Rentabilité compliquée, existence contestée et programmation clairsemée : en plein désamour, la haute couture semblerait presque vivre ses derniers jours. Alors qu’il ne vise qu’une poignée de clients ultra-privilégiés, ce spectacle sur mesure trouve pourtant encore, entre rêve et traditions, une solide raison d’être.
18 janvier 2017. Donatella Versace annonce sans états d’âme que la maison à la tête de Méduse ne défilera plus pendant la prestigieuse semaine de la couture parisienne, privilégiant des présentations privées pour une clientèle triée sur le volet.
Un retrait en apparence purement organisationnel, mais qui sonne comme un couperet pour la Fédération française de la Couture qui, en vingt ans a vu le nombre de ses membres permanents – et de défilés attenants – divisé par deux. Et si la nomination officielle de jeunes pousses comme Alexandre Vauthier et Julien Fournié permettent à l’institution de se renouveler, il lui reste difficile de perpétuer sa superbe d’antan, époque Lacroix et Saint Laurent.
Face à cette perte de vitesse, beaucoup pointent du doigt la faible rentabilité de l’activité couture qui se solde généralement par d’importantes pertes financières pour les maisons concernées. Car si, sans surprise, ces dernières sont peu enclines à dévoiler leur exercice comptable, il est de notoriété publique que la haute couture coûte plus qu’elle ne rapporte. « Aucune haute couture n’est rentable. Dans le meilleur des cas, on arrive à l’équilibre sur certaines saisons », confiait à l’hebdomadaire Fashion Daily News Jean-Jacques Picart, ex-consultant mode et co-fondateur de la maison Christian Lacroix dont la haute couture a cessé en 2009.
Avec son automne-hiver 2016, Donatella Versace donnait le dernier défilé de sa ligne couture Atelier Versace pour se contenter dorénavant de présentations privées.
Des considérations financières que la baisse sensible de fréquentation ne vient pas atténuer. Outre les très convoités shows Dior et Chanel, beaucoup de maisons ont vu cette année leurs rangs d’invités clairsemés. Il faut dire que le contexte sécuritaire qui règne sur la capitale n’aide pas à mobiliser les foules. Beaucoup de clients habitués des présentations couture, qu’ils soient originaires du Moyen Orient ou d’Asie, sont appelés à ne pas se rendre en France en raison du risque élevé d’attentats terroristes. Ambiance.
Seules quelques starlettes du web font cette année le show, offrant aux défilés haute couture une nouvelle mais prometteuse visibilité 3.0. Ce sont aussi les divas hollywoodiennes qui sauvent la mise, traversant volontiers l’Atlantique pour faire leurs repérages pré-Oscars et ainsi offrir une exposition bankable aux créateurs de la robe soigneusement sélectionnée.
« La haute couture est au coeur même de la définition du luxe. »
Mais, au fond, a-t-on véritablement besoin de squatter le grand Palais et de convoquer tout le gratin de la mode à une énième session de défilés pour que les plus grandes fortunes de la planète trouvent leurs prochaines tenues de soirées ? Oui. Car c’est là que réside toute l’essence de la haute couture : exister pour être vue. Un besoin irrépressible d’attention nourri par l’attrait qu’elle suscite, mais qui ne peut être assouvi que par la sérieuse dose de théâtralisation qu’implique toute forme de défilé. Sans la visibilité qu’apporte la Fashion Week, la haute couture ne peut subsister.
« La haute couture est au coeur même de la définition du luxe », explique Bernard Arnault, big boss de LVMH, au Télégraph. « L’argent qu’on y perd, on le retrouve finalement dans l’image de marque que nous confère la Couture. Regardez toute l’attention que suscitent les collections. C’est là que vous vous faites remarquer. Vous vous devez d’être là ! », renchérit l’homme à qui l’on doit, indirectement, le conte féerique du dernier défilé Dior Couture orchestrée par sa nouvelle recrue, Maria Grazia Chiuri, au cœur des jardins du Musée Rodin.
Un show printemps-été ultra-Instagrammable qui, en somme, relevait les deux missions qu’incombent à la Haute Couture : faire rêver, on et offline, et ainsi enclencher la mécanique lucrative d’un luxe vecteur de consommation.
« La haute Couture est encore le meilleur moyen de vendre du rêve et d’étendre la notoriété d’une marque. Même en période de crise économique, des personnes peuvent voir des images du défilé et se dire inconsciemment : « Je vais m’acheter ce flacon de Chanel n°5 ou ce rouge à lèvres Dior parce que je veux m’acheter un petit bout de ce rêve » , assure Justine Picardie, la rédactrice en chef du Harper’s Bazaar UK.
De gauche à droite : Maison Margiela Artisanal printemps-été 2017, Valentino Haute Couture printemps-été 2016
Parfums, make-up, portefeuilles et sacs à main : tous ces goodies ne se vendent que parce que des robes exigeant 600 heures de travail et de multiples prêts bancaires pour le commun des mortels défilent en grandes pompes tous les six mois. Une vitrine cinq étoiles en somme, dont le business des maisons de luxe pourrait difficilement se passer tant ce cercle vertueux semble confortablement fonctionner. Mais pas seulement.
Au-delà du microcosme modeux, c’est tout un pan du tissu socio-économique et culturel européen que font perdurer ces quatre journées uniques de défilés à gros budget. Tailleurs et plumassiers, brodeuses et couturières, chapeliers, bottiers et corsetières, sans compter les centaines de petites mains qui s’affairent nuit et jour dans les ateliers : de Paris à Rome, ces milliers d’artisans, porteurs de savoirs-faire ancestraux, vivent aussi de ce rêve que l’on vend aujourd’hui via les réseaux sociaux. Et c’est indiscutablement en eux, que cette semaine de la mode haute Couture trouve, et continuera de trouver, son infini raison d’être.