Suite à la mort de George Floyd, étouffé à Minneapolis lors d’une arrestation par des policiers blancs, la présence de statues et autres symboles de l’oppression raciste dans l’espace public est plus que jamais remise en cause à travers la planète. En parallèle, des étudiants en droit à Lille militent pour commémorer le chevalier de Saint-George, surnommé le « Mozart Noir », au sein de la capitale des Hauts-de-France.
L’électrochoc de la vidéo partagée en masse sur les réseaux sociaux de la mort donnée à l’afro-américain George Floyd par un policier embrase le monde. Des milliers de manifestants à travers la planète scandent la devise « Black Lives Matter » afin de dénoncer la violence et le racisme systémique envers les Noirs. Des noms résonnent douloureusement dans tous les esprits : Trayvon Martin, Michael Brown, Eric Garner, Jonathan Ferrel, John Crawford, Ezell Ford, Breonna Taylor… De fait, en 2020, aux États-Unis d’Amérique des individus noirs font l’objet d’exécutions par les forces de l’ordre en raison de leur couleur de peau.
La violence à l’encontre des Noirs n’est pas uniquement une affaire étatsunienne. La pression populaire demande également aux pays d’Europe d’entreprendre un travail de remise en cause de leurs institutions afin de parvenir enfin à une égalité civique réelle entre les individus. À travers un tweet au footballeur Kylian Mbappé, le rappeur Booba a, à sa manière, appelé à ce que chaque pays fasse sa propre introspection. En France, maître Yassine Bouzrou, avocat de la famille d’Adama Traoré, pointe les contradictions entre les différentes dépositions qu’ont faites les gendarmes lors de l’arrestation d’Adama Traoré, mort peu de temps après l’interpellation. Après le succès de la manifestation du 2 juin, un nouvel appel à la manifestation du comité « La vérité pour Adama » a été lancé pour ce samedi 13 juin.
Partout dans le monde, la population s’attaque aux symboles de l’oppression raciste ou raciale. Il y a quelques jours, la statue du marchand d’esclaves Edward Colston était jetée dans le port de Bristol. Il y a une semaine, les Belges de la commune de Tervuren vandalisaient quant à eux la statue de Léopold II, colonisateur du Congo pour son profit personnel. Aux États-Unis, depuis plusieurs années, un bras de fer à lieu entre les habitants de nombreuses villes afin de déboulonner les statues de généraux défenseurs de l’esclavagisme dans le cadre de la guerre de Sécession, comme par exemple à Charlottesville pour la statue du Général Robert Lee, ou plus récemment la statue du Général Williams Carter Wickham à Richmond. Dans un tweet du 11 juin, la démocrate Nancy Pelosi appelait elle à retirer les statues des confédérés du Capitole.
Photo : la statue d’Edward Colston jetée dans le port de Bristol.
Un mouvement populaire semble indiquer la fin de la glorification de l’esclavagisme et de la ségrégation dans l’espace publique. Célébrer par des monuments des personnes qui ont concouru à l’oppression raciste ne peut pas conduire à une société juste et égalitaire. Un pays doit choisir à travers ses symboles les valeurs qu’il défend ; celles qu’il veut promouvoir pour l’avenir. La statue d’un grand personnage de l’histoire doit servir d’exemple, de modèle pour la société actuelle et pour les générations à venir.
À Paris, en ce moment même, des voix se font entendre concernant la place d’honneur de la haute statue du brutal Maréchal colonial Gallieni sur la place Vauban, devant l’hôtel des Invalides. Les réseaux sociaux oscillent entre la demande de la destruction des traces de ce passé colonial et le déplacement des statues dans des musées afin de contextualiser leurs érections, tandis que d’autres pensent qu’il faut laisser ces statues en place et les accompagner d’explications.
Que faut-il faire de l’enseigne « Au nègre joyeux » place de la Contrescarpe à Paris ? Que faut-il faire de l’enseigne « Au planteur » représentant un noir dénudé servant un colon rue des Petits-Carreaux, toujours dans la capitale ? Supprimer toute trace du passé colonial pourrait conduire à la destruction des preuves du colonialisme, de la traite des noirs, du ségrégationnisme. Il n’est pas davantage acceptable de continuer à célébrer des scènes ou des individus aux valeurs ne correspondant pas au temps présent.
Visuel : la proposition de Banksy pour remplacer la statue d’Edward Colston à Bristol.
Banksy propose à la ville de Bristol de remplacer la statue du marchand d’esclave bienfaiteur de la ville, par une statue à la gloire du déboulonnement : il s’agirait de remplacer la statue de l’esclavagiste en cause, et de l’accompagner d’autres statues de bronze représentant la foule déboulonnant la statue de l’esclavagiste. Banksy propose ainsi de ne pas taire l’histoire, sa proposition est un moyen de commémorer le souvenir de la traite des Noirs et la prise de conscience par la population de l’occupation de l’espace public par de telles statues.
En ce sens, l’essayiste Karfa Diallo, qui dirige l’association internationale Mémoires & Partages, participe depuis des années à faire reconnaître le passé négrier de la ville de Bordeaux, notamment par l’obtention du placement de plaques explicatives sous les noms des rues portant le nom de marchands d’esclaves. C’est ainsi que ces rues gardent la mémoire du passé, la mémoire de l’exploitation humaine. Subsiste encore des noms d’esclavagistes à Nantes, La Rochelle, au Havre ou à Biarritz, au sein du quartier de la Négresse.
Plusieurs étudiants de la faculté de Droit de l’Université de Lille veulent aller plus loin. Ils considèrent qu’au-delà d’un devoir de mémoire, il est nécessaire de sortir de l’oubli les grands personnages non blancs de notre histoire. En ce sens, ces étudiants militent depuis plusieurs années auprès de la municipalité pour qu’une rue ou une place de Lille soit baptisée du nom du chevalier de Saint-George. Ce héros du XVIIIe siècle, né esclave en Guadeloupe, s’illustre en tant qu’homme des Lumières. Reconnu, affranchi et éduqué par son père colon, le chevalier de Saint-George prend en main son destin et son émancipation. Il devient un compositeur reconnu, y gagnant le surnom de « Mozart Noir », un escrimeur d’élite, et un virtuose du violon. Il embrasse les idées des Lumières et organise la légion des hommes noirs au service de la République. En garnison à Lille, il empêche un coup d’état militaire contre la jeune République. Abolitionniste, il contribue à l’émancipation des esclaves des empires coloniaux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Comment un tel personnage a-t-il pu disparaître de la mémoire lilloise, quand le colonisateur Faidherbe y a une statue, et qu’une place ainsi qu’un lycée y portent encore son nom ? Les étudiants de la faculté, attachés aux droits de l’Homme, veulent réparer cette injustice commise envers un héros noir de l’histoire française.