Photo et stylisme : Patrick Weldé pour Magazine Antidote : EARTH été 2018.
Boucle d’oreille, Véronique Leroy.
Texte : Maxime Leteneur
Face à la pollution croissante et au gaspillage générés par la fast-fashion, une nouvelle génération de designers repense la mode en explorant les restes d’une industrie plus que jamais en quête d’un nouveau système.
La nature s’est toujours imposée parmi les influences les plus dominantes de la mode, de la récente campagne du parfum Bloom de Gucci aux impressionnants décors des défilés Dior au Musée Rodin, en passant par les emblématiques robes du soir aviaires d’Alexander McQueen. À quoi ressembleraient alors des collections inspirées par une faune et une flore meurtries, suffocantes voire totalement éteintes ?
Les derniers rapports sur l’état de santé de la planète sont alarmants, et au rang des industries les plus polluantes, le textile truste une honteuse seconde place. Dans son dernier compte-rendu, le cabinet d’audit américain McKinsey, en collaboration avec le site Business Of Fashion, rapporte une course toujours plus effrénée vers la fast-fashion ( produire et diffuser dans des temps records des collections à bas prix et sans cesse renouvelées, ndlr ), déjà en hausse de plus de 20% ces trois dernières années, et dont la croissance devrait exploser dans la décennie à venir. Toujours plus de vêtements, de nouvelles collections, toujours plus vite, c’est le parti-pris d’une industrie au bord du burn-out emmenée par les mastodontes de la grande distribution. Le résultat ? Un gaspillage généralisé qui frise l’indécence. Chaque année en France, une femme achète 30 kg de textile en moyenne dont moins d’un quart sont recyclés ( 160 000 tonnes de vêtements recyclés pour environ 700 000 tonnes d’achat ). Il y aurait dans chaque logement 114 euros d’habits jamais portés, et l’équivalent de 442 millions d’euros de vêtements sont jetés chaque année. Des chiffres qui en disent long sur les habitudes de consommation du textile en France, et qui mettent en exergue les progrès monumentaux à effectuer en matière de recyclage.
« Après usage, moins d’un pourcent de la matière utilisée pour produire des vêtements est recyclée en nouveaux habits. Ce modèle « take-make-dispose » entraîne non seulement une perte de valeur économique de plus de 500 milliards de dollars par an, mais a aussi de nombreux impacts environnementaux et sociétaux »
Toujours dans le rapport McKinsey-BoF, Ellen MacArthur, l’une des grandes spécialistes mondiales de l’économie circulaire et à l’origine de la fondation éponyme, tire la sonnette d’alarme : « Après usage, moins d’un pourcent de la matière utilisée pour produire des vêtements est recyclée en nouveaux habits. Ce modèle « take-make-dispose » entraîne non seulement une perte de valeur économique de plus de 500 milliards de dollars par an, mais a aussi de nombreux impacts environnementaux et sociétaux ». Ce gaspillage et ce mode de consommation exploitent de manière désastreuse les ressources de la planète, génèrent une pollution – notamment de l’eau – dantesque, produisent toujours plus de gaz à effets de serre, mettent en péril des économies locales et profitent d’un capital humain laissé dans un état de grande précarité.
Et alors même que l’industrie de la mode entame sa prise de conscience écologique – certes souvent plus proche du green washing ( qui consiste pour une entreprise à orienter ses actions marketing et sa communication vers un positionnement écologique pour se racheter une image, ndlr ) que d’une réelle démarche eco-friendly – les initiatives qui visent à porter une mode à la production et à la consommation responsables se multiplient à tous les niveaux. De Kering à LVHM, des mesures sont prises pour limiter la consommation d’énergie et donc les gaz à effet de serre. En Chine, une initiative gouvernementale permet de révéler en temps réel les chiffres de pollution de l’air, du sol et des eaux générés par les chaînes de production textile de quelques entreprises partenaires, dont Puma, Gap, Esprit et Inditex.
La démarche ne date pas d’hier, et se présente même aujourd’hui comme le cheval de bataille de nombreux labels qui dépoussièrent l’idée d’une mode green, tout en bousculant les codes d’une industrie à bout de souffle.
Upcycling, les prémices
19 octobre 1989. Une poignée de privilégiés s’apprêtent à assister à l’un des défilés les plus marquants de l’histoire de la mode, celui de la collection printemps-été 1990 de Martin Margiela, l’homme qui révolutionnera l’industrie du luxe à bien des égards. À l’inverse des grandes maisons de l’époque, le créateur belge choisit l’un des endroits les plus pauvres de Paris, un jardin d’enfants abandonné passage Josseaume dans le 20e arrondissement, pour accueillir son show. Alors que quelques junkies s’apprêtent à leurs petites affaires non loin, les modèles dévalent le catwalk de fortune, pentu et boueux, dans un froid nocturne. Certaines d’entre elles ne sont vêtues que de grandes robes en sacs plastiques frappées d’un « 90 » sur le buste. Les ensembles ne sont parfois liés qu’avec du scotch.
Sans s’en revendiquer, et peut-être sans le savoir, Martin Margiela venait, si ce n’est de l’inventer, de démocratiser l’upcycling aux yeux d’une industrie pourtant à l’aube de son entrée dans l’ère de la fast-fashion. La saison précédente déjà, il faisait marcher ses mannequins dans une peinture rouge avant de les faire défiler sur un drap blanc, et de s’en resservir pour ses futures collections. Cette volonté de sublimer des objets du quotidien ou des pièces existantes deviendra un élément central de son travail, et une signature de sa maison.
Photo : Maison Martin Margiela printemps-été 1990
Dès sa création, des vêtements uniques labellisés « Artisanal » et incorporés aux collections féminines sont créés à partir de pièces recyclées et déconstruites dans les ateliers parisiens de la maison. Mais il faut attendre la saison printemps-été 2006 pour voir la première collection entièrement « Artisanal » – appelée Ligne 0 – prendre vie. Chaque pièce est réalisée à la main dans les ateliers de la maison à partir de matériaux retravaillés vintage, anciens, trouvés ou bruts. En 2012, la Fédération Française de la Couture attribue officiellement à cette ligne à part le label « haute couture ». Pionnier en la matière, Margiela incitera ainsi toute une génération de jeunes créateurs à marcher dans ses pas pour créer une mode upcyclée, iconoclaste et responsable.
« Créativement, c’est très fort. On ne part pas d’une feuille blanche, il faut trouver un modèle et le transformer, changer le sens des choses », dit Maroussia Rebecq au sujet du procédé qui consiste à partir de matières ou produits recyclés pour imaginer de nouvelles créations. Avec sa marque Andrea Crews qu’elle fonde en 2002, elle fait partie des premières à pratiquer l’upcycling en France. « On a commencé en upcyclant des fripes, puis des pièces vintage, et maintenant on upcycle des stocks invendus de marques. Cela reste des leftovers, mais ils peuvent être neufs et reproductibles. »
Photo : Andrea Crews printemps-été 2018
Pourtant, lorsqu’Andrea Crews présente ses premières collections, l’upcycling en est à ses balbutiements et subit la méconnaissance du public : « Cela reste très compliqué parce que tu as une image de seconde main, qui dans l’imaginaire collectif se doit d’être moins cher, explique Maroussia Rebecq. Alors que finalement le travail de sourcing et de production est beaucoup plus difficile à appréhender. » D’autant plus que pendant de longues années, et jusqu’à très récemment encore, la consommation green n’intéresse pas grand monde et se retrouve vite affiliée à des clichés « babos » et « néo-hippie » facilement tournés en dérision. « Il y a dix ans dans les salons de mode éthique, tu n’avais que des petits vêtements en chanvre ou en laine bouillie dans des gammes de verts ou marron, se souvient la créatrice d’Andrea Crews. C’était ça « être bio » ». Problématique, cette représentation dans l’imaginaire collectif n’encourage pas les jeunes labels ambitieux à revendiquer leur adhésion écologique : « J’ai toujours fait de l’upcycling, et même si on l’a mis en avant, je n’ai jamais voulu être affiliée à une marque éthique ou green, poursuit Maroussia Rebecq. C’était effectivement hyper ringard ».
À Amsterdam, le designer hollandais Ronald van der Kemp, créateur de la griffe éponyme, travaille lui aussi à partir de chutes, deadstocks ou produits vintages pour éviter le gaspillage et la pollution, et partage le même constat : « C’est pour cela que quand j’ai lancé mon label, j’ai laissé parler les habits. Je ne voulais pas être mis dans le « mauvais camp » ».
CHUTES, DEADSTOCKs, FRIPES, INVENDUS : NOUVEAUX TRéSORS
Pourtant, lorsqu’Andrea Crews présente ses premières collections, l’upcycling en est à ses balbutiements et subit la méconnaissance du public : « Cela reste très compliqué parce que tu as une image de seconde main, qui dans l’imaginaire collectif se doit d’être moins cher, explique Maroussia Rebecq. Alors que finalement le travail de sourcing et de production est beaucoup plus difficile à appréhender. » D’autant plus que pendant de longues années, et jusqu’à très récemment encore, la consommation green n’intéresse pas grand monde et se retrouve vite affiliée à des clichés « babos » et « néo-hippie » facilement tournés en dérision. « Il y a dix ans dans les salons de mode éthique, tu n’avais que des petits vêtements en chanvre ou en laine bouillie dans des gammes de verts ou marron, se souvient la créatrice d’Andrea Crews. C’était ça « être bio » ». Problématique, cette représentation dans l’imaginaire collectif n’encourage pas les jeunes labels ambitieux à revendiquer leur adhésion écologique : « J’ai toujours fait de l’upcycling, et même si on l’a mis en avant, je n’ai jamais voulu être affiliée à une marque éthique ou green, poursuit Maroussia Rebecq. C’était effectivement hyper ringard ».
À Amsterdam, le designer hollandais Ronald van der Kemp, créateur de la griffe éponyme, travaille lui aussi à partir de chutes, deadstocks ou produits vintages pour éviter le gaspillage et la pollution, et partage le même constat : « C’est pour cela que quand j’ai lancé mon label, j’ai laissé parler les habits. Je ne voulais pas être mis dans le « mauvais camp » ».
Photo : Vetements printemps-été 2018
À l’image de la démocratisation du bio pour l’industrie alimentaire ( qui a progressé de 50% en 3 ans ), l’attrait pour une mode durable va radicalement s’inverser au début des années 2010 et atteint aujourd’hui une cote inégalée. « Avec le temps, les mentalités évoluent, assure Maroussia Rebecq. Au niveau des vêtements, ce slow système va gagner de plus en plus de place ». Il n’y a jamais eu autant de marques concernées par cette démarche, et si la popularité du bio et d’un mode de vie healthy y joue pour beaucoup, elle bénéficie aussi de tendances purement esthétiques.
Lorsque Vetements débarque comme une tornade dans le monde de la mode en 2014, ses fondateurs Demna et Guram Gvasalia sont frustrés par l’industrie du prêt-à-porter et cherchent une alternative créative. À l’époque, Demna sort de plusieurs années chez Louis Vuitton mais surtout Maison Martin Margiela, et traîne encore l’empreinte de l’immense couturier belge avec lui. Lorsque les premières collections sont dévoilées, l’influence de la ligne Artisanal de Margiela se fait nettement sentir. Le mot d’ordre ? Déconstruire pour mieux reconstruire. Des pièces de fripes sont retravaillées, il cherche à créer de nouvelles formes, de nouvelles textures, à mélanger les genres. Quelques critiques qualifient alors cette esthétique de « néo-friperie », d’autres préféreront parler de néo-pauvre, une tendance amorcée en 2000 par John Galliano chez Dior et remise au goût du jour ces dernières saisons par Raf Simons, Ottolinger, Anne Sofie Madsen et Balenciaga.
De gauche à droite : Raf Simons automne-hiver 2016, Raf Simons automne-hiver 2016, Moschino automne-hiver 2016, Ann-Sofie Madsen printemps-été 2017
La tendance paupériste répond à son tour à une industrie du luxe vieillissante et suffisante, et dessine alors une silhouette patchworkée, nourrie à la culture Guerrisol. Cette nouvelle démocratisation de la fripe est une base déterminante pour le développement de la mode upcyclée. Naturellement, et suivant l’exemple des frères Gvasalia, de plus en plus de marques vont chercher à retravailler la matière existante pour lui redonner vie sous forme d’un nouveau vêtement. C’est le cas d’Andrea Crews et Ronald van der Kemp donc, mais aussi du label allemand GmbH qui crée des silhouettes taillées par et pour les raves et les nightclubs à partir de matériaux inutilisés provenant d’une usine milanaise. Chez Eckhaus Latta, on estime à 90% la proportion de tissus et matières recyclés, même si la griffe refuse, comme Ronald van der Kemp, de s’identifier comme une marque « éthique ». Quant à la très jeune griffe française Afterhomework, emmenée par Pierre Kaczmarek (et rejoint par Elena Mottola), sa première collection est réalisée en matière isolante avant de créer une capsule faite de serviettes de bain recyclées. Aujourd’hui, les deux créateurs découpent et reconstruisent des tissus de tous les jours : polaire, nylon, drap de laine, chemises en coton, etc. pour composer leurs collections.
Les boutiques et jeunes marques qui revendiquent une démarche d’upcycling fleurissent un peu partout dans la capitale. Le temple du vintage Kiliwatch a lancé en 2009 une gamme de prêt-à-porter « Culture Vintage » réalisée grâce au recyclage de fripes et de pièces vintage. La boutique s’est aussi associée avec le salon Who’s Next en 2016 pour inviter 7 jeunes créateurs à concevoir des capsules à partir du stock de l’entrepôt Eureka Fripes à Rouen. Autre grand nom du vintage, les Hollandais d’Episode ( qui disposent d’une boutique rue Tiquetonne, à Paris ) ont imaginé une ligne « Reworked » composée de vêtements abîmés et retravaillés. D’autres marques plus confidentielles prouvent à leur tour que l’upcycling intègre tous les niveaux de l’industrie, à l’image de Super marché, Gaëlle Constantini ou Les Récupérables. Dans un registre plus streetwear, l’e-shop Frankie Collective bénéficie de la hype retrouvée des marques emblématiques des années 1990 pour proposer un vestiaire vintage rare, mais surtout, ils créent une ligne « Rework » composée à partir de pièces retravaillées, croppées, découpées et réassemblées de marques Nike, Adidas, Champion, Reebok, Fila ou encore Nautica. La créatrice Daniëlle Cathari – déjà aperçue à la Fashion Week de New York lors du show VFILES automne-hiver 2017 – déconstruit et réassemble avec audace des pièces de la marque aux trois bandes uniquement, pour créer une silhouette sportswear patchworkée.
Photos : Adidas x Danielle Cathari printemps-été 2018
Mais la mouvance ne se résume pas à quelques labels indépendants. « Je ne pense pas que la mode circulaire à grande échelle soit une utopie, c’est en train de se faire, assure Stéphanie Calvino, fondatrice des Rencontres Anti Fashion – événement qui rassemble à Marseille trois jours durant des professionnels du secteur pour repenser la mode de demain autour de talks, expositions et workshops, en présence de Lidewij Edelkoort, auteure du manifeste Anti_Fashion. La marche est enclenchée et je pense que dans dix ans déjà, on va commencer à voir les prémices de tout ça ». Une grande production en série ne serait donc pas incompatible avec les valeurs éco-responsables. Aux États-Unis, l’enseigne Reformation – sorte de H&M de l’upcycling – allie fast-fashion et mode durable en produisant en éditions limitées à partir de produits recyclés, et compte parmi ses fans nombre de mannequins, d’artistes et d’influenceuses – dont Rihanna, Alexa Chung ou encore Emily Ratajkowski. En Corée du Sud, quand Kolon Industries ( un monstre de l’industrie textile évalué à 3,6 milliards de dollars ) réalise l’impact environnemental de ses différentes marques, il décide de créer RE;CODE, une marque entièrement dédiée à l’upcycling. Tous les déchets textiles générés par le groupe lui sont envoyés pour être retravaillés par une équipe de designers indépendants. Le groupe de luxe Kering apporte également sa contribution en annonçant en 2015 un partenariat avec la société Worn Again, pour mettre en avant une technique séparant les fibres des vêtements usés, qui serviront par la suite à composer de nouveaux textiles. Une embellie est également à prévoir du côté des marques de grande distribution. Dès 2012, Uniqlo organisait des opérations de récupération de ses propres pièces, dont les plus délabrées serviront à créer de la matière isolante. Chez Asos, on soigne son image avec la création de « Reclaimed Vintage » en 2016, une ligne développée à partir de vêtements recyclés. Mi-janvier 2018, le géant du e-commerce Zalando s’associait quant à lui avec le duo Viktor & Rolf le temps d’une capsule au nom évocateur de « Re:Cycle », et créée à partir de pièces invendues du site.
Maroussia Rebecq met toutefois en garde : « je ne pense pas que ce soit la solution, mais une alternative à l’hyper-production. » Si l’upcycling fait indéniablement partie des pistes à explorer, il demeure primordial pour de nombreux acteurs de l’industrie d’envisager la mode différemment, et de tenter de révolutionner le circuit par d’autres biais pour garantir une mode durable.
MODE DURABLE, QUELLES SOLUTIONS ?
Comment appliquer la mode durable ? Cela reste certes difficile, mais pas impossible. Pour tenter de répondre à cette épineuse problématique, il existe de multiples forums, conférences ou rassemblements, à l’image des rencontres Anti_Fashion organisées à Marseille, mais aussi le sommet de la mode de Copenhague – l’événement le plus important, qui rassemble les leaders de l’industrie et a permis la mise en place de la Circular Fibres Initiatives en mai 2017 – ou le forum Global Fashion Agenda qui compte parmi ses partenaires H&M et Kering. Principal responsable pointé du doigt de tous : la fast-fashion et sa logique de production constante et démesurée. « Aujourd’hui, on se retrouve avec des proportions qui n’ont plus de sens », regrette Stéphanie Calvino. Mais l’industrie n’est pas la seule responsable. Après des années de surconsommation généralisée, la question de l’éducation du consommateur est un enjeu essentiel : « Avant de penser à moins produire, il faut arriver à montrer à la société qu’on peut exister sans surconsommer, affirme la fondatrice des rencontres Anti_Fashion. On ne peut pas continuer de dire aux gens qu’ils ne peuvent exister qu’en ayant X pièces dans leur dressing et X paires de chaussures. » Si une vraie préoccupation pour l’aspect éthique de la mode se manifeste aujourd’hui, il est encore trop tôt pour la voir se traduire en actes d’achats. D’après Erwan Autret, ingénieur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ( Ademe ) chargé du suivi de la filière textile, le prix reste le critère numéro un, et à Ronald van der Kemp d’ajouter : « Économisez pour quelque chose que vous voulez vraiment et gardez-le pour toujours. »
Les grandes maisons doivent elles aussi procéder à cette remise en question urgente. « L’industrie de la mode doit montrer l’exemple, cela permettra d’éduquer le consommateur à repenser son acte et son pouvoir d’achat », explique Stéphanie Calvino. Problème, la plupart de ces grandes maisons sont pilotées par des groupes qui répondent à une logique de rentabilité implacable, et soumettent un calendrier infernal. « Il faut arrêter de faire six défilés par an pour n’en faire que deux, et les délivrer en six drops », propose RVDK.
« Si on veut que l’industrie de la mode change, il faut aussi former les gens qui vont y entrer ( … ) le problème, c’est qu’on continue de formater des jeunes en leur disant qu’il faut faire des collections, et qu’il faut en faire X par an »
Aussi, le renouvellement de la mode doit s’accompagner de l’expérimentation de nouvelles matières, recyclées ou moins polluantes. « Je pense qu’il va y avoir beaucoup de réponses au niveau du textile et des nouvelles matières, poursuit Stéphanie Calvino. Des fibres complètement naturelles comme le chanvre ou le lin sont pour moi une réponse dans les années à venir, même si le coton sera toujours là. Il faut arriver à un équilibre ». Lacoste finance par ailleurs à hauteur de 800.000€ et depuis 2013 « Chamaille », un projet qui vise à développer la maille à base de chanvre.
Dans ce domaine, la firme franco-brésilienne de footwear Veja, créée en 2004, fait figure de pionnière. En juin 2017, elle présentait une basket fabriquée à partir de plastique recyclé, en collaboration avec l’association Surfrider Foundation ( organisme luttant pour la protection des océans, rivières et littoraux ). Transparente de A à Z, la marque est un modèle en matière de mode durable et inspire jusque dans les plus hautes sphères du sportswear, où Adidas propose à son tour une initiative anti-pollution. En collaboration avec la fondation Parley for the Oceans, la marque a développé une gamme de maillots et chaussures fabriqués à partir de déchets marins recyclés. Une initiative similaire à celle de Pharell Williams et G-Star, associés pour « Raw for The Oceans » : une collection renouvelée chaque saison et fabriquée à partir de plastique trouvé en mer – principalement les contenants en plastique à usage unique, provenant des rives du monde entier.
Autre piste d’importance, les écoles de mode – à la base du système – préfèrent toujours former leurs élèves à répondre aux exigences de la mode d’aujourd’hui, productiviste et marketée, au lieu d’essayer de la transformer à la racine. « Si on veut que l’industrie de la mode change, il faut aussi former les gens qui vont y entrer ( … ) le problème, c’est qu’on continue de formater des jeunes en leur disant qu’il faut faire des collections, et qu’il faut en faire X par an », déclare Stéphanie Calvino. Surtout, on assiste progressivement à un abandon des savoir-faire et du travail artisanal. Ça n’a d’ailleurs rien d’un hasard si Maroussia Rebecq s’est engagée dans un projet d’enseignement de la mode et de l’upcycling – comme alternative au goût du neuf et du luxe – auprès de jeunes de quartiers défavorisés de la Goutte d’Or à Paris puis de Saint-Ouen, Bruxelles et Newark aux États-Unis. Stéphanie Calvino en est, elle, convaincue : l’avenir de la mode passera par un retour aux valeurs traditionnelles et à la simplicité, ou ne sera pas. « Il est temps de revenir à des choses essentielles, à la main de l’homme. La main qui travaille la matière, la main qui file, la main qui tisse », martèle-t-elle.
Preuve que toutes ces problématiques commencent à occuper la conscience collective, l’un des plus éminents musées du monde, le Victoria and Albert Museum de Londres, accueillera à partir d’avril 2018 et pendant plus d’un an l’exposition Fashioned from Nature. Retraçant l’histoire complexe des relations entre mode et nature du XVIIe siècle à nos jours, la rétrospective présentera des exemples qui marient à la fois design pointu et pratiques éthiques, avec des créations comme la robe Calvin Klein d’Emma Watson au Met Ball en 2016, entièrement conçue à partir de bouteilles en plastique recyclées, ou des pièces signées de la créatrice britannique Stella McCartney, chef de file d’une mode éco-responsable et soucieuse de la condition animale. L’exposition fait également la part belle au travail de Vivienne Westwood, la créatrice la plus engagée de l’histoire de la mode, régulièrement aux avant-postes lors de manifestations environnementales ou sociétales, comme lors de la #ClimateMarch du 29 novembre dernier. En marge de sa collection automne-hiver 2013 déjà, la designeuse anglaise troquait les traditionnelles notes de collection pour une Charte de la Révolution Climatique et déclarait alors : « La lutte n’est plus entre classes, ni entre riches et pauvres, mais entre les idiots et les éco-conscients. » Temps est venu de choisir son camp.