Rencontre avec Juan Alvear, le nail artist favori des popstars

Article publié le 29 mai 2020

Art
Texte : Julie Ackermann.
Photo : Juan Alvear @nailsbyjuan.nyc.
29/05/2020

Il a réalisé des ongles pour Charli XCX, FKA Twigs, Lil Nas X, Arca, Kelsey Lu ou encore Kim Petras. Juan Alvear, alias @nailsbyjuan.nyc sur Instagram, repousse les limites du nail art et remet en cause les normes policées de la beauté en nous plongeant dans un univers de conte de fée sous acide. Rencontre.

Vous avez sûrement aperçu ses créations dans le clip « Aute Cuture » de Rosalía. Mutée en harpie-cyborg, la nouvelle promesse de la pop espagnole y exhibait de longues griffes recouvertes de roses, d’épines et de strass leur donnant du relief. À 25 ans, Juan Alvear nous donnait à travers ce clip une leçon de maximalisme weird et faisait de l’ongle – déjà symbole de pouvoir pour la dynastie chinoise des Ming (1368-1644), ou pour les communautés afro-descendantes – une sorte d’arme aiguisée support d’un empowerment féministe.
S’inscrivant dans le mouvement de renouveau stylistique du nail art, le New-Yorkais s’est imposé de par son approche décomplexée, dynamitant les standards de beauté et de genre. Avec lui, l’ongle est un accessoire politique et participe à la réinvention de soi. À l’esthétique néo-libérale policée et froide – celle de l’écran HD et du smartphone -, Juan Alvear oppose un artisanat monstrueux et bordélique. Aux objets connectés et à l’humain augmenté, l’artiste préfère des extensions corporelles réelles exaltant un savoir-faire, supports d’une créativité provocante et forcément clivante.
Plus extravagants les uns que les autres, ses ongles-œuvres d’art s’invitent partout. Au-delà des clips de Rosalía, ils s’affichent lors de performances artistiques (Arca), de concerts (Björk), de campagnes de mode (Xander Zhou) et sur les podiums (Telfar). Car Juan Alvear cultive une identité à 360 degrés. Riche en couleurs et en motifs psychédéliques, sa pratique ne se circonscrit d’ailleurs pas seulement au nail art. En plus de contaminer le corps humain de sa fantaisie excentrique, elle s’étend à la peinture, au dessin ou encore à la sculpture.
S’il fallait lui trouver des prédécesseurs, il faudrait donc sans doute regarder du côté des artistes outsiders et vers la scène artistique du Chicago des années 60, animée par les groupes The Hairy Who et The Chicago Imagists, dont l’artiste Karl Wirsum était l’un des membres. Comme eux, Juan Alvear a un goût prononcé pour les formes populaires (graffitis, tatouages, cartoons, jeux pour enfants, etc.) et cultive une intrépidité juvénile spontanée. Une irrévérence qui s’incarne aujourd’hui dans une contre-culture post-ado florissante sur les réseaux dont Juan Alvear fait partie. Au croisement du néo-hippie et du néo-punk, rencontre avec un artiste qui souffle un vent d’air frais sur l’art contemporain.

ANTIDOTE. Comment en êtes-vous venu au nail art ?
JUAN ALVEAR. De façon très organique. Quand j’étais étudiant à la Cooper Union for the Advancement of Science and Art à New York, j’ai commencé à collectionner les vernis à ongles pour peindre sur mes toiles. Un jour, je les ai apportés à l’école et j’ai commencé à peindre les ongles de mes amis. J’ai alors créé un finsta [un « fake Instagram », soit un compte secondaire non officiel, ndlr] pour recenser les ongles « ratés ». Peu à peu, les ongles sont ainsi devenus le socle de ma pratique. D’autant que lorsqu’on vit à New York, une ville où l’on manque de place, ces derniers sont des supports idéaux du fait de leur petite taille.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Les dessins animés, les jeux vidéo, les jouets… La fusion esthétique du monde organique et de la fantaisie m’intéresse. Le monde marin, le règne végétal et les insectes retiennent pour cette raison mon attention car ils diffusent quelque chose de merveilleux. Je dois aussi avouer que j’aime ce qu’on appelle les « images maudites » [cursed images en anglais, ndlr] car elles explorent l’étrange et le familier. Mon travail est empreint de la sensibilité que j’ai pour ces images.
Essayez-vous de vous affranchir des normes du beau avec votre travail ?
Il s’agit avant tout d’expérimentations ayant pour but de créer quelque chose de nouveau. Je ne me reconnais pas dans les traditions existantes et je veux questionner leur fabrique, comme celle du beau. Cela est possible grâce à l’émergence de nouveaux imaginaires permis par internet et les réseaux sociaux. C’est grâce à cela que mon travail existe.
La plupart de vos ongles ne sont pas très pratiques. Ils sont souvent très longs, potentiellement lourds. Il est difficile de manipuler des objets, d’écrire sur son téléphone ou de travailler avec…
C’est vrai. Mes ongles ne sont pas très pratiques mais ils ne sont pas faits pour l’être ! Cependant, il est faux de penser qu’il est impossible de faire quoi que ce soit avec. Car s’ils figent parfois les mains et les scellent, la plupart du temps, ils changent surtout la façon dont une personne se meut. Quand j’ai travaillé avec Arca par exemple, tout en portant des ongles très longs, elle a été capable de monter sur un taureau mécanique et de faire du pole dance ! Porter des faux ongles est une expérience corporelle. Les miens sont des sculptures portables et vivre avec relève de la performance.
Y-a-t-il des personnalités avec qui vous aimeriez collaborer ? Dans une interview vous avez notamment cité Rihanna…
Je ne suis pas sûr de pouvoir choisir quelqu’un avec qui je rêverais de collaborer. Car chaque personne apporte quelque chose de nouveau. C’est un privilège d’être capable de rencontrer autant de gens et j’adore l’idée de pouvoir rencontrer de nouvelles personnes dans le futur.
Vos ongles sont des pièces uniques. Avez-vous pour projet de les commercialiser ou de dessiner de faux ongles pour une marque ?
Oui, pourquoi pas. Mais je veux produire des éditions limitées et ne pas avoir à me censurer.
Même si vous rencontrez beaucoup de succès avec vos ongles, vous ne voulez pas vous limiter au nail art. Pourquoi ?
Parce que je veux me laisser la liberté de grandir et d’évoluer. J’ai besoin d’aller de l’avant, de questionner ce que j’ai fait par le passé, de continuer d’expérimenter. C’est essentiel pour moi. Aujourd’hui, je peins, je sculpte, je fais des ongles, je commence également à dessiner des bijoux. Demain, je serai peut-être tout cela plus autre chose…
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Il y a quelques mois, dans l’artist-run space Treize à Paris, vous avez exposé pour la première fois vos peintures. Pouvez-vous expliquer le titre de l’exposition : « Just a French tip » ?
C’était un jeu de mot sur les expressions « Just a tip » et « French manucure ». Il s’agissait d’ailleurs de ma première exposition solo. C’est un début et je veux aller plus loin.
Votre style semble très spontané. En quoi vos peintures reflètent-elles votre processus créatif ?
Je me laisse guider par le hasard et la sérendipité. Mon processus est instinctif et similaire à l’expérience d’une navigation sur Internet. Je vais de pages en pages, je saute de liens en liens. D’abord je me perds puis je retrouve mon chemin. Il est très important de se perdre, cela permet de découvrir des indices qui aident à poursuivre une toile.
Sur plusieurs tableaux, vous avez écrit des déclarations telles que « Il y a un serpent bizarre dans la pièce » ou « Je suis vraiment content d’être venu ». D’où vous viennent ces phrases dont le style graphique évoque celui des tests CAPTCHA utilisés pour différencier un utilisateur humain d’un ordinateur ?
Elles sont issues de paroles que j’entends, de textes que je lis ou de notes prises sur mon téléphone. Elles évoquent les tests CAPTCHA parce qu’elles ne sont pas standardisées et leur origine n’est pas connue du spectateur. Ce dernier a besoin de temps pour les lire. Un robot ne pourrait pas le faire. Comme pour un CAPTCHA, si vous parvenez à lire le texte, c’est que vous êtes un humain. Mes toiles célèbrent le geste de la main humaine et non celle de la machine. Sur la toile, j’incorpore du vernis à ongles, des paillettes et de la peinture qui boursouffle la toile. J’emploie des fournitures cheap et je les élève en créant des mash-ups faits main et imparfaits. Mes toiles ont ainsi une qualité bricolée, ludique, colorée et bancale. Cela les rend attrayantes et même commerciales, ce qui ne me dérange pas.

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