De l’iroquoise jaune de Neymar aux boucles d’oreilles six carats de Paul Pogba, le footballeur n’a que rarement excité la mode. C’était sans compter sur Comme des Garçons, Gosha Rubchinskiy et Yohji Yamamoto qui célèbrent un look fort de son origine et de ses stigmates. Le foot, beauf ou hype ? Les deux.
« Clairement, la mode est un monde complètement différent du football ». Les paroles viennent de l’icône absolue du foot français Zinedine Zidane et font le constat d’une triste réalité. A priori, rien n’invite ces deux univers à se côtoyer, si ce n’est par pur intérêt marketing et financier. Ici et là, viennent bourgeonner quelques collaborations ponctuelles, en grande majorité pour des marques de sportswear (souvent sponsors officiels) ou, muscles obligent, pour des collections de sous-vêtements. Mais rare sont les élus appelés à faire figure d’égéries pour les plus prestigieux labels.
Pire, le footballeur traîne derrière lui une image de paria vestimentaire qu’on aime pointer du doigt en ricanant. Pourtant, il fût un temps pas si lointain où les stars du ballon rond étaient considérées comme des emblèmes de style. En 1990, l’Italie accueille sa seconde Coupe du Monde (après la première organisée en 1938 sous l’ère Mussolini) et prend soin de présenter un visage flamboyant aux yeux du monde.
Des stades sont construits à tour de bras, des réalisateurs sont dépêchés aux quatre coins de la botte pour vanter sur vidéo les mérites de ses villes et surtout, le pays exhibe une squadra azzura (l’équipe de football italienne, ndlr) au look irréprochable, à la limite du cliché, cheveux mi-longs retombant sur les épaules d’un costume – forcément italien – qui laisse deviner des muscles saillants. Stella Bruzzi, professeur à l’Université de Warwick et co-auteure du livre Fashion Cultures: Theories, Explorations and Analysis explique alors : « Italie 90 est un tournant dans la perception du football (…) le football est devenu synonyme de style, désire, mélodrame et spectacle. La réponse pavlovienne n’était plus de penser à des hommes hargneux et alcoolisés. Le changement est monumental et irréversible. »
LE FOOTBALLEUR, CE MANNEQUIN DE LUXE
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— LANVIN (@LANVINofficial) 22 novembre 2013
Il faut dire que le footballeur a tout de même quelques atouts dans ses chaussettes : une notoriété considérable et un corps dessiné à coup de centaines d’heures d’entraînement. En 1998 et alors que la France soulève son premier titre de champion du monde à domicile, c’est David Ginola – pourtant exclu de l’équipe – qui fait tourner la tête des publicistes. Sa longue chevelure étincelante et sa gueule de bellâtre lui rapportent gros : calendriers, voitures, montres, shampoings (parce qu’il le vaut bien) ou encore un couturier, Cerruti, font appel à lui pour vendre leurs produits.
Si le mariage entre football et mode semble inévitable, il faudra attendre le début du millénaire et Dirk Bikkembergs pour voir un styliste d’envergure prendre toute la mesure du potentiel football. En juin 2001, le Belge (l’un des « six d’Anvers »), fan du jeu, présente sa collection printemps-été à San Siro, l’antre du Milan AC. Deux ans plus tard, il créé des tenues hors-terrain pour les joueurs de l’Inter Milan, initiant la désormais grande tradition des collaborations entre couturiers et clubs. Aujourd’hui, Arsenal s’habille chez Lanvin, le Milan A.C. chez Diesel, Manchester United se fait tailler le costume par Paul Smith, la Juventus de Turin par Trussardi et le Paris Saint-Germain par Hugo Boss.
David Beckham pour Emporio Armani 2007
Dans le même temps, David Beckham, une autre idole du ballon rond, rayonne sur et en dehors du terrain. L’anglais est l’archétype du métrosexuel que tout le monde s’arrache. Et son mariage avec l’ex-Spice Girls Victoria Caroline Adams en 1999 fait entrer le footballeur dans une nouvelle sphère, celle du people. En 2002, il lance avec Marks & Spencer une ligne de vêtements pour homme. Cinq ans plus tard, il devient le nouvel ambassadeur des sous-vêtements Armani pour la bagatelle de 20 millions de livres. En 2011, son capitale mode atteint son paroxysme avec la signature – une fois de plus – d’une ligne de sous-vêtements pour le géant du prêt-à-porter H&M. Après lui, une poignée d’autres footballeurs honoreront son héritage. Cristiano Ronaldo, lui aussi chez Armani, Thiago Silva et Olivier Giroud chez Hugo Boss, Lionel Messi pour Dolce & Gabbana, Gerard Pique et le retraité Zinedine Zidane pour Mango ou encore Neymar chez Replay. En une décennie, le footballeur était devenu bankable.
Pourtant, comme pour Ginola avant eux, des voix s’élèvent contre cette glorification esthétique du footballeur. « Le football, ce n’est pas un sport de gonzesse », entend-on, et le joueur n’aurait pas à s’afficher sur des terrains qui ne sont pas tapis de gazon vert. Dans la mode non plus, tout le monde ne voit pas d’un bon œil l’arrivée de ces égéries d’un autre monde, d’autant que la nouvelle génération de joueurs biberonnés au rap ghetto affichent des goûts pour le moins radicaux.
LES CODES DU VESTIAIRE
De gauche à droite : Djibril Cissé et Neymar Da Silva
Les images font souvent les choux gras des émissions satiriques et des rubriques people des sites d’informations. L’exemple français personnifié par Paul Pogba, dont on ne compte plus les extravagances vestimentaires, est à l’image de sa génération : décomplexée, excentrique et un brin m’as-tu-vu. Comme pour les rappeurs, beaucoup sont issus de milieux défavorisés et partagent le même schéma de vie : une jeunesse passée en banlieue, puis la percée, la reconnaissance, l’argent et la gloire.
Aussi, le micro-climat sociologique des joueurs de haut niveau répond à une logique de mimétisme. Pour se faire accepter par le groupe, il faut rentrer dans ses normes. Dans un article paru dans l’Express, Marc Beaugé, rédacteur en chef de Society et ancien collaborateur de L’Equipe, décortique le phénomène : « Il y a des codes dans le monde du foot. Pour s’intégrer dans le vestiaire, il faut avoir la bonne voiture, la bonne coupe de cheveux, la petite copine qui correspond aux canons… Si on dévie de la règle, on est marginalisé. C’est pareil pour le style bien sûr. On est face à une microsociété très normée. » Comprenez voitures de sport clinquantes, cheveux gélifiés au possible et/ou coups de tondeuse fantaisistes et conquêtes aux attributs physiques généreux. L’accumulation de signes extérieurs de richesse, de la tête aux pieds, devient l’uniforme homologué du vestiaire.
De gauche à droite : Paul Pogba pour Adidas par Juergen Teller et Cristiano Ronaldo sur Instagram
Si l’on ose et l’on assume tout, de la coupe de cheveux aux tatouages en passant par l’habit, c’est aussi parce que, dans le style des joueurs, réside l’une de leur seule forme d’expression. Depuis leur pré-adolescence, ces jeunes sont cadrés au millimètre. On leur impose une alimentation, une conduite, un calendrier et un agenda médiatique. La sape et le look en général deviennent alors un exutoire où toutes les libertés ou presque sont possibles.
Si bien sûr tous les joueurs ne répondent pas à ses clichés, la partie visible de l’iceberg suffit à faire couler tout le navire. Il fut un temps où ils auraient été taxés de « fashion victims », on préférera aujourd’hui dire qu’ils ne sont finalement que les enfants acculturés du couple argent et médiatisation, au point d’en devenir leur propre caricature. Par réflexe, leur moindre écart stylistique sera tourné en dérision par un auditoire qui n’attend que ça.
Quand chaque année Lionel Messi honore un partenariat en se présentant à la cérémonie du Ballon d’Or (plus haute distinction individuelle de football) en costume Dolce & Gabbana, le web s’enflamme. Même constat pour Antoine Griezmann qui a eu le malheur d’oser une paire de basket Gucci lors de la dernière cérémonie du trophée du joueur UEFA de la saison.
VERS UN RETOUR DE HYPE DU FOOT ?
De gauche à droite : David Delfin automne-hiver 2016, Vetements automne-hiver 2015, Gosha Rubinchskiy automne-hiver 2015
On le pensait mis au placard et pourtant, depuis quelques années, une flopée de designers s’amusent à réhabiliter le foot parmi les tendances les plus cools. L’avènement du sportswear est passé par là, et de Gosha Rubchinskiy à Cottweiler, tout le monde ne jure plus que par le survêtement. Bientôt, du joueur au supporter, le football devint une inspiration. Mais plus que son survet’, c’est tout l’attirail du footeux qui fait fantasmer la mode.
L’écharpe d’abord. En 2013 déjà, le label franco-japonais Comme Des Garçons détournait ses codes pour en faire une collection patchwork. Suivront Demna Gvasilia et Vetements lors de la collection automne-hiver 2015 puis l’espagnol David Delfin qui les intègre directement aux vêtements de sa collection automne-hiver 2016 et enfin Y/ Project qui métamorphose Napoléon, Joséphine et Henry VIII en stars d’une équipe fictive lors du dernier défilé automne-hiver 2017.
De gauche à droite : Yohji Yamamoto pour le Real Madrid 2014, Olivier Rousteing pour NikeLab 2016
Le maillot ensuite, uniforme indispensable au bon déroulement du jeu, est érigé au rang d’accessoire ultra-prisé. Dès 2012, Adidas et le label danois Wood Wood s’unissaient pour designer l’un des maillots de l’équipe de Copenhague. En 2014, Yohji Yamamoto est invité à dessiner le troisième maillot du Real Madrid. Mais c’est dans le vestiaire streetwear que la tendance est la plus flagrante. Supreme, A Bathing Ape, Patta, KITH, Stussy, Palace : tous intègrent à leur collection un maillot, volontairement vintage, directement inspiré de ceux des footballeurs.
Le phénomène prend une telle ampleur que plus personne ne s’étonne de voir Rihanna en tribune du Parc des Princes ou Drake arborer un maillot de la Juventus Turin floqué au nom de Paul Pogba. Dans une interview accordé à Hypebeast, le latéral de l’équipe d’Arsenal Héctor Bellerin – qu’on voit régulièrement habillé en Off-White – dresse le même bilan : « Avant, tout le monde portait des maillots de basketball, maintenant c’est le foot. Peut-être que l’on verra bientôt les gens porter des snapbacks à effigie de nos équipes. Je ne sais pas, mais ça prend de l’ampleur.»
FOOT BUSINESS
Alors, appropriation opportuniste au service du mercantile ou réel attrait pour le ballon rond ? Les deux ne sont pas forcément incompatibles. Lorsque qu’un grand designer va signer de son nom une collection dédiée au football en partenariat avec une grande marque de sportswear, des retombées financières sont forcément attendues.
Dès l’été dernier, en prévision de l’Euro 2016 organisé en France, Olivier Rousteing imaginait une ligne pour Nike Lab et invitait les footballeurs Blaise Matuidi et Cristiano Ronaldo au casting de la campagne. À l’inverse, les footballeurs s’essayent eux aussi à la mode avec plus ou moins de réussite. L’ex-star du PSG Zlatan Ibrahimovic, qui avoue pourtant rien n’y connaître, n’a pas hésité à lancer son propre label baptisé A-Z, avec pour objectif de s’assurer une activité et des revenus post-carrière.
D’autres ont préféré rayer l’argent de l’équation. Mi-janvier 2017, le jeune créateur d’origine russe Gosha Rubchinskiy crée la sensation en présentant à Kaliningrad une collection mixant ses pièces à celles floquées du logo Adidas, accompagnés d’une écriture en cyrillique signifiant « Football ». Si la collaboration va durer encore 3 saisons – jusqu’à la Coupe du Monde en Russie 2018 (sponsorisée par Adidas) – pas question en revanche pour lui de capitaliser sur une quelconque hype pour servir ses intérêts financiers, l’enjeu est ici de montrer une image novatrice du football et de ses acteurs, particulièrement en Russie : « J’ai choisi Kaliningrad par respect pour Adidas. En Russie et en URSS, les équipes de sport ont toujours porté des tenues Adidas, donc historiquement la marque signifie quelque chose pour le peuple russe (…) Je trouve intéressant de montrer une image plus moderne du fan de foot russe ».
Les points de vente se verront limités à une liste d’environ 120 distributeurs triés sur le volet. « Si vous voulez quelque chose, il faudra le mériter », s’amuse Gosha sur le site Business Of Fashion. « Nous voulions la garder spéciale, ajoute Andrian Joffe, président de Comme des Garçons, propriétaire et opérateur du label Gosha Rubchinskiy, nous nous occupons de toute la distribution. Adidas n’y est pas autorisé, elle ne sera pas dans les boutiques de football. Il n’y pas de licence, pas d’accord officiel, pas de royalties. Gosha dessine, Adidas produit, je distribue. Je gagne mon argent avec la marge habituelle et je paie Gosha. Il n’y a rien de financier entre Adidas et Gosha. »
Un pas un avant, deux pas en arrière, la mode et le foot continuent de se tenir la main sans trop s’étreindre. Au centre de toutes les fascinations, sincères ou voyeuristes, le joueur cristallise les fantasmes d’une industrie qui ne comprend pas grand chose à ses codes mais se verrait bien l’inviter à la fête. Carton or.