Pourquoi les designers mexicains vont conquérir le monde

Article publié le 12 septembre 2017

Photo : Victor Barragán
Texte : Maxime Retailleau

À Mexico, de jeunes créateurs révolutionnent la mode en assumant leur héritage culturel latino, qu’ils réinventent à travers des collections avant-gardistes saluées à l’international.

En 2016, le designer mexicain Victor Barragán est propulsé à la fashion week de New York, où il présente sa nouvelle ligne en collaboration avec MADE, une organisation qui met en lumière les nouveaux talents de la mode. Sa collection unisexe printemps-été 2017 est remarquée par la critique, et l’impose comme la figure de proue de la nouvelle vague de créateurs mexicains, bien qu’il soit installé à Brooklyn depuis peu. Malgré son émigration, l’autodidacte de 25 ans reste très proche de l’avant-garde artistique de son pays natal, qui continue de l’inspirer : il collabore d’ailleurs régulièrement avec le label de musique électronique NAAFI (« No Ambition And Fuck-all Interest »), qui produit ses soundtracks de défilés, et parmi lequel il a recruté plusieurs mannequins.

Photos : Victor Barragán, collection printemps-été 2017

Les soirées que ce collectif organise à Mexico rassemblent les jeunes designers les plus novateurs de leur génération, et le crew a aussi donné un coup de main à Barbara Sanchez-Kane pour son dernier show. Cette créatrice réinvente le folklore national à travers ses vêtements, comme pour sa collection de fin d’études à l’école florentine Polimoda, pour laquelle elle s’est réappropriée les codes vestimentaires des « luchadores », les catcheurs masqués, symboles de la culture populaire mexicaine.

Photos : Sanchez-Kane, collection « Citizen », printemps-été 2017

Puis un an seulement après avoir fondé son label en 2015, VFiles (une plateforme qui soutient les créateurs émergents) l’a repérée et invitée à défiler à New York. L’occasion de critiquer Donald Trump à travers les termes polémiques inscrits sur certaines de ses créations (« Alternative Facts », « Moral Pride »…). « Il faut être politisé de nos jours, affirme Sanchez-Kane. Quand Trump déclare que “le Mexique envoie plein de violeurs et de personnes mal intentionnées aux États-Unis”, il parle aussi de moi ».

Photos : Sanchez-Kane, collection « Citizen », printemps-été 2017

La designer est installée à Mérida depuis deux ans, à un millier de kilomètres de Mexico : elle préfère s’isoler pour travailler, et mieux remodeler le « chaos émotionnel » dans lequel elle puise pour confectionner ses vêtements. Malgré la distance, elle se rend de temps à autre dans la capitale et connaît bien les autres créateurs de sa génération, notamment le talentueux Roberto Sánchez. Avec ses lignes légères et colorées, inspirées par les looks de ses proches, il s’impose comme une autre figure majeure de l’avant-garde mexicaine. Après s’être lancé il y a une dizaine d’années, il s’est fait un nom en postant ses créations sur Tumblr et Instagram, puis a présenté des défilés aux fashion weeks de New York et Mexico. Ses vêtements sont maintenant vendus dans des boutiques disséminées aux quatre coins du monde, jusqu’en Australie et au Japon.

« Mexico est souvent présenté comme un nouveau Berlin »

La nouvelle scène mexicaine comprend aussi des designers streetwear, comme Andrés Jiménez du label Mancandy, qui n’hésite pas à clore ses shows avec des morceaux reggaeton composés par ses soins. Les tenues qu’il confectionne jouent avec les matières, et ont déjà séduit des célébrités comme Iggy Azalea ou encore Bibi Bourelly. Son concurrent Estaban Tamayo a lui fondé Ready to Die en 2015, une marque inspirée par la vie quotidienne, les uniformes scolaires et les contre-cultures. Le tout couplé à une touche rétro-futuriste qui se manifeste sur les imprimés de ses T-shirts, ou à travers la forme radicale de certaines lunettes de soleil.

My mexican Bisteck @daniellavaldez1 ❤️ #NYFW #MCLOCO

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Pour le lookbook de sa dernière collection, Tamayo a fait appel à Maria Osado, une entrepreneuse qui a lancé son agence de mannequin Güerx à seulement 19 ans. Elle a collaboré avec la plupart des créateurs mexicains émergents, et partage leur vision iconoclaste. « On cherche tous à remettre en question le contexte rigide qui domine encore au Mexique, explique-t-elle. En général, les designers les plus établis se contentent de répéter ce qu’ils font depuis des années. Ils cherchent à copier les standards de beauté occidentaux, et les mannequins qu’ils engagent ont l’air européens ». Maria Osado a fondé Güerx pour proposer de nouveaux visages, aux traits latino pour la plupart, castés dans la rue ou parmi ses amis artistes. Elle lutte ainsi contre le « malinchismo » : un mot qui désigne le penchant des Mexicains à dénigrer leur propre pays au profit de ce qui vient de l’étranger.

Photos : Ready to Die. Casting : Maria Osado.

Les designers avec qui elle travaille assument leur héritage culturel, le remodèlent, et parviennent à briller à l’international grâce à l’esthétique novatrice qu’il leur inspire. Une démarche qui s’inscrit à contre-courant de leurs aînés, de plus en plus concurrencés par l’implantation des grandes firmes. Le Mexique est le second pays d’Amérique latine en termes de PIB et du nombre de millionnaires qui y résident, et accueille des boutiques Prada, Gucci, Saint Laurent ou encore Louis Vuitton. Et le prêt-à-porter n’est pas en reste. H&M y a ouvert son premier magasin latino-américain en 2012 : l’année où le président Enrique Peña Nieto est arrivé au pouvoir, rassurant les marchés avec son discours sécuritaire. Puis la firme suédoise y a aménagé huit nouveaux lieux en deux ans, auxquels d’autres chaînes tiennent tête, comme Zara et Forever 21.

@katsu_fan wearing our New Collection! Photo @eduardoacierno 🤗

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Le malinchismo – le fait pour les Mexicains de préférer l’étranger au national – étant encore très prégnant dans le pays, les nouveaux designers vendent la plupart de leurs vêtements à l’étranger, souvent via internet. D’autant que le salaire minimum mexicain ne s’élève qu’à environ quatre euros par jour, et que seule une minorité de privilégiés peut s’offrir leurs produits. Les créateurs avant-gardistes sont néanmoins soutenus à Mexico par un petit écosystème qui gravite autour du quartier de la Roma, déjà gentrifié, et du Centro Histórico. Il comprend une variété d’acteurs comme NAAFI ou Revista 192, une revue qui a publié des articles sur Barbara Sanchez-Kane, Victor Barragán ou encore Roberto Sánchez. Et toute une flopée de jeunes créatifs encouragent le dynamisme culturel de la ville. « Mexico est souvent présenté comme un nouveau Berlin, beaucoup d’artistes étrangers viennent y vivre », avance Barbara Sanchez-Kane. Sa vie culturelle est en pleine ébullition, et tout porte à croire que la scène émergente qui révolutionne le pays est amenée à prendre de l’ampleur.

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