Pourquoi la mode s’est-elle délocalisée à Los Angeles ?

Article publié le 3 mars 2017

Texte : Paola Tuzzi
Photo : Hans Feurer pour Magazine Antidote : The Street Issue printemps-été 2013

Exit New York, la Cité des Anges est la nouvelle oasis de la mode, attirant créateurs indépendants, mannequins en vogue et blogueurs influents. Garante d’un cool inimitable, Los Angeles serait le nouveau terrain de jeu d’une “slow fashion” plus pragmatique, plus éthique et surtout moins élitiste.

Septembre 2012. Quand il annonce qu’il ne quittera pas Los Angeles, sa ville d’adoption, pour Paris, Hedi Slimane – alors nouveau directeur artistique déjà contesté de Saint Laurent – provoque une vague d’opprobre inédite à son encontre. Vécu comme un affront par les tenanciers d’une mode parisienne conservatrice, ce choix de partager le studio de la maison de luxe entre la cité des Anges et la ville Lumière est pourtant à l’avant-garde d’un déplacement stratégique de la mode et de son centre névralgique.

Tommy Hilfiger automne-hiver 2017-2018

Pour preuve, cinq ans plus tard, c’est toute la crème de la mode qui se bat pour exister sous les palmiers de la West Coast. Rien qu’en février, géants du prêt-à-porter comme labels indépendants se sont bousculés downtown L.A. On pense d’emblée à Tommy Hilfiger qui a snobé la Fashion Week de New York en pleine convalescence post-Trump pour la mythique Venice Beach où il a présenté sa seconde collection see now, buy now, portée par une Gigi Hadid en parfait symbole du rêve californien.

VETEMENTS EVENT IN LA / 9TH FEB

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Le même jour, le collectif Vetements, qui nous a pourtant plus habitué aux vibes brutalistes façon ex-URSS, investissait également La La Land pour ouvrir un pop-up store événement chez Maxfield, la même adresse en vogue qui une semaine plus tard accueillera celui de Daft Punk en collab’ avec les noms les plus hypes du moment, de Off-White à Gosha Rubchinskiy. Une façon de concurrencer sur leur propre terrain de jeu des marques street du coin comme Anti Social Social Club, Fear of God ou encore Yeezy et sa collab’ Adidas x Calabasas, en référence au quartier de prédilection de Drake, J-Lo et bien sûr, des Kardashians. Mais pas seulement.

CALIFORNIA LOVE

Fondamentalement plus relax, la mode à la californienne se révèle en effet être la terre promise du casual wear, inspiration mère des jeunes créateurs susnommés mais aussi pierre angulaire du marché du prêt-à-porter actuel. Un simple coup d’oeil aux portants H&M ou Zara permet de comprendre très rapidement que les tendances commerciales vivent au rythme du lifestyle made in L.A.

Du tout-denim au “bohemian style” façon Coachella, en passant par l’indescriptible athleisure qui ponctue une parution mode sur deux : tout semble prendre sa source dans l’eldorado californien, y compris les tops qui incarnent ces tendances sur billboards géants, des omniprésentes sœurs Hadid à Camille Rowe qui a récemment quitté New-York pour Los Angeles. Même certains blogs mainstream implantés à New York – à l’image du WhoWhatWear, Fashionista ou encore Garance Doré – ouvrent progressivement des antennes à l’autre bout du pays, en bord de mer tant qu’à faire.

Yeezy Season 4

À l’origine de cet engouement, une atmosphère mi-urbaine mi-balnéaire plus détendue donc, qui par voie de conséquence influe sur une conception de la mode moins orthodoxe. “ Il y a une facilité et une légèreté à Los Angeles qui distingue le style des habitants de cette ville des autres. On se prend moins la tête sur ce qui va ensemble, sur ce qui est convenable de porter ou non ou même de ce qui est à la mode. C’est vraiment rafraichissant, on est loin de l’uniforme total-dark de New York”, explique Kat Collings du WhoWhatWear.

Une forme de slow-fashion en somme, loin des diktats consuméristes de Gotham City, qui s’exprime également à travers le développement de labels éthiques, soucieux de façonner des vêtements à l’esthétique contemporaine mais aussi respectueux de l’environnement. On pense notamment à The Reformation, dont les pièces répondent aux normes du développement durable. Une prouesse entrepreneuriale rendue possible, entre autres, par le tissu industriel de la mégalopole, qui a su conserver énormément d’usines textile sur place.

LA MANUFACTURE DE L’AMÉRIQUE

Fin 2016, le concept-store parisien L’Eclaireur installait sa sixième boutique à West Hollywood.

Selon un rapport publié par LA Weekly en septembre 2016, Los Angeles fabrique en effet 33% des vêtements made in America – soit deux fois plus que New York – faisant office de véritable manufacture de la mode US. Des capacités de production inédites que les grands espaces encore disponibles sur place et les prix des loyers relativement attractifs favorisent grandement. Dans ces conditions plus qu’enviables, il est donc plus facile pour un jeune designer de lancer sa propre marque et d’émerger rapidement, le business model de la mode californienne fittant parfaitement avec les tendances du marché actuel : des clients fébriles, fonctionnant au coup de cœur 3.0., en quête de vêtements répondant à leurs valeurs mais aussi leur mode de vie urbain.

La Californie est un business de produits, pas de collections

La Californie est un business de produits, pas de collections”, explique Ilse Metcheck, la présidente de la California Fashion Association. Contrairement à New York, il ne s’agit pas de présenter une collection et une identité de marque à part entière chaque saison mais plutôt de compléter des garde-robes déjà bien remplies à coups de jeans au délavage éthique, de parfaits t-shirts basiques ou encore de petites robes chics. Or, consumérisme et croissance de la fast fashion oblige, c’est exactement ce vers quoi l’ensemble de l’industrie du prêt-à-porter tend aujourd’hui.

Pour présenter sa collection Louis Vuitton croisière 2016, Nicolas Ghesquière choisissait la villa de Bob Hope et confiait à Juergen Teller la réalisation du lookbook dans le désert californien.

Mais en dépit de toute cette effervescence, Los Angeles n’aurait finalement aucune vocation de faire de l’ombre à New York City. “Je ne crois pas que L.A. puisse vraiment être une capitale de la mode, notamment parce que je pense que les gens de la mode qui ont choisi de travailler ici ne le voudraient pas”, explique Britt Aboutaleb, rédactrice en chef de Racked. Ce qui n’empêchera la ville au taux d’ensoleillement presque insolent de continuer à exercer une influence, possiblement passagère, mais irrésistible sur le gotha de la mode. Et ce ne sont d’ailleurs pas les invités au prochain défilé croisière Dior sur les hauteurs de Beverly Hills en avril prochain qui diront le contraire.

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