L’interview de Julien Doré : « Je suis fou amoureux de ma solitude »

Article publié le 13 octobre 2016

Texte : Sophie Rosemont
Photos : Marian Goledzinowski

Son quatrième album confirme sa place de choix sur la scène pop française. Self made musician et incorrigible romantique, Julien Doré nous raconte le pourquoi du comment de &.

Une esperluette. Voici le titre du nouveau disque de Julien Doré, que tout le monde attendait au tournant après l’accueil mitigé réservé à Bichon (2011), puis l’immense ferveur populaire soulevée par Løve (2013). Bonne surprise, & est remarquablement bien écrit, passant de la mélancolie à l’effervescence en toute fluidité, maniant des échos rock ou électroniques à travers un prisme pop assumé. Julien Doré cultive son timbre, délicieusement rauque’n’roll et a trouvé le bon chemin à suivre après une tournée bousculée par les attentats de novembre 2015. Løve est derrière lui mais l’amour est toujours là. Rencontre avec l’un des personnages les plus séduisants de la nouvelle scène française.

Est-ce le succès de Løve qui vous a donné l’idée de cet isolement dans les Alpes du Sud, dans ce chalet où vous avez enregistré ce nouvel album ?

Oui, il fallait une prise de distance dans un refuge de Beau où j’ai enfin pu souffler. Prendre de l’altitude permet de voir les choses de manière plus humble. Etre entouré de montagnes et d’éléments naturels si puissants, ça nous remet vite en place.

Vous pensiez en avoir besoin ?
Oui. Tout le monde se pose la question de changer sa façon de vivre. Prendre le temps des choses, c’est de plus en plus absent du fonctionnement humain, et c’est malheureux. Moi qui me sentais coupable d’avoir ce privilège de me lever le matin pour écrire des chansons et monter sur scène, je me suis demandé, suite à l’automne 2015, s’il y avait une utilité à tout ça. J’avais besoin d’y réfléchir. J’ai acheté un piano droit à Nice, je l’ai amené dans ce chalet à Saint-Martin-Vésubie, les premiers mots sont venus et l’album est né petit à petit.

Le piano est un instrument assez exigeant, n’est-ce pas ?
Je ne connais pas le solfège alors je recherche toujours, entre la main et le son qui doit venir… Cela me permet une liberté peut-être plus grande que celle d’un technicien du piano. Même s’il y a également une immense imperfection ! Il y a plus de possibles qu’avec la guitare. Depuis Løve, le piano est l’instrument qui accompagne le plus mes compositions, qui traduit le mieux mes ressentis. Dans chacune de mes chansons, aussi produites soient-elles, il reste central.

« Quand je monte sur scène, c’est le seul endroit où je suis capable de m’abandonner. »

&, c’est l’autre, l’altérité. Comment la trouver quand on s’isole ?
C’est tout mon paradoxe depuis mon enfance. Petit, je pouvais m’endormir sous une table lors d’un grand repas, m’échapper en dessinant même, dans le bruit. Je suis absolument fou amoureux de ma solitude, mais toujours ouvert à l’autre. J’ai besoin de le fuir parce que je l’aime trop, et qu’ainsi, les retrouvailles seront d’autant plus fortes. Je veux être avec lui pour l’écouter, pas seulement pour l’entendre… Dans les Alpes, j’étais isolé mais j’ai été immédiatement rattrapé par les rencontres. Il n’y a pas eu un soir sans de longues discussions au coin du feu, avec un bon verre de rouge. Et rien ne me rend plus heureux que d’être dans un tour bus avec 15 personnes, mes musiciens et mes techniciens, tout en étant être isolé dans ma bulle… Mais l’humain me passionne. C’est fou, cette capacité qu’on a, cette capacité à aimer, partager, parler. C’est essentiel d’au moins s’en souvenir, et de préserver ça.

Vous avez récemment avoué que la fin de la tournée de Løve avait été éprouvante…
Oui. Quand je monte sur scène, c’est le seul endroit où je suis capable de m’abandonner. En règle générale, j’ai besoin d’être suffisamment nourri de confiance et d’amour pour pouvoir lâcher prise. À la fin d’une tournée de 160 dates, j’étais rempli du ressenti de ceux qui étaient venus me voir, mais aussi totalement vidé. Monter sur scène, ce n’est pas rien. On est responsable d’un instant suspendu : celui d’un concert, où des centaines de milliers de personnes tournent le dos à la porte d’entrée et vous regardent, et l’on est persuadé que rien ne peut arriver parce que ce moment est hors du temps. Parce qu’on est tous là pour s’extirper ensemble du quotidien. Mais s’il se passe quelque chose, on ne peut rien faire, à part courir vite… Et je me suis demandé si j’étais utile, pour quoi je mettais des gens en danger en leur proposant de venir m’écouter.

Au point de remettre votre carrière en jeu ?
Cela prend du temps de se retrouver. Faire un disque, c’est vital pour moi. J’aurais l’impression de trahir mon public si l’un de mes morceaux ne portait pas quelque chose d’essentiel pour moi. Car j’ai réalisé qu’il fallait que j’occupe pleinement mon rôle. Que personne ne vienne me dire que d’être artiste, c’est inutile. Après m’être posé beaucoup de questions, l’évidence s’est imposé : rien n’est anodin dans le fait de d’écrire des chansons, puis de monter les jouer sur scène. Je veux aussi lutter contre ce phénomène de tout dépoétiser à cause de l’actualité. Les musiciens n’ont pas vocation à être Mickey. Bien sûr, nous sommes partie intégrante d’un commerce, mais je n’appartiens pas à cette époque où l’on pouvait sortir la même soupe pendant 10 ans. Au contraire, je passe tout mon temps sur ma musique, mes disques qui sont de véritables objets. Ma sérénité est revenue lorsque j’ai commencé à écrire les morceaux de &.

Dans &, il y a une vraie rencontre entre le synthétique et l’organique, il y a des échos urbains mais aussi un environnement naturel… Un petit monde que vous vous êtes construit ?
L’album est plus atmosphérique, c’est vrai. Ce qui a été différent, c’est que j’ai pris plus de neuf mois, j’ai travaillé avec Antoine Gaillard, le réalisateur de mon album, parfois avec mes musiciens, et les idées fusaient plus vite. Et je n’étais pas en studio, mais dans un chalet. Entourée de bois, ma voix n’est pas la même. Enfin, le rythme n’était pas le même. Le matin, on enregistrait, et l’après-midi, on partait avec mon camarade Brice sillonner les environs, filmer… Toutes ces images et ces sensations nourrissent &.

Peut-on dire que &, qui parle beaucoup d’amour, est un album romantique ?
Oui, chaque chanson est une chanson d’amour. Quand je chante « Caresse », je pense à la fois à la nature et à un possible féminin. Peut-être que je ne sais écrire que sur l’amour car je suis un animal romantique : à la fois dans l’instinctif et la sensualité, la contemplation. Le sentiment amoureux est un champ infini de pulsions de vie. Je suis éternellement insatisfait, mais, encore un paradoxe, je suis pile dans un moment où j’ai envie de construire ma vie d’homme, trouver un lieu de pierre dans le sud, mon chez-moi, m’y installer, y vivre, me concentrer sur la musique… Et sans doute adopter ou faire des enfants.

Comment marier la poésie, comme vous le faites, avec un format 100% pop, d’une pop accessible et immédiate ?
Il y a beaucoup de spleen dans mes textes, mais du solaire dans mes mélodies. Cela me faisait peur à mes débuts… Or, c’est une vraie chance. J’aime l’idée d’une danse, d’un mouvement, et je fuis ce qui est plombant : paroles tristes sur mélodies tristes, c’est fait et refait. Des cotillons sur des plaies, voilà ce que peut être ma musique. Je passe de « Coco Caline » à « De mes sombres archives » car j’aime aussi les grands écarts. C’est ce que je suis, après tout. Je peux faire des vannes, rire avec mes potes et, quelques heures après, plonger dans une profonde mélancolie. Comme tout le monde, non ? Le plus important, c’est de partager ses ressentis et ses émotions.

L’album & de Julien Doré est disponible sur iTunes et les plateformes de streaming légales.

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