Texte : Henri Delebarre.
Photo : 2 Moncler 1952 x Awake.
07/04/2020.
À l’occasion du lancement de la collection 2 Moncler 1952 homme été 2020, Antidote a rencontré les designers Sergio Zambon et Angelo Baque, respectivement directeur artistique de 2 Moncler 1952 et fondateur du label new yorkais Awake. Ensemble, ils co-signent une capsule mixant leur univers. Entretien.
Les collaborations entre grandes maisons et labels plus confidentiels sont devenues monnaie courante. Mais chez Moncler, le dialogue entre une multiplicité de personnes est érigé en fondement. En témoigne le concept « Moncler Genius », qui consiste chaque saison à inviter des créateurs extérieurs ayant leur propre marque ou officiant pour d’autres à imaginer une collection pour la maison. Au sein de ce projet lancé par le PDG Remo Ruffini, la ligne 2 Moncler 1952, baptisée en l’honneur de la date de création de la maison, fait cependant figure de repère stable. Divisée en deux segments – l’un dédié aux collections féminines, l’autre aux collections masculines -, elle s’appuie sur les talents de deux directeurs artistiques immuables : Veronica Leoni et Sergio Zambon, dont le rôle est de perpétuer l’héritage de ce spécialiste de la doudoune tout en le réinventant. « La ligne 1952 est une version upgradée de Moncler. J’ai une sorte de mission, celle de retravailler son ADN. Si ça s’appelait “Moncler Sergio Zambon” ce serait différent », explique le second, passé par Fendi, Max Mara ou encore Acne Studios. Dès ses débuts, Sergio Zambon a malgré tout intégré cette approche collaborative à la ligne homme de 2 Moncler 1952.
Pour l’été 2020, il a ainsi fait appel à une flopée de marques et de designers plus ou moins connus parmi lesquels le New Yorkais Angelo Baque, brand director de Supreme pendant dix ans, aujourd’hui à la tête de son propre label, Awake, lancé il y a huit ans. Ensemble, autour des pièces phares de leurs marques respectives, les deux créateurs ont imaginé une capsule juxtaposant leur logo. À l’occasion du lancement de la collection 2 Moncler 1952 été 2020 lors d’une soirée au Silencio, durant la dernière Fashion Week de Paris, ils nous racontaient l’histoire et les inspirations de cette partition écrite à quatre mains – Sergio Zambon y voyant l’occasion de se nourrir, Angelo Baque une opportunité de grandir.
Photo : Angelo Baque et Sergio Zambon.
Antidote. Comment cette collaboration est-elle née ?
Sergio Zambon. Tout a commencé lorsque j’ai vu Michelle Obama porter un T-shirt Awake. Et, à côté de chez moi à Milan, il y a une boutique nommée Slam Jam dans laquelle je me rends régulièrement qui vend des pièces Awake. Quand je les ai vues sur leur portant, j’ai tout de suite aimé ce qu’elles dégageaient. Et comme je fonctionne à l’instinct, je me suis dit que ce pourrait être cool de travailler avec la marque donc j’ai contacté Angelo. Pour cette collection printemps-été 2020 j’ai aussi collaboré avec d’autres entités, comme par exemple le label africain Mami Wata Surf. Le processus a été le même, je l’ai découvert sur Instagram et j’ai tout simplement aimé ce qu’ils proposaient. C’est une histoire de feeling.
Comment avez-vous procédé pour imaginer les pièces que vous co-signez ?
Sergio Zambon. La première idée était très simple. Il fallait provoquer une rencontre entre une pièce emblématique de Moncler – en l’occurence, la doudoune sans manches, qui est aussi très liée à la youth culture et aux kids britanniques – et une pièce iconique du vocabulaire d’Awake, comme les sweatshirts à capuche ou les T-shirts que j’ai vus chez Slam Jam.
Angelo Baque. Lors de notre première conversation, nous avons discuté du T-shirt que j’avais fait pour Dover Street Market. Sergio aimait beaucoup la typographie du logo dans le dos, donc c’était plutôt facile d’imaginer ce à quoi devait ressembler notre collaboration, esthétiquement parlant. Nous étions tous les deux sur la même longueur d’onde et nous savions ce que nous voulions : il fallait que ce soit audacieux et coloré.
Sergio Zambon. Il y a aussi un dialogue entre nos deux logos, c’est comme une sorte de teaser. Nos deux noms se rejoignent sur un terrain commun et nos esthétiques se mélangent pour créer une marque commune. Même si nous venons de différents backgrounds, il y a une compréhension mutuelle et c’est très important. Je garde toujours a l’esprit le fait que ce qui est contemporain aujourd’hui, c’est le mélange des genres.
Sergio Zambon : « Depuis mes débuts chez Moncler Genius, j’essaie de retravailler le style des Paninari, un mouvement streetwear italien des années 80. »
Quelle était l’inspiration pour cette capsule et pour la collection en général ?
Sergio Zambon. Il y a une partie de la collection que je qualifie de « pop ». Depuis mes débuts chez Moncler Genius, j’essaie de retravailler le style des Paninari, un mouvement streetwear italien des années 1980 dont les membres arboraient des uniformes qui intégraient des doudounes Moncler colorées. Les Pet Shop Boys ont d’ailleurs composé une chanson intitulée Paninaro. Je dirais qu’un tiers de la collection reprend cet esprit pop-streetwear. Une autre partie, pour laquelle j’ai collaboré avec Fergus Purcell, s’inspire quant à elle de motifs traditionnels africains qui s’invitent sur des survêtements des années 90.
En lien avec cet héritage des Paninari, les couleurs vives comme le orange, le vert ou le bleu électrique sont récurrentes dans vos collections pour 2 Moncler 1952… Comment avez-vous choisi celles des pièces imaginées avec Angelo ?
Sergio Zambon. Si l’on jette un coup d’œil à l’histoire de Moncler, il y a toujours eu beaucoup de couleurs. Avec Awake, mon idée première était de me limiter au noir et blanc, puis Angelo a demandé un bleu turquoise.
Angelo Baque. Je voulais tout simplement proposer quelque chose de différent [rires]. Le noir c’est facile. Mais ce bleu, c’est représentatif d’Awake. C’est ce que nous apportons.
Sergio Zambon. Le noir et le blanc sont faciles à produire mais quand j’ai dit aux fabricants en Italie qu’Awake voulait cette couleur menthe, ils étaient un peu réticents. Mais c’est vraiment Awake donc nous nous devions de le faire.
Photo : 2 Moncler 1952 x Awake.
Comment définiriez-vous vos styles respectifs ?
Sergio Zambon. Comme un millefeuille parce que j’ai fait des choses diverses et variées, de Fendi à Acne, en passant par Max Mara et Harley-Davidson. Cela fait écho à ma vie personnelle : je suis né en Égypte, ma mère est Croate mais a grandi dans une famille parlant français…
Angelo Baque. Je ne sais pas vraiment pour être honnête. Cela dépend de mon mood. Dans ma penderie j’ai des pièces Comme des Garçons vintage mais aussi du Supreme. Cependant, plus je vieillis, plus je cherche le confort. Mais avant tout, je veux être bien sapé. Ma marque prend appui sur la youth culture. Je me demande toujours : « Est-ce que le kid du Bronx ou de Brooklyn que j’ai en tête va porter ça ? ». J’ai été élevé dans le Queens et au début des années 1990, au moment où s’est forgée ma culture mode, il y a eu une sorte de bouillonnement culturel. On parlait beaucoup de black pride et ça se répercutait dans la mode. Beaucoup de marques indépendantes s’installaient à New York. Ça a participé à mon éducation.
Y-a-t-il des points communs entre Moncler et Awake ?
Sergio Zambon. Pas vraiment. Mais je suis convaincu qu’une vraie garde-robe est un mélange de choses. C’est comme ce qu’il se passe dans la musique avec le sampling. J’aime manier des concepts provenant d’autres champs créatifs. Les gens avec lesquels je collabore savent dès le départ qu’ils n’ont pas entièrement carte blanche. J’essaie toujours de faire en sorte que les collaborations s’insèrent dans l’ambiance de la saison. Les pièces imaginées avec Awake ressemblent à du streetwear, mais ce n’est pas vraiment le cas, elles sont borderline.
Angelo Baque. L’important n’est pas tellement ce que nous avons en commun mais plutôt ce que nous posons tous les deux sur la table, pour renforcer la notoriété de nos deux marques. Il faut trouver le juste équilibre. Pour moi tout est question d’élévation. Chez Supreme, mon but a toujours été d’élever la marque. Jeune, je n’aurais jamais pu m’offrir une veste Moncler. C’était une aspiration. Moncler était quelque chose de culturel à New York quand j’y ai grandi. La marque y a une histoire, donc en tant que label dédié à la youth culture new yorkaise, cela avait du sens de collaborer avec Moncler.
Angelo Baque : « La collaboration Awake x Moncler consiste aussi a créer un moment, une expérience globale. »
Moncler a d’ailleurs pour devise « One House, different voices ». La maison toute entière s’appuie sur cette approche collaborative que vous, Sergio, réappliquez au sein de ligne 2 Moncler 1952. Angelo, vous avez vous aussi souvent recours aux collaborations (Carhartt, Reebok, Asics, etc.). Que vous apporte ces associations ?
Angelo Baque. Même si nous nous sommes pas mal développés ces derniers temps, Awake reste une petite marque, il s’agit donc pour moi de trouver le bon partenaire pour grandir et progresser. C’est le but des collaborations pour moi, avancer petit à petit et de manière organique. C’est très stratégique. Mais je dois être suffisamment intelligent pour ne pas collaborer avec une marque avec laquelle ça ne semble pas naturel. Nous vivons une époque où les entreprises collaborent les unes avec les autres et se cannibalisent entre elles.
Sergio Zambon. Chez Moncler, j’ai commencé a établir des collaborations dès la première saison. Mais chez Fendi je travaillais déjà main dans la main avec des graphic designers de Londres pour imaginer des motifs de T-shirts. Quand on y prête attention, c’est ce qu’il se passe dans toutes les maisons. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri collabore avec des femmes artistes, Kim Jones travaille avec Alyx et Ambush. Tout le monde collabore. La mode est enfin un monde ouvert. Pour moi, c’est naturel, j’aime expérimenter de nouvelles façons de créer sans que ce soit nécessairement des produits. L’autre jour par exemple, j’ai eu l’idée de demander à un musicien que j’aime beaucoup de créer une chanson spécialement pour la collection. J’ai constamment besoin de découvrir de nouvelles choses, d’échanger, de grandir culturellement et humainement. C’est un enrichissement incroyable. Quand je travaillais pour Acne en Suède, j’ai découvert la culture scandinave et avec elle une nouvelle façon d’envisager le travail. J’aime avoir une approche holistique et c’est ce qu’apportent les collaborations. Ça dépasse le concept du design pur. Comme je le disais, c’est plus un mode de fonctionnement provenant d’autres domaines créatifs, comme la musique. L’idée étant de créer quelque chose de fort ensemble. Mais c’est aussi important de préciser qu’une collection se compose d’une trentaine de tenues et que les collaborations ne représentent généralement que 6 ou 7 silhouettes.
Angelo Baque. Pour moi, la collaboration Awake x Moncler consiste aussi a créer un moment, une expérience globale qui se diffuse à la fois à travers les produits, la soirée de lancement, les images du lookbook et les gens qui prennent part à ce projet. C’est comme aller au restaurant et avoir un bon repas en 8 plats !
Photo : 2 Moncler 1952 x Awake.
Qu’avez-vous appris de ce projet Moncler x Awake ?
Angelo Baque. La patience [rires]. Venant de Supreme, je suis habitué à ce que les choses aillent très vite.
Sergio Zambon. Différentes manières de communiquer, de penser et de réfléchir le style. Apprendre des autres est l’une des choses que j’aime le plus dans le fait de collaborer. Lors d’un dîner à Milan, le fondateur du label Mami Wata Surf m’a dit qu’il n’en revenait toujours pas de travailler avec Moncler. Collaborer avec des marques plus confidentielles apporte une fraîcheur.
Angelo, j’ai lu que le nom de votre marque (qui signifie « éveillé » en anglais) n’avait rien à voir avec l’idée de « wokeness ». Pourquoi l’avoir baptisée ainsi dans ce cas ? Car il y a malgré tout dans votre travail cette idée d’être culturellement éveillé, d’être connecté à ce qui émerge dans la youth culture…
Angelo Baque. Je trouvais juste que le mot était cool et j’aime l’assemblage des lettres. Et comme je m’appelle Angelo, j’aime les mots qui commencent par un « A ». C’est un truc d’egomaniaque.
Sergio, chaque saison vous devez composer votre collection en prenant comme base la doudoune. Expérimentez-vous avec le nylon pour trouvez de nouvelles façons de l’utiliser ?
Sergio Zambon. Oui, je cherche de nouvelles techniques que je mélange à d’autres plus anciennes comme par exemple l’intarsia. En ce moment, je travaille beaucoup sur la durabilité. Pour rendre les couleurs sans utiliser d’eau par exemple. Pour la saison prochaine, j’essaie de travailler avec des matériaux recyclés. C’est un nouveau challenge.