L’interview de Stefflon Don : « Les grandes rappeuses ont toujours été dominantes et sexy »

Article publié le 18 décembre 2017

Photos : Yann Weber
Texte : Maxime Retailleau

Avec un style rappelant celui de Lil’ Kim, Foxy Brown ou encore Nicki Minaj, l’artiste londonienne Stefflon Don réinvente le rap en puisant dans ses racines jamaïcaines. Après de récents featurings avec French Montana et Skepta, elle a été contactée par Drake pour une collaboration.

Avec seulement une mixtape, Real Ting, sortie en décembre 2016, et une poignée de clips à son actif, Stefflon Don s’est imposée comme la nouvelle reine du rap anglais et multiplie featurings et millions de vues sur Youtube depuis un an. Née à Birmingham en 1991 de parents d’origine jamaïcaine, le dancehall, le reggae et les morceaux hip-hop des années 1990 chéris par ses frères et soeurs constituent la bande-son de sa petite enfance. Sa famille déménage ensuite à Rotterdam puis à Londres lorsqu’elle a 14 ans, où elle se passionne pour le grime, puis décide de se lancer elle-même après avoir hésité à devenir coiffeuse.

Elle synthétise alors ses diverses influences pour mieux les réinventer, en s’inspirant de l’attitude fière et sensuelle de ses idoles de jeunesses, Lil’ Kim et Foxy Brown. Fin septembre, Stefflon Don était de passage à Paris pour donner son premier concert en France, à la FANTASY PARTY d’Antidote célébrant la sortie du nouveau numéro automne-hiver 2017. Rencontre.

Antidote. Vous écoutiez beaucoup Lil’ Kim et Foxy Brown quand vous étiez jeune. Qu’aimiez-vous chez elles ?
Stefflon Don. J’adorais leur insolence, leur façon de dire ce qu’elles avaient à dire, et d’être dominantes. À chaque fois qu’elles étaient sur un single, peu importe qui d’autre était dessus, vous attendiez leur couplet, elles mettaint du piment dans le morceau. Elles m’ont vraiment beaucoup influencé.

Vous avez commencé à rapper en reprenant les morceaux d’autres artistes comme les deux frères de Rae Sremmurd ou les Section Boyz. Qu’est-ce qui vous a ensuite décidée à composer vos propres tracks ?
J’ai fait des remixes parce que personne ne m’avait jamais envoyé de beat. J’adorais leurs tracks, et je pensais que les reprendre était le moyen le plus facile de me lancer. Puis au bout d’un moment j’ai eu le sentiment d’avoir fait assez de remixes, et je me suis dit : « Maintenant laissez-moi aller de l’avant et tracer ma propre voie. »

Votre famille a déménagé à Rotterdam quand vous étiez enfant, où vous avez vécu au milieu de nombreuses autres communautés, ce qui vous a permis de découvrir la musique de club du Portugal, de l’Espagne ou encore de la Turquie. Avez-vous le sentiment que ça vous a ensuite aidée à forger un style musical unique ?
Oui vraiment, car ça m’a rendu plus ouverte : j’ai plus tendance à essayer de nouvelles choses, et quand je freestyle je peux avoir des inspirations variées.

Comment avez-vous découvert leur culture musicale, vous alliez déjà dans des clubs ?
Oui, j’avais 14 ans mais j’allais déjà en boîte, ils jouaient beaucoup de musique espagnole, il y avait une bonne vibe.

Votre flow est généralement dur, agressif, mais vous avez aussi chanté avec une voix sensuelle dans le morceau R’n’B London, lors d’un featuring avec Jeremih. Tenter de nouvelles choses, toujours explorer de nouveaux styles, c’est essentiel pour vous ?
Je suis une artiste, donc quoi que je fasse ça ne rentrera jamais dans une case. J’écoute beaucoup de morceaux différents, et je peux rapper, je peux chanter, aller vite, aller lentement… C’est une bonne chose d’être versatile, c’est ma façon d’être. Dès que j’entends une prod, je commence automatiquement à écrire dessus, et à réfléchir aux mélodies. Il y a aussi des tracks que j’écris pour finalement les donner à d’autres artistes, comme Charli XCX, parce que ça ne correspond pas tellement à mon style.

Avez-vous le sentiment de réinventer le dancehall d’une certaine façon ?
Oui, un peu. Le dancehall est en train d’être réinventé dans tous les cas parce qu’il est mélangé à l’afrobeat, et le langage est en train de changer : les Jamaïcains n’emploient plus l’ancien accent. Ce style est donc en train d’être remodelé, mais d’une bonne manière. Le dancehall vivra éternellement quoi qu’il arrive.

Dans le single Real Ting vous rappez à propos du fait de porter une Rolex et d’hommes qui passent chez vous simplement pour faire la vaisselle. Le féminisme est une cause importante à vos yeux ?
Oui. J’ai le sentiment qu’être une femme est un peu plus compliqué que d’être un homme. Il y a tellement plus de choses qui sont « permises » quand vous êtes un homme et je trouve ça complètement injuste. Mais je représente les femmes et je veux qu’elles sachent qu’on est tous égaux, même si beaucoup d’hommes ont du mal à le comprendre.

Pourquoi y a-t-il une aussi grande majorité d’hommes dans la scène grime selon vous ?
J’ai l’impression que parfois, quand les femmes percent, elles doivent subir une grande pression, elles sont dénigrées et on tente de les décourager. Et les femmes ont des bébés, et quand elles sont enceintes elles se retirent, alors qu’un mec peut mettre une femme enceinte et continuer à rapper, il peut continuer à sortir tard le soir alors que la femme doit rester à la maison. Et puis, il y a beaucoup plus d’hommes qui veulent rapper ou se lancer dans le grime.

Vos paroles parlent souvent de sexe, diriez-vous que les relations sexuelles vous inspirent ?
Vous savez, j’écris sur le sexe depuis que je suis vierge. Tout comme j’écrivais des morceaux d’amour et de rupture avant même d’avoir eu un petit copain. J’ai grandi en écoutant ça. Si je parle de quelque chose de sexuel, je ne me l’imagine pas réellement, je l’écris tout simplement. Ça n’est sans doute même pas arrivé, c’est de la fiction. J’ai appris tout ça grâce à Lil’ Kim et Foxy Brown, et aux artistes dancehall.

Vous portez des tenues sexy dans vos vidéos, où vous semblez aussi dominante et très confiante. Pensez-vous que l’image et la représentation du « sex symbol » féminin ont besoin d’être réinventés, qu’ils doivent être plus affirmés et moins soumis au regard masculin ?
Complètement, les grandes rappeuses ont toujours été dominantes et sexy, et il n’y a jamais tellement eu d’alternatives. Que ce soit Lil’ Kim, Foxy Brown, ou plus récemment Nicki Minaj et Cardi B, elles sont toutes comme ça. C’est une combinaison qui fonctionne parce que le rap est dominé par les hommes donc un caractère très affirmé permet de leur faire face, tandis que le côté sexy permet de conserver une dimension féminine.

Universal a créé un label spécialement pour vous, 54 London. Vous permet-t-il de jouir d’une vraie liberté artistique, malgré le fait d’être signée dans une grande major ?
Oui, complètement parce que c’est 50 – 50, c’est un partenariat et on ne me dit pas : « Tu dois faire ceci, et cela ».

Vous réalisez vos vidéos vous-mêmes, pourquoi tenez-vous à contrôler tous les aspects de votre univers artistique ?
C’est très important parce que si j’ai une vision et que je veux la transmettre, je dois m’impliquer personnellement. Un autre réalisateur n’aura pas exactement les même idées. Donc je dois intervenir, et m’assurer que je parviens bien à renvoyer l’image que je veux.

Pourquoi avez-vous choisie de tourner le clip de 16 Shots en Jamaïque ?
Quand j’ai créé ce morceau avec Fred, le producteur, il a eu l’idée d’inclure ma mère dans la vidéo. Au début j’ai ri. Puis j’ai pensé qu’elle pourrait s’y faire kidnapper et j’ai fait part de cette idée qui me semblait géniale à Luke, un réalisateur. Et comme 16 shots sonne vraiment Jamaïcain, on s’est dit : « Retournons aux racines, allons tourner en Jamaïque. »

J’ai lu que vous avez collaboré avec Drake ?
Ah bon ? C’est un mensonge. Je déconne (rires). Il m’a envoyé un truc, c’était il y a longtemps, mais on continue à se parler, et avec un peu de chance on sortira quelque chose l’an prochain.

Un featuring ?
Oui, je l’espère. Drake, tu veux le faire ou quoi ?

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