Toujours aussi politique que poétique, Benjamin Biolay revient déjà avec Volver, un neuvième opus solaire imaginé entre Paris et Buenos Aires. Le chanteur dévoile ici comment le 13 novembre a influencé ce nouvel album, se confie sur sa relation avec son ex-belle mère Catherine Deneuve et explique pourquoi vous ne devriez pas avoir honte d’écouter Shakira.
Après le succès de Palermo Hollywood et moins d’un an après sa sortie, vous êtes déjà de retour avec un nouvel album, pourquoi si vite ?
Il me semblait dès le début que Palermo Hollywood allait être un double album donc j’ai travaillé sur beaucoup de chansons. Quand je me suis rendu compte par la suite que le double album posait problème, je me suis focalisé sur une vingtaine de chansons qui sont devenues Palermo Hollywood et j’en ai laissé une vingtaine en travaux. Je les aimais tout autant, elles n’étaient pas des fonds de tiroir. On m’a donné l’accord de sortir la suite si le volume 1 marchait.
Il aurait du s’appeler Hollywood Palermo mais s’appellera finalement Volver, pourquoi ?
Ça faisait beaucoup pour la maison de disques d’en avoir un qui s’appelle Palermo Hollywood et l’autre Hollywood Palermo. Puis, les morceaux en travaux ont beaucoup évolué et ce n’était plus tout à fait une suite mais plutôt un retour – Volver, c’est revenir en espagnol.
Volver est aussi le nom du drame féminin de Pedro Almodovar dans lequel la mère de l’héroïne revient de parmi les morts, établissez-vous un quelconque parallèle avec ce film ?
Oui mais je n’y pensais pas trop, je pensais plutôt à la chanson de Carlos Gardel qui est une des plus belles et plus vieilles chansons de tango et où les personnages reviennent à l’endroit où ils avaient vécu il y a longtemps. En se regardant dans la glace, ils se rendent compte qu’ils ont les tempes grises. C’est une très belle chanson sur le retour. Pedro Almodovar en parle aussi dans son film mais je n’y ai pensé que plus tard. Il est d’ailleurs impossible qu’il ait appelé son film ainsi sans penser à Carlos Gardel tellement sa chanson est un symbole dans la langue espagnole.
Comment l’Amérique Latine influence-t-elle votre musique ?
Cela fait plus de vingt ans que je fais des allers-retours en Amérique Latine et en Argentine et ma musique en est influencée depuis longtemps. L’Argentine est située à l’autre bout du monde mais est peuplée majoritairement d’immigrés européens. En réalité, la musique de Buenos Aires n’est pas tellement éloignée de la nôtre, ce n’est qu’en allant dans les terres ou d’autres villes que tu entends des rythmiques un peu plus latines. J’ai eu vraiment envie d’en parler avec cet album.
Pourquoi n’en parler que maintenant ?
Ça a mûri lentement. Ça touchait à ma vie privée, donc au début c’était une espèce de jardin secret. Puis j’ai eu envie de rendre hommage à cet endroit que j’aime de plus en plus en le connaissant.
Le premier single que vous avez dévoilé, Roma (amoR), est teinté de sonorités disco, de rock et de reggaeton, pourquoi inaugurer cet album avec celui-ci ?
Ce mélange de sons est vraiment la quintessence de la culture de Buenos Aires. La plupart des gens sont d’origine italienne et il y a eu beaucoup de chanteurs argentins de variété dans les années 1950-1960 qui sonnent exactement comme les « ritals », les mêmes fringues, la même façon de chanter.
Beaucoup de tubes mainstream sont aujourd’hui infusés de pop latino, elle aussi très à la mode, aimez-vous la musique commerciale ?
Je ne ferai jamais de musique commerciale, je ne me considère pas comme un chanteur populaire mais pas non plus comme quelqu’un de spé’ et underground. Mais quand ça passe, je ne vomis pas dessus. Il y a même des trucs que j’aime bien. Si Enrique Iglesias ou Diego Torres font une bonne chanson, tant mieux. Il y a même des titres de Ricky Martin que je trouve très bien. Shakira aussi a fait de bonnes choses. Je suis assez fairplay là-dessus. Il y a d’ailleurs des gens dans l’industrie qui ont des postures de grosses cailleras et qui font de la super variété. La musique, moins ce sera sectaire, mieux ce sera. Derrière de très gros tubes commerciaux, il suffit de tendre l’oreille pour entendre un producteur extraordinaire. Les producteurs de talent savent s’adapter, il suffit de regarder Rick Rubin qui a produit aussi bien les Beastie Boys que les Red Hot Chili Peppers ou Jay-Z, parce qu’il aime la musique et il ne se pose pas la question de savoir si c’est du rap ou de la soupe. Même les enfants spontanément ne font plus cette différence, ma fille de 13 ans écoute parfois des trucs de camping et d’autres fois des trucs super pointus. Les gens sont snobs, ils ne l’avouent pas mais tout le monde écoute des trucs cheesy.
Vous venez de publier le clip de Volver sur Youtube, que pensez-vous du fait que la musique soit de plus en plus consommée en ligne ?
Je l’accepte. C’est un débat qui va beaucoup plus loin que ma vie et même ma musique… l’importance des réseaux, de la cybernétique, aujourd’hui tout le monde a un smartphone, le transhumanisme, l’Intelligence artificielle… Ça ne me rassure pas des masses, ça me rappelle l’angoisse de la bombe atomique quand j’étais petit. Mais en ce qui concerne la musique, je n’aurais jamais imaginé cette digitalisation étant petit. En tant que mélomane et fou de musique, j’aurais adoré avoir 18 ans aujourd’hui. Il faudrait vraiment être un vieux con débile pour trouver ça naze, ça aurait été mon rêve d’avoir accès à un tel catalogue, plutôt que de faire 250 magasins de disques où je me faisais jeter.
Depuis le début de votre carrière, vous êtes un témoin privilégié de l’évolution de l’industrie musicale. Quelles en ont été les transformations les plus importantes ? Est-ce la disparition du CD ?
Non parce que le CD est un format bâtard, on a toujours senti que c’était un support transitoire. Ça encombre la pièce, et en plus ça n’est pas beau ! Je m’attendais à ce qu’il en prenne plein la gueule, même quand il est arrivé quand j’étais petit, on se disait : « ça shlingue ». Essaye de faire une discothèque de CD et tu verras, c’est affreux, avec toutes les tranches super différentes. Et le son… il n’est pas mauvais mais bien trop numérique. C’est à dire que tu entends des trucs que tu n’es pas censé entendre. Aujourd’hui avec certaines compressions mp3 ou mp4, tu retrouves ce truc qui lie un peu tout.
Vous êtes présent sur Instagram, faut-il se méfier des réseaux sociaux ?
Personnellement, je ne suis que sur Instagram. Je trouve ça marrant. J’adore la photo et je suis abonné à des milliers de gens, même des gens au fin fond du monde, qui ne prenne qu’une photo de leur yaourt. Je le trouve cool ce réseau, il n’y a pas de blablas, moins de trolleurs. Après s’en méfier ? Oui pour les jeunes gens, il faut faire attention mais comme pour n’importe quel réseau de toute façon. Avec toute invention, tu peux faire de la merde, c’est bien connu.
Vous êtes toujours resté discret sur votre vie privée mais invitez dès le premier morceau de ce disque votre ex-femme Chiara Mastroianni. Elle fait aussi une apparition à la fin du clip Roma (amoR), pourquoi ce clin d’oeil ?
On est séparé mais on se voit quasiment tous les jours, on a des enfants ensemble, on aime les mêmes choses, elle adore chanter avec moi, j’adore quand elle chante avec moi. Elle m’a dit : « il faut absolument qu’on fasse un truc ensemble, un truc qui bouge parce que moi je chante toujours sur les ballades », je lui ai répondu : « je te préviens, je fais un truc un peu cul », et ça l’a fait marrer. On aurait pu faire des scènes d’amour au cinéma ensemble, ça reste une composition, et puis on se connait par cœur et on est heureux de faire des choses ensemble. Pour le clip, j’avais envie qu’elle incarne ce concept, la mort, Roma ! Ca me paraissait logique. La chanson s’appelle ainsi parce qu’en l’écrivant, j’étais en Argentine avec mon pote Dante dont la fille s’appelle Roma et il s’est fait tatouer « ROMA – AMOR » sur les doigts de chaque main.
Plus loin, vous racontez avec votre ex-belle mère Catherine Deneuve dans Happy Hour…
« Ex » pour l’état civil mais nous avons toujours la même relation. Comme je parle très peu de ma vie privée, les gens ne savent pas vraiment quelle relation j’entretiens avec Catherine Deneuve. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et que je connais très bien. La voix de Catherine Deneuve sur ce morceau, pour cet espèce de faux sample d’un film, est idéale. Et j’avais adoré le ton qu’elle avait dans La Chamade, cette espèce de froideur hyper sexy avec une diction très particulière. Nous avions déjà chanté ensemble avant pour des compiles ou pour la fin d’un film. La vie fait bien les choses.
Dans le titre, vous racontez un Paris triste et éteint, en réaction au 13 novembre ?
C’est le Paris qui venait de s’en prendre plein la gueule. La ville a repris du poil de la bête depuis la chanson, les gens sont plus sereins. La chanson a été écrite dans un moment où tout le monde flippait encore en terrasse, c’est ça que je raconte. Paris reste un grand concept, comme Roma, ça fait rêver les gens. Voir ce Paris acculé, c’est aussi une réalité.
Si vous deviez choisir entre l’Argentine et Paris
Ça ne va pas faire plaisir, mais si je n’avais pas d’enfants, je ne serais pas là…
Cette vie de famille a-t-elle une influence sur votre musique ?
Oui, par exemple la chanson Hypertranquille qui est sur le disque, au début, c’était pour faire marrer ma fille qui me traite de vieux ringardos. Puis tout le monde a fini par s’attacher à cette chanson alors pourquoi ne pas la mettre !
Vous reprenez aussi Avec Le Temps de Léo Ferré, pourquoi se mesurer à un tel monument ?
Je ne sais pas, c’est venu spontanément. Au studio, on s’amuse à faire des reprises, et Avec Le Temps est ma chanson préférée. En réécoutant l’enregistrement, je me suis dit que c’était pas mal et que j’allais pouvoir la retravailler et la mettre sur l’album. Et si je me fais pourrir, tant pis. Dans tous les cas, ce sera soit parce que je suis trop neuneu, soit parce que je me la pète trop. Elle ne sera jamais aussi bien que l’originale mais si j’arrive à lui donner une toute petite touche personnelle, c’est déjà pas mal. Quand je la chantais, je pensais chaque mot ! Je ne dis pas que j’aurais pu les écrire, mais à aucun moment je ne joue la comédie.
Votre musique s’exporte-elle à l’étranger ?
Pas mal oui, et depuis le début, j’ai de la chance. C’est un travail qui ne se voit pas d’ici mais que je fais depuis longtemps. Si je fais de la musique, c’est aussi pour pouvoir jouer partout et ne pas rester qu’en France. Je marche bien en Allemagne, en Europe du Nord, en Espagne, ça commence à prendre au Portugal. Par contre en Amérique Latine, ça fait super longtemps. Ça fait dix douze ans que je fais des tournées dans tous ces pays, parfois on se retrouvait à faire une tournée allemande à deux dans le mini-van… C’est comme du développement, reprendre à zéro, rencontrer un nouveau public. Il faut l’avoir fait pour se rendre compte à quel point c’est génial de jouer devant une audience complètement inconnue, qui ne sait rien de ta vie privée et qui n’a aucun préjugé. Il y a tellement de différences, c’est incroyable. Je ne dis pas que c’est mieux, mais les gens ne réagissent pas ni au même moment ni sur la même chose, ça fait du bien !
Vous avez aussi la chance de ne pas être attendu sur un seul tube par votre public. On pense notamment aux Rolling Stones et Mick Jagger qui disait que personne ne voulait écouter leurs nouveaux morceaux.
Dans leur cas, il y a saturation, tu ne peux pas consacrer autant de temps de ta vie aux Rolling Stones, il y a 50 chansons que tu kiffes et tu n’en a rien à foutre qu’ils en fassent des nouvelles, c’est assez logique. Ils sortiront peut-eêtre une dernière bombe atomique avant d’arrêter mais pas tout un album. Ils ont fait le tour de la question, mais ils ont encore envie de parcourir le monde.
Quand faut-il s’arrêter ?
Tant que les gens ont envie de vous et que vous avez encore envie d’eux. C’est comme demander à quel âge il faut arrêter le sexe : tant que ça marche encore, il faut continuer.
Vous n’imaginez donc pas encore d’ultime opus ?
Je suis comme tout le monde, j’aimerais bien un jour me dire : « celui-ci c’est le dernier et après on arrête les conneries ». C’est comme les politiques, ça ne dure jamais très longtemps, ça prend tellement de place dans ta vie. Ça fait vingt ans que je connais Françoise Hardy et ça fait vingt ans qu’elle me dit que c’est son dernier album. Et ce n’est pas de la comm’, elle le pense vraiment ! Sauf qu’un beau jour elle se réveille, elle gratte des textes et c’est reparti.
Le thème de notre dernier numéro de notre dernier magazine Antidote est Borders, que vous évoque l’idée de frontières ?
J’ai entendu des gens vouloir redessiner les frontières, de l’Atlantique à l’Oural, etc. ça a des relents du passé qui sont complètement flippants. Ceux qui en parlent, qui en font des traités, me foutent les jetons. Par exemple, quand je vois que l’espace Schengen n’est plus respecté, ça m’énerve. L’autre jour, je rentrais de Rome et on s’est fait contrôler. J’ai tellement adoré la période pré-attentats où on pouvait se balader librement dans l’Europe, avec la même monnaie. La plupart des frontières n’ont même pas été dessinées par l’homme, ce sont des montagnes, des mers. Se revendiquer de ses frontières et vouloir les fermer, c’est quelque chose qui me révolte. Le repli sur soi et l’isolationnisme ont toujours donné de la merde.
Y a-t-il des frontières dans votre créativité ?
Des limites plutôt. Je ne m’interdis rien, si un jour j’ai envie de faire un album de reggaeton, je le ferai et si ça se trouve, tout le monde se foutra de ma gueule.
À quel moment vous sentez-vous le plus libre dans votre création ?
En studio, quand il est 3-4h du matin et que je suis juste avec mes musiciens et mon ingénieur son. Je m’y sens à la fois libre et heureux. Et puis sur scène aussi, il y a bien sûr un cahier de charge mais je suis libre de faire ce que je veux. Même me barrer si j’en ai envie.
L’album Volver de Benjamin Biolay sera disponible dès le 19 mai 2017.