Instagram s’apprête à interdire les filtres qui imitent la chirurgie plastique

Article publié le 22 octobre 2019

Photo : Jocelyn Wildenstein.
22/10/2019

Accusés d’être à l’origine de la recrudescence des actes de chirurgie esthétique chez les plus jeunes et d’une confusion entre notre identité réelle et notre identité virtuelle.

Ils s’appellent « Bad Botox », « Plastica », « Princess Carolyn » ou encore « Holy Natural » et permettent à ceux qui les utilisent de creuser leurs joues, rehausser leurs pommettes, gonfler leurs lèvres ou encore affiner leur nez tout en lissant la peau et gommant les imperfections. Imitant des opérations de chirurgie esthétique ou des injections de botox et autres fillers, ces filtres devenus ultra-populaires sur les réseaux sociaux offrent la possibilité de se créer une version de soi idéalisée sans avoir pour autant à passer sous le bistouri. Mais parce qu’ils seraient à l’origine de l’augmentation du nombre d’interventions chirurgicales chez les plus jeunes et, plus grave encore, auraient un impact négatif sur l’estime de soi et la santé mentale, ces filtres devraient bientôt disparaître d’Instagram. C’est en tout cas ce qu’a annoncé l’entreprise Spark AR, en charge du développement de ces effets en réalité augmentée conçus pour le réseau social. « Nous voulons que les effets Spark AR offrent une expérience positive et nous allons donc ré-évaluer nos politiques existantes en ce qui concerne le bien-être des utilisateurs», a-t-elle déclaré dans un communiqué publié sur Facebook. En conséquence, tout filtre lié à la chirurgie esthétique sera prochainement supprimé et interdit tandis que l’approbation de tout nouvel effet sera retardée par mesure de précaution.

Car ces filtres (que les utilisateurs peuvent créer eux-mêmes) joueraient un rôle prépondérant dans le développement d’une nouvelle maladie mentale baptisée par les scientifiques « dysmorphie d’Instagram », sur le modèle de la « dysmorphie de Snapchat », un terme inventé par le chirurgien esthétique britannique Tijion Esho pour désigner une pathologie classée parmi les troubles obsessionnels et compulsifs et qui se caractérise par une confusion entre son identité réelle et son identité virtuelle. Résultat, comme le démontrait une étude relayée par Le Parisien en février dernier, les 18-34 ans ont désormais davantage recours à la chirurgie plastique que la tranche des 50-60, pourtant plus exposée aux marques du temps. Et à mesure que les selfies retouchés et idéalisés avant d’être postés s’imposent comme la norme et pullulent sur les réseaux sociaux, les canons de beauté évoluent sous leur influence. Ainsi, à l’heure où l’on prône un retour au naturel dans une quête d’authenticité, dans l’univers de la beauté l’artificialité s’impose paradoxalement plus que jamais.

Si les filtres imitant les effets de la chirurgie plastique, développés par des digital designers comme Teresa Fogolari (conceptrice du filtre « Princess Carolyn » ou encore de « Plastica », un effet au nom bien choisi qui a d’ores et déjà été utilisé plus de 200 millions de fois), se sont imposés, c’est parce qu’ils permettent d’accéder au fantasme du remodelage de son propre corps et d’atteindre soi-même un niveau de « perfection » physique virtuel, similaire à celui que l’on voyait auparavant dans les magazines sur les portraits photoshopés. Une perte de contact avec la réalité qui conduit de plus en plus de personnes à se rendre chez leur chirurgien non plus avec une photo d’Angelina Jolie mais avec un selfie d’eux même en version améliorée auquel elles veulent à tout prix ressembler. Dans le pire des cas, cette utilisation excessive des filtres façon chirurgie esthétique peut déclencher et nourrir le trouble de dysmorphie corporelle et conduire à une préoccupation démesurée voire imaginaire de ses « défauts ». Un mal pas si rare puisqu’il toucherait une personne sur cinquante.

Alors que des études précédentes ont déjà démontré l’impact néfaste des réseaux sociaux sur l’estime de soi et leur rôle dans la naissance de maladies mentales, tandis que des scientifiques viennent d’élire le visage de Bella Hadid – largement suspecté d’avoir été retouché – comme étant le plus parfait du monde, cette nouvelle décision d’interdire de tels filtres – qui ne concernera cependant pas Snapchat – semble nécessaire. Pourtant, rien qu’à en voir leur nom et l’image de nous-même qu’ils renvoient, exagérant à l’extrême les caractéristiques d’un visage remodelé, certains de ces filtres semblent pourtant au contraire se moquer de l’absurdité des critères de beauté standardisés pour ironiser sur le physique de personnalités telles qu’Amanda Lepore, Kylie Jenner ou encore Kim Kardashian. Dans un entretien avec le magazine britannique Dazed, Teresa Fogolari confesse d’ailleurs s’être inspirée de Jocelyn Wildenstein pour concevoir l’un de ses filtres qui tourne presque en dérision les ratés de la chirurgie. De plus, si aucune indication concernant la date à laquelle commencera cette interdiction n’a été communiquée, la dissociation entre un filtre qui imite un visage opéré et un autre qui reproduit un maquillage obtenu grâce au contouring est parfois compliquée. D’autant que le propre du contouring – une pratique popularisée par le drag et la marque de cosmétique de Kim Kardashian, utilisée pour redessiner les formes du visage grâce au maquillage – est de créer, comme ces filtres, une illusion.

À lire aussi :

Les plus lus

Camille Etienne : « On n’est plus une société de l’effort, on est une société du confort »

Après avoir grandi au cœur des montagnes savoyardes et intégré Sciences Po, Camille Étienne s’est imposée comme l’une des figures phares de l’activisme écologique, notamment en diffusant des vidéos virales sur Youtube, où elle insiste sur la nécessité d’agir au plus vite pour limiter le dérèglement climatique. À travers cet entretien, elle évoque comment sortir de l’impuissance face à la destruction des écosystèmes, revient sur ses actions de désobéissance civile et les menaces de mort qu’elle a reçues, et explique comment elle a contribué à faire changer d’avis Emmanuel Macron sur l’exploitation minière des fonds marins, initiant ainsi un mouvement international.

Lire la suite

STEP’N ou comment gagner de l’argent en marchant

STEP’N est un crypto-game « move to earn » qui garantit un revenu quotidien à ses utilisateur·rice·s quand ils·elles marchent ou courent. Le projet est encore en phase bêta, mais il a déjà connu un engouement important dans la cryptosphère. Prémices d’une nouvelle économie qui permet de créer des jobs-loisirs ou modèle dystopique voué à disparaître ?

Lire la suite

Oulaya Amamra : « On chuchote beaucoup, et on ne hurle pas assez »

L’affiche de deux films à la rentrée (Fumer fait tousser, de Quentin Dupieux, et Citoyen d’honneur, de Mohamed Hamidi), dans des registres extrêmement différents qui révèlent toute l’étendue de sa polyvalence, Oulaya Amamra a achevé sa mue et s’impose comme l’une des actrices françaises phares de sa génération.

Lire la suite

Oulaya Amamra : « We whisper a lot, and we don’t yell enough. »

Starring in two films this fall (Smoking Causes Coughing by Quentin Dupieux, and Citoyen d’honneur by Mohamed Hamidi), in extremely different registers that reveal the full extent of her talent, Oulaya Amamra has completed her moult and established herself as one of the leading French actresses of her generation.

Lire la suite

Pourquoi le concept de « décroissance » est-il tabou ?

Alors que, sur fond de crise climatique et énergétique majeure, les décideur·se·s de tous bords nous encouragent à faire preuve de sobriété dans nos modes de consommation, un tabou demeure : celui d’une éventuelle décroissance. Dans un système dont croître est la raison d’être, comment s’autoriser à changer de paradigme ? Petit tour d’horizon de celles et ceux qui ont posé les jalons de ce courant de pensée et de leurs arguments.

Lire la suite

Newsletter

Soyez le premier informé de toute l'actualité du magazine Antidote.