L’arrière-train, première zone d’empowerment ? L’organe sexuel démocratique par excellence revient à l’avant scène de la mode, et détrône décolletés et pectoraux vers une nouvelle égalité de tous les genres.
Des demi-lunes jaillissent d’un short taille haute ou d’un pantalon fendu. Chez Y/Projects, les fesses – masculines autant que féminines— s’imposent comme les vraies vedettes des catwalks, glorieuses sous des néo-jockstraps et des boutonnières polissonnes. « J’adore les jolis derrières ! Un sexy assumé n’est pas contradictoire au chic, au féminisme ou à l’avant-garde, bien au contraire » dit le directeur artistique Glenn Martens.
De fait, si le croupion est viral aujourd’hui, c’est pour son sex-appeal profondément unificateur : il buzze autant grâce à l’emoji « pêche » (si bien que lorsqu’Apple veut rendre ce dernier plus réaliste, les réactions des internautes sont si violentes que la société est contrainte de revenir à la première version) ; que via le hasthag #belfie, ou « butt selfie », un art de contorsion dans lequel excelle Kylie Jenner et l’acteur porno au cul canonisable, François Sagat –aujourd’hui facilité par l’arrivée du Belfie Stick. Si ce culte n’a rien de nouveau (cf. Baby Got Back en 1992), le voilà réinjecté et célébré au cœur de toutes identités et styles, promettant de dépasser des attributs biologiques : la croupe détrône les décolletés féminins, fait concurrence aux pectoraux masculins ; elle chamboule la binarité entre les genres, célèbre un unisexe jamais uniforme, aussi personnel que politique.
DES CULS ET DES CODES CHANGEANTS
Photographiée par Jean-Paul Goude, Kim Kardashian se dévoilait en 2014 sur la couverture controversée du magazine américain Paper.
Son retour ? Ne hurlez pas si on vous dit que Kim Kardashian y a grandement participé : non, elle n’a évidemment pas inventé le booty. Avant elle, Beyoncé puis Nicki Minaj, et beaucoup d’autres, faisaient évoluer les formes et métissaient les idéaux. Pourtant, aussi controversé que soit l’arrière-train injecté de Kim K., il a tout de même un impact de taille : forcer le luxe traditionnel à s’ajuster à des mensurations non rachitiques. Quand Riccardo Tisci, à la tête de Givenchy, dessine sa robe de mariée, la mode fait les grands yeux puis applaudit ce postérieur glorieux sous une robe haute couture. Ses courbes apparaissent également dans la campagne Balmain, dont les catwalks féminins comme masculin placent le croupion bling et fier sous le feu des projecteurs – un symbole de « sexualité revendiquée, de confiance en soi et de diversité dans les corps », dit Olivier Rousteing, son directeur artistique.
Pourtant, le cul moulé comme forme d’unisexe n’a rien de neuf – dans les années 70 déjà, Monsieur se pavanait en patte d’eph’ serre-fesse. La différence ? À cette époque, cela ne faisait que souligner les différences, chanter les louanges de son gros paquet et son arrière-train invisible. Ainsi, on ne faisait que remettre à jour les paramètres de la domination masculine, plutôt que de réellement la questionner. Un homme hétéro qui assume son cul, l’entretient, le met en avant, c’est un mâle qui accepte de s’offrir en objet de regard, de recevoir plutôt que d’imposer le désir. Ses rondeurs non-camouflées retournent un ordre genré de matage de l’homme par la femme – un grand pas en avant. Car c’est aussi la promesse d’une égalité intime : d’une sexualité sans tabous ni catégories ; sans sous-texte reproductif ; troublant les frontières entres les rôles de domination préétablis. Ce que Havelock Ellis, le psychologue prédisait déjà en 1927 dans ses recherches sur les sexualités : excitantes et transgressives par leur proximité aux organes génitaux qui ne sont plus la star du show (pas exactement dans ces termes là, vous l’aurez deviné), et qu’on aurait choisi d’ignorer pour aller vers de nouveaux horizons.
Petit panel de la fesse multiple qui habite les fantasmes et la mode de 2016.
LE CUL TRAPÈZE
Miaou Jeans, nouvelle marque de denim délicieusement kitsch a fait la simple promesse d’offrir « The Perfect Fit » (la coupe parfaite). Le résultat ? Une taille haute et marquée, des fesses moulées montrant à merveille nos cours d’abdo-fessiers. Voici la fesse Seventies, rendue célèbre par les premiers vêtements de fitness – et la culture sportive naissante qui va avec. Un esprit sain dans un corps sain : c’est aussi la fin de la maigreur maladive des années 60 vers une vie plus organique, et une sexualité plus libre. Aujourd’hui, il apparaît sur les campagnes American Apparel, sous les jeans Levi’s 501, et le retour des tailles hautes adressées à tout le monde – et raconte aussi une culture plus fluide que jamais.
LE CUL SPORTIF
Campagne Ivy Park automne-hiver 2016
Les années 80 et leur explosion du sport (cf. les vidéos de fitness de Cindy Crawford ou Arnold Schwarzenegger), sont directement liées à la montée en puissance de Working Girls – et des Golden Boys— à hautes responsabilité. La fesse musclée, tonique indique un contrôle de soi comme de sa vie.
Aujourd’hui, cette fesse Empowerment apparaît dans les campagnes de la marque sportive de Beyoncé, Ivy Park, ainsi que sur Queen B elle-même dans ses clips –contribuant à promouvoir une prise de pouvoir féministe. Le croupion musclé libère, car il suggère une identité ou la volonté et le travail triomphe sur les a priori biologiques.
LE BUBBLE BUTT
Campagne Guess printemps-été 2016 par David Bellemere
D’abord explosant dans Bootylicious des Destiny’s Child ou les joggings taille basse de Jennifer Lopez, promeuvent une diversité dans les idéaux, loin d’une domination de normes occidentales. Aujourd’hui, grâce aux campagnes Guess ou Abercrombie & Fitch, ou à des icones telles que Gigi Hadid, A$AP Rocky ou Justin Bieber, le survet’ peau de pêche renaît : confortable, effortless, sa pièce de résistance devient le cul, rond comme une pomme Granny, qui jaillit derrière toute insouciance. Et suggère une sexualité naturelle, instinctive et surtout, aussi décomplexée qu’indépendante.
LE CUL FANTÔME
Photo : Benjamin Lennox pour Magazine Antidote : Now Generation printemps-été 2016
Ne nous leurrons pas : le monde entier ne s’est pas soudain révolté contre la minceur filiforme. Si nous célébrons aujourd’hui les fesses, le mini-cul doit lui aussi avoir le droit d’exister. Sous un pantalon slim, enveloppé d’une culture rock invoquant Baby Dolls et Mods, Jane Birkin et les Beatles, il rappelle aussi l’arrivée de la contraception dans les années 60 – et le désir de l’époque de s’opposer à la prison des rôles reproductifs célébrés (pou ne pas dire imposés) lors du Baby Boom d’après-guerre. Aujourd’hui, on le trouve dans les marques au look pop vintage, au fil des conceptions de Hedi Slimane, Courrèges, sur Paul Hameline comme sur Clara 3000.
La fesse gomme la différence, gomme la hiérarchie entre les genres tout en célébrant leur multiplicité. À vos jockstraps !