L’Italie traque les créateurs

Article publié le 18 avril 2016

Texte : Sofia Celeste
Photo : Benjamin Lennox pour The Now Generation Issue printemps-été 2016

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Dans un pays, tel que l’Italie, où la moindre initiative est paralysée par une mentalité aussi immuable que les ruines archéologiques sur lesquelles il s’est bâti, le monde de la mode s’est mis en mouvement. Alors que les faits d’armes de la vieille oligarchie de la mode se font de plus en plus rares, de nouveaux talents émergent et tendent à éclipser les pères fondateurs.

L’une des chefs de file de cette renaissance en cours est Sara Maino. Rédactrice mode du Vogue Italie, elle a lancé de nombreuses carrières par l’intermédiaire de deux initiatives dont elle est à l’origine : le Vogue Talents, une plateforme de recrutement et un numéro hors série bi-annuel, ainsi que le concours Who’s on Next.

Les grands pontes de la mode estiment que, parmi tous les designers qui ont émergé pendant les 15 dernières années – Andrea Incontri, Paula Cademartori et Marco de Vincenzo entre autres – Maino a collaboré avec la moitié d’entre eux.

« Beaucoup de choses ont changé ces dernières années. Jusqu’à présent, nous étions dominés par le gotha de la mode », explique Maino.

Dans le bureau de Sara Maino, au siège du Vogue Italie, une poupée bancale à l’effigie de Sengoku Bushin et une Barbie Holiday de 2014 dans sa boîte d’origine, apportent un peu de frivolité dans un déferlement continuel de coups de fils et d’e-mails provenant de Relations Publiques et d’aspirants à la gloire.

Sara Maino, dans sa jeunesse, voulait devenir linguiste. Petite fille, elle partait en colonie de vacances dans le Maine et à Catalina Island. On y racontait des histoires qui font peur autour du feu de camp. Jamais elle n’aurait imaginé faire carrière dans la mode.

Très jeune, elle commence à travailler au 10 Corso Como, cette boutique milanaise de luxe appartenant à sa mère, Carla Sozzani, elle-même soeur de Franca Sozzani, rédactrice en chef de Vogue Italie. Malgré ces relations, Maino raconte qu’elle a commencé au bas de l’échelle il y a plus de vingt ans, en tant que stagiaire dont la tâche était de classer les archives de Vogue Italie. « C’était comme une bibliothèque d’université », dit-elle en écartant les bras pour montrer à quel point les archives étaient colossales.

« Beaucoup de choses ont changé ces dernières années. Jusqu’à présent, nous étions dominés par le gotha de la mode. »

Maino, âgée aujourd’hui de 41 ans, a grimpé les échelons au sein du magazine et a commencé à assister des stylistes très en vue tels qu’Anna Dello Russo et Alice Gentilucci pendant les shootings photo avant de devenir elle-même styliste et de s’imposer comme l’une des plus importantes découvreuses de talents dans l’industrie internationale.

C’est son expérience d’assistante photographe qui lui a donné cette curiosité et l’envie de découvrir de nouveaux créateurs, de visiter de nouvelles galeries, et de voyager.

Avec Sozzanni, Maino a lancé Vogue Talents, une plate-forme de promotion des jeunes designers. Créé il y a huit ans (Who’s on Next en a douze), Vogue Talents a permis la mise en place de nombreux autres projets, comme par exemple l’événement promotionnel du Palazzo Morando qui a lieu deux fois par an lors de la fashion week Femmes à Milan.

Quel est le meilleur moyen d’être repéré par Sara Maino ?

Pour commencer, utiliser Instagram. Même si Sara Maino ne possède pas de compte personnel, le réseau social est le moyen le plus efficace d’avoir un aperçu de la façon dont une marque communique. Elle regardera en premier lieu le nom, puis elle examinera les photos. Cela dit, comme il n’est pas évident de juger de prime abord, elle a l’habitude de contacter la marque afin de demander plus d’informations et de supports visuels.

« Instagram est un moteur de recherche très intéressant, c’est certain. Ensuite la qualité de la collection est l’élément le plus crucial, évidemment. Enfin, il est fondamental d’avoir une idée précise de la clientèle potentielle de la marque. »

« C’est bizarre, je ne reçois jamais d’e-mail contenant une vidéo d’une quinzaine de secondes pour me donner un aperçu de la collection. Je suis pourtant une personne très accessible », me dit-elle, me montrant sur son ordinateur une vidéo qui lui a attiré l’oeil. En plus d’une présentation minimaliste, le clip est construit sur un rythme remarquable et une bande sonore émouvante.

Parmi les créateurs qui doivent le plus à Sara Maino, on retrouve les cas les plus rocambolesques, comme celui de Nicolo Giannico Beretta, ce designer de 20 ans dont le talent rappelle celui d’une de ses idoles, Manolo Blahnik. Beretta a gagné le concours Who’s on Next en 2015. Mais il avait rencontré Sara Maino alors qu’il n’avait que 17 ans lors d’un événement promotionnel à Milan.

Sara Maino est rédactrice mode de Vogue Italie et est à l’initiative de la plateforme Vogue Talents.

Les agences de promotion comme Pitti Immagine ou Alta Roma, des prix tels que celui de LVMH pour les jeunes créateurs de mode ou le prix Woolmark ont joué un rôle fondamental dans l’émergence de la nouvelle garde. Giorgio Armani lui-même accueille chaque saison dans son théâtre de Milan de jeunes créateurs prometteurs. Quant au roi du cachemire Brunello Cucinelli, il a créé un centre d’apprentissage aux métiers artisanaux au sein de sa société en Ombrie pour former les designers de demain.

Malgré cette main tendue, les jeunes talents et les petites entreprises manquent encore de visibilité médiatique – en partie à cause du parti pris des journalistes et des pressions exercées sur les magazines de mode par les publicitaires et les marques influentes.

Linda Loppa, figure emblématique de la mode, dirige aujourd’hui la plateforme Strategy and Vision, établie à Paris et destinée à consolider et développer les relations internationales avec l’école de mode italienne Polimoda : « Des organisations comme Pitti Immagine font beaucoup pour aider les jeunes créateurs en leur donnant un support médiatique, de la visibilité et l’opportunité d’entrer en contact avec les plus grands acquéreurs de vêtements pour hommes. En ce qui concerne la mode femme, c’est beaucoup plus compliqué. »

« Il est certain que le rôle de Sara Maino dans le Vogue Talents et d’autres initiatives a été fondamental. Personne avant elle ne s’était vraiment intéressé à la promotion de nouveaux talents », explique Paola Bertola, professeure de l’École Polytechnique de Milan. Cette dernière a aussi coorganisé l’exposition Le Nouveau Vocabulaire de la mode italienne, qui rend hommage aux nouvelles icônes de l’industrie de la mode.

« Je crois qu’il est très important pour les étudiants d’interagir avec des designers accessibles et capables de leur consacrer du temps pour leur expliquer le fonctionnement de l’industrie de la mode. »

Lorsqu’elle ne voyage pas aux quatre coins du monde, à Helsinki, Tel Aviv, Tokyo ou Addis-Abeba pour chasser les futurs candidats et qu’elle ne court pas aux défilés pendant les fashion weeks, Maino est devant son ordinateur. Là, elle compulse les centaines de candidatures reçues par mail et passe en revue les portfolios téléchargeables sur le lien « Vogue Upload Your Vogue Talent », créé en septembre dernier.

Dès que le battage médiatique autour des shows s’estompe, elle travaille toute l’année auprès des jeunes créateurs qu’elle aide à tisser des liens. Choisir la bonne méthode de fabrication, créer des connexions solides avec des créateurs plus expérimentés riches de conseils pratiques.

« Je crois qu’il est très important pour les étudiants d’interagir avec des designers accessibles et capables de leur consacrer du temps pour leur expliquer le fonctionnement de l’industrie de la mode », dit Maino.

À la fin de notre entretien, elle retourne s’asseoir derrière son bureau en désordre et réfléchit à sa carrière.

« Les voir avancer est ma plus grande source de plaisir à la fin de la journée. Dans ce milieu, on ne peut pas s’attendre à ce que les gens nous remercient pour ce qu’on fait. Mais voir que j’ai insufflé un nouvel élan au monde de la mode et donné naissance à une nouvelle génération de créateurs, c’est ce qui me fait avancer. »

Cet article est extrait du dernier numéro du Magazine Antidote : Now Generation, disponible sur notre eshop.

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