L’un des dignes héritiers de Daniel Darc et d’Etienne Daho revient avec un second album confirmant son don pour la pop en clair-obscur, Echo.
On est tombé sous le charme de Mathieu Lescop en 2012, à la sortie de son premier album éponyme. Une pop froide et néanmoins entraînante, portée par des textes éthérés et une voix blanche… que l’on retrouve avec plaisir aujourd’hui sur Echo. Rencontre avec un artiste déjà accompli dont le parcours à venir s’annonce passionnant.
Antidote : Comment cet album est-il né ?
Lescop : Après une longue période de gestation. J’avais travaillé sur des nouvelles chansons à la fin de la tournée de mon premier disque, fait des essais… rien n’avait été concluant. L’été dernier, j’ai réfléchi, j’ai observé autour de moi, je me suis assis à la terrasse des cafés parisiens… et j’ai écrit une quinzaine de nouveaux textes. À la rentrée, j’ai rappelé Johnny Hostile, qui avait réalisé Lescop. Nous avons travaillé les compositions en studio, avec une guitare basse, ma voix, mes textes. L’objectif : un morceau par jour. Au final, nous en avons gardé dix.
Un morceau par jour, c’est intense. Comment l’avez-vous appréhendé ?
Je ne me suis pas posé de questions. A partir du moment où tu rentres dans un système, il ne faut pas se demander si c’est difficile ou pas. Il faut agir, c’est tout. Cette méthode finalement minimaliste m’a aidé à savoir où j’allais, et a permis de créer un dénominateur commun à l’ensemble des titres.
Qu’avez-vous lu et écouté pendant la genèse d’Echo?
Beaux et damnés de Francis Scott Fitzgerald. Un vrai personnage de chansons. Et Le Royaume d’Emmanuel Carrère, un récit vraiment intéressant sur la religion, profond, drôle et assez lumineux… Côté musique, j’écoute beaucoup Guillaume Marietta et le dernier Metronomy, que je trouve très réussi.
« Chaque chanson est une photographie dont je raconte les détails. »
Après le bon accueil de Lescop, comment affronter le virage délicat du second album ?
Le défi, c’est ne pas se poser ce genre de questions, même si c’est normal : lorsqu’on attaque le second album, on part sur une page blanche. Lescop, je l’avais mûri pendant des années. Ma vitesse d’exécution sur Echo m’a obligé à ne pas me retourner sur quoi que ce soit. Comme dit Lunatic, « pas le temps pour les regrets » ! Si tu fais des erreurs, elles t’appartiennent. Mais je voulais aussi peaufiner au maximum ma musique, tel un artisan. J’avais pris des cours de chant les mois précédant l’enregistrement, ce qui m’a appris à maîtriser ma voix, à aller davantage au bout de mes idées. J’ai pris aussi du temps pour revoir ma manière d’écrire, m’imposer des contraintes techniques comme les poètes d’autrefois.
On remarque aussi que vous cultivez toujours l’identité visuelle créée avec Lescop, depuis 2012. L’esthétique compte-elle beaucoup pour vous ?
Je voulais qu’Echo soit imagé. Chaque chanson est une photographie dont je raconte les détails. Si la pochette de l’album est un Polaroïd, ce n’est pas un hasard : il s’agit de capter l’instant – comme dans mes chansons que je souhaitais davantage ancrées dans le réel de mon quotidien.
Mais le personnage du premier morceau, David Palmer, est semblable à un personnage de film, n’est-ce pas ?
Même s’il est fictif, il est universel. C’est un chasseur, un tricheur, un menteur, on trouve chez lui un peu de chacun d’entre nous. C’est à la fois personne et tout le monde. Sauf qu’il est charismatique, et c’est pour cela que je parle de Pierre Clementi, dont la démarche de panthère dans Belle de Jour m’a vraiment impressionné.
Vous parlez de garçon dérangé, de mauvaise fille, vous mettez en lumière les défauts des gens… Tout en les rendant très attachants.
Oui, ils ont ce pouvoir de fascination qu’ont les personnes tourmentées, étranges, ambiguës… Nous vivons dans une époque où l’on doit avoir zéro défaut, façon Instagram. Et pourtant, quand on tombe amoureux, on tombe aussi amoureux d’un défaut ! Cet album parle de personnes qui se perdent et qui cherchent ce à quoi se raccrocher. Souvent, c’est l’amour qui intervient. « Flash », par exemple, évoque les lumières de la ville mais aussi l’addiction qu’entraîne l’amour, autant que la drogue. Sortir de soi et regarder l’autre, c’est bien, car on s’observe beaucoup trop sinon.
Quel est votre positionnement au sein de la nouvelle scène pop hexagonale ?
J’en fais partie. Mustang a ouvert la brèche, puis des artistes comme La Femme, Aline ou moi-même. Tout d’un coup, il y a eu de la place pour ceux qui chantaient en français et faisaient de la pop. Avant, même s’il y avait de bons groupes, rien ne pouvait faire école. Désormais, il y a un style national que les étrangers reconnaissent. Mais chaque artiste doit inventer sa propre esthétique, son propre cahier des charges… Je vois certains groupes, que je ne nommerais pas, qui veulent à tout prix faire de la pop française. Mais cela sonne vite faux.
Il y a quatre ans, nous parlions ensemble du poids énorme pour les musiciens français qu’étaient les textes de Gainsbourg, de Daniel Darc ou de Léo Ferré. Depuis, la pression semble avoir baissé…
En effet. Il y a d’ailleurs des trucs pourris qui sortent, dans ce genre de pop frenchy, parce que c’est dans l’air du temps. C’est bon signe : cela signifie qu’on a pris nos distances par rapport aux grand maitres comme Gainsbourg, Daho, Daniel Darc… Les gens osent. Même dans les émissions de télé-crochet !
Chez Lescop, on entend aussi de la cold wave et du rock anglais : comment tout concilier ?
J’ai passé beaucoup de temps en Angleterre, et je fais de la chanson française de luxe. Ce n’est pas antinomique, c’est dans mon ADN. Dans les années 90, les rappeurs français ne se posaient pas la question, eux : ils passaient leurs vacances aux Etats-Unis, et revenaient écrire leurs morceaux dans la langue de Molière. Pas de complexes !
Et pourquoi pas vivre en Angleterre ?
Peut-être. J’aime bien ce pays, mais il faut s’accrocher. Il y a un langage concurrentiel, les relations peuvent être âpres… Ce que préfère, c’est le sens de la communauté des Anglais. L’identité, c’est important chez eux. Ils sont fiers d’être Anglais, d’être de Londres ou de Manchester, d’être originaires de l’Ecosse, d’appartenir à la working class ou à la middle class… Personne ne cache son accent, contrairement aux provinciaux qui, arrivant à Paris, font souvent tout pour le gommer. On devrait s’en inspirer en France…
Vous avez un jour évoqué le terme de « variété bipolaire » en parlant de votre musique. Ou, plus récemment, de « punk fantomatique ». Vous maintenez ?
Je maintiens tout ! C’est vrai qu’en France, si on ne fait pas de variété, c’est difficile d’avoir accès aux médias. Il faut être bi-face, faire à la fois le gentil et le méchant. Le « punk fantomatique », c’est parce que je viens de cette culture là, esthétiquement et musicalement. Quand j’étais jeune, à La Rochelle, nous étions une petite bande de fans de punks. J’avais le total look, j’en ai gardé mes jeans sombres, mes Docs, des bribes dans ma musique… Mais de manière fantomatique, justement.
Pourquoi ce titre, Echo ?
Echo était la nymphe amoureuse de Narcisse. Dans l’histoire d’Ovide, elle désespère de séduire ce grand égoïste qui préfère se noyer dans son propre reflet. Echo, c’est aussi les petites voix encourageant chacun d’entre nous à nous exprimer, le chant des sirènes qui m’anime autant que mes personnages.
Plutôt jour ou de nuit ?
Echo est un album nocturne. Même si la conclusion du disque, « C’est la nuit », mène au petit matin heureux. C’est l’une de mes premières chansons vraiment positives, vous avez remarqué ? Je voulais terminer l’album sur une note légère. Quand on trouve une dissonance harmonieuse avec quelqu’un, il faut savoir s’attarder… La nuit est plus propice à vivre ces rencontres qui sont parfois impossibles le jour.
L’album Echo de Lescop est disponible sur iTunes et les plateformes de streaming légales.