Comment la science-fiction transforme-t-elle la mode ?

Article publié le 28 août 2017

Photo : campagne Gucci and Beyond automne-hiver 2017 par Glen Luchford
Texte : Maxime Leteneur

Campagnes retro-futuristes, collections post-apocalyptiques, influences sci-fi assumées : face aux inquiétudes d’un futur incertain, la mode s’échappe vers un ailleurs dystopique et imagine elle-même l’avenir de notre monde.

Avril 2017, d’étranges personnages font leur apparition sur les réseaux sociaux de la maison italienne Gucci. Ils s’appellent Zenoba, Shipley, Ejaw Bolsorg ou encore Xeod, ont entre 2 et 7000 ans (quand on connaît leur âge), et viennent de lointaines planètes aux noms énigmatiques.

Ils se retrouveront quelques mois plus tard dans des décors apocalyptiques en compagnie de monstres menaçants, ou à bord du légendaire vaisseau spatial emprunté à la non moins mythique série de science-fiction Star Trek. Issus de la campagne « Gucci and Beyond » automne-hiver 2017, ces images sont accompagnées d’un discours eschatologique détaillant les intentions de la marque, et s’inscrivent dans la volonté de la mode d’entrer dans une nouvelle dimension : « Cette saison, la collection est transportée vers un univers parallèle où un casting mixte d’humanoïdes, d’extraterrestres, de robots et de terriens s’unissent pour l’invasion de Gucci d’une galaxie lointaine ».

MODE ET SCIENCE-FICTION, UNE HISTOIRE QUI DURE

Cette envolée – littérale comme figurative – vers un univers fantasmé et fantastique n’est pas la première en date. Depuis de nombreuses années, l’imaginaire de la science-fiction nourrit les hallucinations créatives des designers. Comment nier l’influence d’un Matrix (1999) quand on voit le nombre infini d’emprunts que la mode lui confesse. Le film est, par exemple, cité comme l’une des influences majeures de John Galliano pour la collection automne-hiver 1999 de Dior.

Désormais considéré comme un classique du genre, on retrouve de nombreux hommages à l’œuvre des sœurs Wachowski dans les collections de ces dernières années, au point même de parler de « matrixcore » : lunettes futuristes chez Balenciaga, Vetements et Gosha Rubchinskiy ; chemises et les longs manteaux de cuir chez Heron Preston, Alexander Wang, Kenzo, Louis Vuitton, Versace, Balenciaga et Vetements ; manteaux façon crocodile tel Morpheus chez Balmain, Louis Vuitton et Hermes ou encore « pantalon bondage » du côté de Palm Angels, Hood By Air et Alyx.

De gauche à droite : Balenciaga automne-hiver 2017, Balmain automne-hiver 2017, Versace automne-hiver 2017, Palm Angels automne-hiver 2017.

Autre énorme classique à s’inviter sur les plus grands catwalks de la planète mode, Star Wars (1977) demeure une influence majeure pour nombres d’illustres designers. Premier en date à avoir manifester son admiration pour la guerre des étoiles, Gianni Versace confessait en novembre 1977 (6 mois après la sortie du premier volet) à Interview Magazine être un inconditionnel de la saga, en particulier des robots. La même année, Vogue US consacrait la nouvelle Star Wars mania en shootant Jerry Hall et la mannequin suédoise Maria Hanson aux côtés de Dark Vador et C-3PO. Bien des années plus tard et après deux trilogies, l’iconographie du film fait son entrée directement sur les podiums, chez le Balenciaga de Nicolas Ghesquière d’abord à l’été 2012 avec un couvre-chef XXL inspiré de Dark Vador, puis à l’approche de la troisième trilogie (qui débuta en 2015) chez Preen et Rodarte avec des imprimés de respectivement Dark Vador et Luke Skywalker ou Maître Yoda pour l’automne-hiver 2014. Biberonné à la culture pop et en particulier à l’univers de George Lucas, Demna Gvasalia ira lui aussi de son hommage avec une longue robe d’un imprimé similaire aux affiches du film dans sa collection Vetements printemps-été 2016.

De gauche à droite : Balenciaga printemps-été 2012, Preen automne-hiver 2014, Rodarte automne-hiver 2014, Vetements printemps-été 2016.

Grand fan de science-fiction, Nicolas Ghesquière ne s’est jamais caché de s’inspirer directement d’incontournables, comme Tron (1982) dans ses collections chez Louis Vuitton et Balenciaga, comme ce fut le cas pour la collection été 2007 de la maison qu’il a quittée en 2012 : “Je pensais articulation robotique, pièces de voiture, droïdes, une silhouette enfantine…”, explique-t-il à l’époque. Avant lui, Thierry Mugler s’était déjà amusé à détourner l’esthétique futuriste du film pour sa collection couture automne-hiver 1995. Pour Jonathan Anderson, l’influence de la science-fiction se traduit par nombres d’imprimés de vaisseaux spatiaux ou de robots façon Transformers (2007) pour la collection printemps-été 2016 homme de Loewe. Dernier exemple en date, Raf Simons mentionne à son tour pour sa collection printemps-été 2018, Star Wars (1977), mais aussi le plus récent Ghost in the Shell (2017) ou Blade Runner (1982) dont le remake sortira cette année.

De gauche à droite : Thierry Mugler automne-hiver 1995, Balenciaga printemps-été 2007, Raf Simons printemps-été 2018.

Au-delà de l’univers des films, ce sont leurs héroïnes qui y sont adulées. Belles, charismatiques et badass, elles défendent une vision de la femme recherchée chez de nombreuses maisons. En 1968, Paco Rabanne alors encore au crépuscule de sa carrière est mandaté pour habiller la divine Jane Fonda dans Barbarella (1968). Quarante ans plus tard, son travail se voit revisité par les sœurs Mulleavy chez Rodarte, avant que sa propre maison ne lui rende hommage avec un top inspiré de ses costumes à l’automne 2014. Citons également Alexander McQueen influencé par le personnage de Princesse Leia de Star Wars (1977) pour l’automne 2004 en reprenant sa large toge blanche plissée, Olivier Rousteing par la Lilo du Cinquième Élément (1997) en été 2015 avec un top blanc strappé, la tenue survivaliste de Katniss Everdeen de The Hunger Games (2013) est quand à elle reprise par Shayne Oliver de Hood By Air, toujours en été 2015, ou encore Alexander Wang, cette fois pour l’automne 2015, dont de longues robes en maille métallique ne sont pas sans rappeler l’humanoïde Ava de Ex Machina (2015).

De gauche à droite : Balmain printemps-été 2015, Hood By Air printemps-été 2015, Alexander Wang automne-hiver 2015.

INCARNER UNE NOUVELLE RÉALITÉ

Si les exemples sont légion, c’est que la mode, comme la science-fiction, traînent avec eux leur obsession de proposer une version chimérique de notre société. « La mode est l’armure qui permet de survivre à la réalité de la vie de tous les jours », aimait dire Bill Cunningham. Elle trouve avec la science-fiction un moyen de s’en échapper, de s’évader d’un quotidien morose pour incarner les héros imaginaires d’un monde parallèle.

Prenons l’une des dernières campagnes vidéo de Moncler pour leur collection Moonray, directement inspiré de leur fascination pour l’atterrissage sur la lune. Sortie en juin 2017 et volontairement tourné comme un film de série B, la vidéo donne à voir deux protagonistes – habillés d’une doudoune grise métallique de la marque – envoyés sur une planète inconnue pour combattre des extra-terrestres désireux de dépouiller la terre de ses plus beaux vêtements. La doudoune devient alors le symbole de cette lutte, et permet à ceux qui la porte d’incarner les héros et protecteurs de la mode terrienne. Il ne s’agirait, en somme, que d’une version mode, plus soft du cosplay.

Plus important encore, la science-fiction est le seul genre qui illustre comment la société pourrait fonctionner différemment. Elle nous permet d’imaginer le futur que nous voulons, ou à l’inverse celui que nous ne voulons pas, et poser une critique dystopique de la société. Utiliser l’imaginaire sci-fi devient donc un moyen détourné de contestation. Quand Kanye West imagine une collection post-apocalyptique pour la saison 2 de Yeezy, il milite par la même occasion pour la diversité et dénonce la sectarisation des races en regroupant les modèles par couleur de peau.

QUEL FUTUR POUR LA MODE ?

Mais alors le futur de la mode sera-t-il tel qu’on le fantasme ? Les films de science-fiction nous ont appris à imaginer un avenir fait de vêtements connectés, de matières ultra-évoluées ou de combinaisons gadgetisées. Pour Roger Vadim, interrogé à propos de son opinion sur le genre à la sortie de son film Barbarella en 1968 : “En science-fiction, la technologie fait tout. Les personnages sont tellement ennuyants, ils n’ont aucune psychologie”. Dans la mode, la technologie fait tache. Nike dépose le « jean-joggers », Sruli Recht créé une collection en cuir-translucide, Under Armour fabrique des baskets avec des imprimantes 3D, Uniqlo et Levis travaillent sur des vêtements connectés. On ne compte plus les tentatives de l’industrie de faire passer le vêtement au rang de technologie, des projets qui resteront, au mieux, au stade embryonnaire.

Cela ne veut pas dire pour autant que la mode refuse catégoriquement d’entrevoir un futur différent des standards dans lesquels elle se complaît depuis de nombreuses années. Au contraire, elle embrasse pleinement un virage plus technique. Le phénomène est criant sur le marché de footwear et du sportswear où, par exemple, les deux géants Nike et Adidas rivalisent d’inventivité pour proposer à leurs clients des paires à l’allure toujours plus futuristes, à l’image de l’EQT d’Adidas, de la VaporMax de Nike ou plus surprenant encore de la Nike HyperAdapt, la nouvelle chaussure à laçage automatique (comme dans Retour Vers Le Futur) de la marque à la virgule.

Campagne Phelan C4.

Sur les podiums de luxe également, le techwear commence à faire des apparitions remarquées. Si le terme reste encore difficile à définir avec précision du fait de sa fraîche apparition, on peut considérer comme techwear tout produit fabriqué grâce à une technologie avancée ou à partir de matières novatrices, comme c’est le cas par exemple chez la créatrice Wanda Nylon. Plus novateur encore, à New York, la jeune griffe Phelan utilise de toutes nouvelles méthodes hi-tech pour créer une gamme de knitwear qui semble cousu à même la peau.

De gauche à droite : Acronym printemps-été 2017, Junya Watanabe x The North Face x Karrimor, Stone Island Shadow Project automne-hiver 2017.

Mais surtout, le techwear se veut parfaite combinaison entre esthétique et utilitarisme, la révolution tient plus dans le processus de fabrication, l’innovation et la réflexion autour de chaque détail, au service du confort, du mouvement et de la qualité, que dans un look futuriste à proprement parler.

Maître en la matière, Yohji Yamamoto présente depuis de nombreuses années, aux côtés d’Adidas avec Y-3, des ensembles sportswear aussi fonctionnels que stylisés. On note aussi l’émergence de nombreux labels qui en font leur spécialité : Acronym – révélé aux yeux du grand public grâce à leur collaboration avec Nike – Stone Island et The North Face, désormais incontournables sur la planète streetwear, ou les coréens de thisisneverthat. Ils ouvrent ensemble la porte à une toute nouvelle génération de tissus qui pourrait bien révolutionner le monde de la mode au complet.

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