci printemps-été 2017, Vetements automne-hiver 2016, MISBHV automne-hiver 2016, Marcelo Burlon printemps-été 2017

Avec une paternité attribuée aux frères Gvasalia, la résurgence de la typo gothique a tout du retour de flamme ardent. Mais pas seulement. Repéré dernièrement aux défilés homme de Gucci et Marcelo Burlon, le nouveau Times New Roman de la sape a massivement été récupéré par les superstars du moment qui en ont fait la marque de fabrique de leurs produits dérivés : Kanye West et son merch Life of Pablo, Rihanna et ses sweats Anti Tour ou encore, dans un genre résolument mainstream, le logo “Purpose Tour” de Justin Bieber.

LE MAKE-UP DARK

De gauche à droite : Dries Van Noten automne-hiver 2016, Christian Dior automne-hiver 2016

Invasion de lèvres pourpres de Dior à Rodarte, regard apocalyptique chez Dries Van Noten et Marc Jacobs, teint luisant pour l’armée d’Alexander Wang : la mise en beauté de la femme automne-hiver 2016- 2017 respire de toute évidence la neurasthénie chronique. Un parti-pris emblématique du mood général en ces temps moroses, qui à l’heure de la dictature des Enjoy Phoenix et autres expertes beauté girly, sonne presque comme une rébellion silencieuse.

LA PANNE DE VELOURS

De gauche à droite : Ralph Lauren automne-hiver 2016, Fendi automne-hiver 2016, Philosophy di Lorenzo Serafini automne-hiver 2016, Haider Ackermann automne-hiver 2016, Dries Van Noten automne-hiver 2016

Tendance latente des dernières saisons, la panne de velours vampirise les silhouettes hivernales de drapé duveteux. Le femme Alberta Ferretti déambule ainsi dans un pyjama velouté rose lune tandis que la comtesse Casati imaginée par Dries Van Noten survole le podium de sa longue robe de velours noir pour un effet draculéen énigmatique. Même la très BCBG femme Ralph Lauren quitte son uniforme preppy pour une fatale robe de velours pourpre digne d’une héroïne de Transylvanie.

LES EFFETS DE LINGERIE

De gauche à droite : Prada automne-hiver 2016, Alexander McQueen automne-hiver 2016, Nina Ricci automne-hiver 2016, Anthony Vaccarello automne-hiver 2016

En véritable oiseau de nuit, la femme gothique se pare de son vestiaire noctambule le plus intime pour parader en fatale belle de jour à la Dita Von Teese. Encline à dégainer en public une nuisette de voile noir imaginée par Guillaume Henry pour Nina Ricci, elle dévoile aussi volontiers une guêpière Alexander McQueen ornementée de broderies ou son corset qu’elle enfile carrément par-dessus un manteau officier, comme chez Prada. Ou comment faire du déshabillé le nouveau prêt-à-porter.

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