Que faut-il retenir de la Fashion Week de Londres été 2020 ?

Article publié le 20 septembre 2019

Photo : Richard Quinn printemps-été 2020.
Texte : Henri Delebarre.
20/09/2019.

Ouverture au grand public, trenchs retravaillés, poitrines soulignées ou silhouettes asymétriques, voici ce qu’il ne fallait pas manquer lors de la dernière Fashion Week de Londres printemps-été 2020.

Organisée du vendredi 13 au mardi 17 septembre, la Fashion Week londonienne printemps-été 2020 a une nouvelle fois placé l’innovation au cœur de sa programmation, malgré l’ombre du Brexit qui se rapproche et assombri plus que jamais le paysage de la mode britannique (une sortie de l’Europe sans accord ferait perdre 1 milliard d’euros à l’industrie selon le British Fashion Council, l’équivalent britannique de notre Fédération de la Haute Couture et de la Mode). Pour que sa Fashion Week reste compétitive et attractive, l’instance dirigeante met donc les bouchées doubles. Ainsi cette saison, les innovations étaient tout autant le fruit des créateurs que du BFC qui, pour la première fois, donnait la possibilité au grand public d’accéder à certains défilés. Une initiative qui témoigne d’une volonté : celle de démocratiser la mode et les shows pour en faire un événement universel et donc indispensable. Côté style, les designers ont comme toujours rivalisé d’inventivité pour que Londres garde sa réputation de laboratoire créatif constamment en ébullition. Voici ce qu’il fallait retenir de cette nouvelle saison londonienne, en six points.

Le parti pris : le crossover

Si une collection est souvent conçue comme une symphonie et naît la plupart du temps d’un mélange de références et d’une rencontre entre plusieurs univers parfois très différents dont les vêtements constituent la synthèse, cette saison plusieurs créateurs ont préféré miser sur la dissonance pour mieux se réinventer. Comme si le futur de la mode ne résidait pas dans la création de nouvelle pièces ex nihilo, mais dans une curation ou un remix esthétique inédit. Chez Burberry, le streetwear rencontrait ainsi la dentelle et l’univers de la lingerie sur des pièces telles que des shorts ou des hoodies en molleton. Un mélange entre rusticité et raffinement que l’on retrouvait sur quelques-uns des looks de la collection de Simone Rocha, où des vêtements en raphia crochetés contrastaient avec la délicatesse du tulle et de la broderie anglaise. Chez Marques’Almeida, l’esprit couture se mêlait cette fois au punk : les robes bustiers en satin se portaient avec des rangers, et une paire d’escarpins garnis de plumes s’associait à une combinaison de motard en cuir. Enfin, Matty Bovan, jeune créateur originaire du Yorkshire d’abord passé par Fashion East, associait quant à lui un pantalon de motocross à une blouse à manches gigots d’inspiration victorienne, et en ornait un autre d’imprimés fleuris à la William Morris – tout en le dotant d’un zip pour lui conférer une allure plus sportswear. L’art du sampling semble toujours plus s’imposer sur les catwalks.

Photos de gauche à droite : Burberry été 2020, Matty Bovan été 2020, Marques’Almeida été 2020, Preen by Thornton Bregazzi été 2020.

La poitrine : soulignée

Source de fantasme en plus d’être érigés comme les attributs de la féminité, les seins sont presque constamment sexualisés et présentés comme des objets érotiques, censurés sur la plupart des réseaux sociaux dès lors qu’ils apparaissent dénudés. Ce qui n’est pas rare dans la mode. Mais plutôt que de la mettre totalement à nue pour simplement l’exhiber de manière frontale, plusieurs designers ont choisi cette saison de souligner la poitrine pour la valoriser sans nécessairement la dévoiler. Que ce soit à l’aide de jeux de découpes suivant ses contours comme chez Emilia Wickstead et David Koma ou par des broderies et des soutiens-gorges ornés de cristaux façon bijoux et portés par-dessus les vêtements chez JW Anderson – où le créateur établissait un lien entre ornementation et armure. Cette inversion entre dessus et dessous se retrouvait également au tout premier défilé de la créatrice Charlotte Knowles et de son associé Alexandre Arsenault, où les seins étaient soulignés par des coutures et où des soutiens-gorges en maille délicate s’invitaient en surface, faisant de la poitrine féminine le point focal de ces silhouettes inspirées par l’univers de la lingerie. Chez Christopher Kane enfin, où le sexe occupe toujours une place centrale, la collection baptisée « Eco-sexual » se composait notamment d’une série de pièces à inserts en plastique colorés, disposés au niveau de la poitrine, tandis que la créatrice Simone Rocha marquait l’emplacement de chaque sein par des volants les encerclant.

Photos de gauche à droite : Simone Rocha été 2020, Emilia Wickstead été 2020, JW Anderson été 2020, Charlotte Knowles London été 2020.

Le trench : réinventé

Pièce phare du vestiaire britannique, le trench était une nouvelle fois détourné de multiples manières lors de cette Fashion Week londonienne. Pierre angulaire sur laquelle repose l’ADN de Burberry, le manteau d’ascendance militaire était retravaillé par Riccardo Tisci qui, pour sa troisième collection, se lançait dans l’exploration des archives de la maison fondée en 1856 par Thomas Burberry. En jupe – un porté que l’on retrouvait chez le label Toga – ou façon queue-de-pie, le manteau en gabardine de coton beige apparaissait ailleurs sur les épaules du mannequin danois Freja Beha Erichsen dans une version extra-longue doublée du mythique motif Nova Check. Entièrement rebrodé de sequin transparent chez David Koma, il s’accouplait plus loin avec une veste en jean, tandis que le label Hazzys le faisait fusionner avec un blazer. Toujours inspirée par l’allure des femmes de l’époque victorienne (dont l’influence était très transversale cette saison sur les marques défilant à Londres), la créatrice irlandaise Simone Rocha y greffait quant à elle de multiples volants et un col XXL. Pour finir, Jonathan Anderson exagérait la circonférence du bas de ses manches sur un modèle taillé dans un lamé argenté. Libre à chacun d’y voir de véritables innovations ou de simples réinterprétations d’une pièce refuge.

Photos de gauche à droite : Burberry été 2020, JW Anderson été 2020, Burberry été 2020, JW Anderson été 2020.

La silhouette : asymétrique

Manche unique, encolure déviée, bretelles portées sur une seule et même épaule ou sein et hanche dévoilés d’un seul côté… Des robes de soirées et combinaisons sexy pour oiseaux de nuit de David Koma – où le créateur prenait appui sur son récent voyage au Kenya – aux créations drapées de Paula Knorr, Supriya Lele, Halpern ou encore Jonathan Anderson, l’asymétrie s’est infiltrée partout cette saison, rythmant les silhouettes et contredisant la symétrie du corps. Venu saluer avec un T-shirt « Fuck Boris » (en référence au Premier ministre du Royaume-Uni Boris Johnson) alors que la date fatidique du Brexit approche, l’Irlandais Richard Malone – qui dédiait sa nouvelle collection à sa grand-mère récemment disparue – expérimentait le déséquilibre sur des robes transparentes et froncées. De son côté, chez A.W.A.K.E MODE, Natalia Alaverdian jouait avec les encolures pour reproduire la chute unilatérale d’un tissu qui découvre nonchalamment l’épaule. Par sa maîtrise de la coupe, la créatrice Marta Jakubowski, formée au Royal College of Arts de Londres, réinventait quant à elle un gilet classique en le disséquant.

Photos de gauche à droite : Richard Malone été 2020, Marques’Almeida été 2020, A.W.A.K.E MODE été 2020, JW Anderson été 2020.

L’ambiance : Space Age

La migration de l’homme sur une autre planète serait-elle la seule solution envisageable pour survivre au dérèglement climatique ? Alors que l’écologie est plus que jamais au cœur des enjeux auxquels la mode doit se confronter, certains créateurs ont choisi de réhabiliter l’esthétique Space Age des années 60 chère à Pierre Cardin, Paco Rabanne ou encore André Courrèges. Chez Christopher Kane, les références à cette vision futuriste et utopique des sixties transparaissait sur une mini-robe en satin orange marquée par des inserts en plastique colorés (que l’on retrouvait ailleurs sur des bottes en cuir noir découpées). Le designer présentait également une série de pièces imprimées de motifs planètes sur lesquelles apparaissait parfois une silhouette foulant le sol lunaire, faisant référence à l’odyssée de l’espace. Un clin d’œil au cinquantième anniversaire des premiers pas de l’espèce humaine sur la Lune ? Imaginés pour les « Eco-sexuel », terme qualifiant selon le créateur les personnes qui « font l’amour avec la nature, sont connectées à la Terre et couchent avec les étoiles », les vêtements s’habillaient également d’un imprimé ciel étoilé complétant l’univers du défilé. Plus spirituelle chez Kiko Kostadinov, l’inspiration spatiale prenait pour point de départ Uranie, muse grecque de l’astronomie et de l’astrologie.  Animées de formes organiques et psychédéliques colorées, les pièces imaginées cette saison par Laura et Deanna Fanning s’agrémentaient quant à elles de bijoux comme venus d’une autre galaxie. Aux allures d’amulettes en métal, et réalisées par l’artiste Rosie Grace Ward, leur forme faisait écho aux spirales qui tourbillonnaient sur les vêtements tout en évoquant l’œuvre de land art Spiral Jetty signée Robert Smithson.

Photos de gauche à droite : Christopher Kane été 2020, Kiko Kostadinov été 2020, Christopher Kane été 2020, Kiko Kostadinov été 2020.

L’innovation : l’ouverture au public

L’industrie de la mode aurait-elle définitivement enterré l’exclusivité ? À l’heure où les défilés sont retransmis en direct et visibles par tous grâce aux réseaux sociaux, le British Fashion Council est allé plus loin cette saison en ouvrant les portes de la Fashion Week de Londres au grand public. Annoncée cet été par le BFC, cette initiative inédite prenait place le week-end des 14 et 15 septembre. Deux jours durant lesquels les amateurs de mode ont pu – en s’achetant un billet d’un coût de 245 livres pour une place au premier rang – accéder à plusieurs défilés organisés au 180 Strand, le centre névralgique de la Fashion Week de Londres. House of Holland, Self-Portrait ou encore le label d’Alexa Chung présentaient ainsi leurs collections automne-hiver (tandis qu’en parallèle les présentations inscrites dans le calendrier officielle de cette Fashion Week printemps-été 2020, réservées aux professionnels et personnalités invitées, se poursuivaient à travers la ville). Après les shows, les spectateurs munis d’un billet pouvaient également assister à des conférences notamment animées par Henry Holland, directeur de la création de House of Holland, Eva Chen, directrice des partenariats mode d’Instagram, ou encore Billy Porter. Une nouvelle preuve que la Fashion Week de Londres est un véritable leader en matière d’innovation et que cette dernière passe aussi par une démarche de démocratisation.

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