Rencontre avec Dirk Schönberger, l’ambitieux designer qui régénère l’ADN de MCM

Article publié le 23 janvier 2020

Texte : Henri Delebarre.
Photo : Dirk Schönberger au vernissage de l’exposition Juergen Teller au sein du flagship japonais de MCM Ginza Haus 1, à Tokyo.
23/01/2019

Global Creative Officer de MCM depuis à peine plus d’un an, Dirk Schönberger fourmille d’idées pour ramener la marque née à Münich en 1976 sur le devant de la scène. Du développement d’une ligne de prêt-à-porter à l’ouverture de concept-stores en passant par des collaborations avec la chanteuse Billie Eilish et le photographe Juergen Teller, l’ambition du designer est limpide : faire de MCM l’une des pierres angulaires d’un luxe genderfluid, durable et moderne. 

Né à Cologne en 1966 dans une famille de médecins et d’avocats, Dirk Schönberger semble obsédé par la volonté de capter ce que la philosophie allemande a nommé le « zeitgeist », soit « l’esprit du temps » en français. Et chez MCM – acronyme de Modern Creation München -, la marque fondée en 1976 à Münich par Michael Cromer où il officie en tant que Global Creative Officer depuis septembre 2018, il n’y a qu’à regarder ses premières initiatives pour se convaincre que le designer formé à l’ESMOD de Münich y parvient avec brio. En témoigne sa collaboration avec la chanteuse Billie Eilish, égérie de la campagne automne 2019 de MCM. Ou encore sa première collection pour la marque, inspirée de la vie nocturne qui secoue la jeunesse berlinoise. Sans oublier la collaboration qu’il a imaginée avec le label de streetwear BAPE, prisé de nombreuses personnalités du monde du rap et du R’n’B, dévoilée en octobre dernier.

L’art de la collaboration, Dirk Schönberger le manie avec aisance depuis longtemps. Chez Adidas, où il a occupé le poste de directeur créatif de 2010 à 2018, il s’en est même fait une spécialité pour rehausser le crédit mode du géant du sportswear. Raf Simons, Yohji Yamamoto, Rick Owens ou encore Pharrell Williams et Kanye West… visionnaires, les associations qu’il y a initié sont entrées dans l’histoire. Tout comme la mythique Stan Smith, qu’il a su ressusciter avec un succès phénoménal.

Après avoir fait ses premiers pas chez Dirk Bikkembergs, à Anvers, fondé son propre label (portant son nom) en 1996, puis pris les rênes de Joop! – une marque allemande qu’il situe sur le même segment qu’Hugo Boss -, Dirk Schönberger a encore changé son fusil d’épaule, évoluant désormais dans l’univers du luxe. Mais où qu’il aille, si son style s’adapte, sa vision demeure la même : elle cherche toujours à faire de la marque pour laquelle il travaille un acteur majeur et global. Chez MCM, son objectif est d’innover au sein du label et de diversifier ses activités pour en faire l’un des piliers du luxe de demain. Rencontre.

ANTIDOTE. Comment avez-vous obtenu le poste de « Global Creative Officer » chez MCM ?
DIRK SCHÖNBERGER. La proposition de Sung-Joo Kim [femme d’affaires coréenne, propriétaire de MCM depuis 2005, ndlr] était une opportunité à ne pas manquer. Indubitablement, MCM a suivi un parcours formidable pour atteindre sa taille actuelle, mais comme pour beaucoup d’autres marques, l’engouement qu’elle suscitait s’est quelque peu essoufflé au fil du temps. Mme Kim voulait donc la remanier et la moderniser en l’ouvrant à de nouvelles catégories de produits. On a donc commencé à développer le prêt-à-porter, à travailler davantage sur les chaussures et à moderniser l’aspect de la maroquinerie.

Votre objectif est-il de faire du prêt-à-porter l’activité principale de MCM ?
Non. Et je ne pense pas qu’une marque qui a ses racines dans la maroquinerie doive déplacer son activité principale vers le prêt-à-porter. Mais nous avons des objectifs très ambitieux pour faire évoluer la marque dans son ensemble, et il est très important d’avoir un vision holistique, de créer un look, une attitude complète. Pour des raisons assez évidentes, le prêt-à-porter est un instrument qui permet de mettre cela en place facilement. Mais je n’ai pas l’intention de faire un défilé avec une centaine de looks pour n’en vendre qu’une dizaine. Il faut que cela reste mesuré et sustainable. Ajouter de nouveaux produits à un marché déjà saturé simplement pour l’image ne m’intéresse pas. Et la maroquinerie représente toujours de façon très claire la majeure partie du chiffre d’affaires de MCM. En la modernisant, on va lui donner un nouveau coup de pied.
Le prêt-à-porter et les chaussures connaissent cependant une croissance assez rapide.
La chaussure représente un grand potentiel, parce que c’est devenu un produit avec lequel on entretient un rapport presque fétichiste, que l’on ait 15 ans ou 70 ans. C’est en tout cas le secteur qui offre la croissance la plus rapide car c’est plus abordable, donc plus facile d’accès.

Photo : MCM été 2020.

Avant MCM, en 1996, vous avez lancé votre marque de vêtements éponyme. Pourquoi avoir décidé de l’arrêter en 2009 ?
Il y a plusieurs raisons. À l’époque, cela faisait douze ans que je vivais à Anvers et je souhaitais retourner dans mon pays natal, en Allemagne. Certes, Berlin n’était pas ma ville d’origine, mais je souhaitais à nouveau pouvoir m’exprimer dans ma langue maternelle. Je sentais que c’était le moment pour moi de changer d’air. Donc j’ai déménagé. C’était très excitant de changer de vie ! On m’a alors proposé un emploi chez Joop!, où j’ai été directeur artistique pendant trois ans. C’était intéressant, mais j’ai vite ressenti le besoin de faire quelque chose de plus démocratique…

Vous êtes alors devenu « creative director » pour Adidas. Qu’avez-vous appris là-bas ? Cette expérience imprègne-t-elle votre travail chez MCM ?
Énormément de choses. Tout d’abord : diriger une grande équipe. Aussi, c’était formidable de pouvoir naviguer de la création artistique à la mise en place des campagnes, en passant par le retail. Quand vous êtes designer, vous êtes en un sens dans votre bulle. Mais quand vous travaillez pour une marque comme Adidas, vous devez impérativement savoir pour qui vous créez. C’est plus un exercice de marketing. Comprendre les différentes couches du millefeuille qu’est le processus de création d’un produit m’a été très utile. Comprendre les codes d’une marque, son ADN est aussi important si l’on veut savoir ce que l’on peut faire pour y créer quelque chose d’inédit. C’était très agréable de travailler pour Adidas. Mais la liberté d’expression de la mode me manquait. Chez MCM, j’ai beaucoup plus d’espace pour jouer avec les thèmes saisonniers par exemple. Mais quelque soit la marque pour laquelle j’officie, mon approche est très similaire, non pas d’un point de vue stylistique, mais dans ma vision de la conception.

« En tant que marque de luxe, nous devons apporter des réponses adéquates aux changements de notre époque. »

À ce propos, quelle était votre inspiration pour la collection printemps-été 2020, la première que vous avez entièrement supervisée ?
J’ai mélangé l’histoire de la marque au présent. Quand MCM a été fondée, c’était la grande époque du disco à Münich. La ville était le cœur d’une vie nocturne très extravertie et hédoniste. Le compositeur et arrangeur italien Giorgio Moroder y était installé. Il y a travaillé avec Freddie Mercury ou encore Donna Summer [pour qui il a composé et produit les plus grands succès de la chanteuse, de Love to Love You Baby (1975) à I Feel Love (1977) en passant par Hot Stuff (1979), ndlr]. Münich était une ville très excentrique et je voulais me plonger dans les archives de MCM. Mais depuis que j’ai rejoint la marque en septembre 2018, le studio est installé à Berlin, où il y a un dynamisme similaire dans la vie nocturne. La collection établit donc un parallèle entre le disco de Münich et la techno de Berlin, elle crée un clash entre ces deux cultures, ces deux décennies qui, finalement, expriment toutes les deux la même chose. Concrètement, j’ai mélangé des clichés de la silhouette disco – les sequins, les matériaux réfléchissants – avec des éléments plus techniques. J’ai toujours aimé mêler le côté très structuré du tailoring à la décontraction du streetwear. Examiner le tailoring pour le disséquer était déjà au cœur de ma démarche pour mon propre label. Quand j’étais jeune, j’avais d’ailleurs démonté un costume de mon grand-père pour essayer d’adapter ses dimensions à ma propre morphologie. 

Photo : Collaboration MCM x BAPE.

Vous êtes loué pour avoir renforcé le positionnement mode d’Adidas grâce à de nombreuses collaborations. Avez-vous l’intention de mettre en place de multiples associations chez MCM, dans la continuité de ce précédent succès ?
Ce serait beaucoup trop facile ! Cependant, les collaborations sont extrêmement importantes. Mais il y en a trop. De ce fait, elles sont parfois creuses. Pour être intéressantes, elles doivent créer une friction, apporter quelque chose que les deux marques n’ont pas encore. Une collaboration trop évidente n’est bénéfique pour personne.

Pourquoi avez-vous eu envie de travailler avec le label de streetwear BAPE ?
C’était un travail de longue haleine. Chez Adidas, les collaborations allaient beaucoup plus vite. Celle-ci s’est faite sur le long terme car la collection que nous avons imaginée avec BAPE était assez conséquente. Ça a très bien fonctionné parce que MCM et BAPE ont un esprit très jeune. Ce n’était pas une collaboration que l’on aurait pu prévoir. Parfois, au début, je me disais même que ça n’allait pas marcher. Mais quand j’ai vu le résultat, ça faisait vraiment sens, c’était très fort.

Avant votre arrivée, MCM s’était déjà associé à Christopher Raeburn ou à Puma. D’autres projets de ce type sont-ils en cours ?
Oui. Rien de fixé mais nous avons effectivement planifié de nouvelles collaborations pour 2020.

« Si l’objectif premier d’une marque est de vendre des produits, je suis aussi persuadé qu’il faut l’inscrire dans un contexte culturel. »

Dans une interview au Vogue UK, vous avez déclaré que vous comptiez faire de MCM un des piliers de la nouvelle école du luxe. Comment comptez-vous vous y prendre ?
MCM a l’avantage d’être relativement jeune [44 ans, ndlr], contrairement à d’autres marques. Nous sommes donc beaucoup plus agiles et flexibles pour nous embarquer dans de nouvelles aventures. MCM s’est par exemple lancé dans le sac à dos alors qu’aucune griffe de luxe n’en proposait. Cela prouve que la marque ne mise pas seulement sur une esthétique mais qu’elle cherche aussi à répondre aux besoins du consommateur moderne. Tous les jours, nous courrons partout avec ces choses (il montre ses effets personnels posés sur la table), nous avons besoin de nous libérer les mains ! MCM défend également une approche genderfluid, à rebours des stéréotypes de la masculinité et de la féminité. C’est un sujet important, tout comme la durabilité. Je travaille très dur pour essayer de trouver des matériaux alternatifs, de nouvelles méthodes de conception. En tant que marque de luxe, nous devons apporter des réponses adéquates aux changements de notre époque.

Pour la campagne automne-hiver 2019-2020, vous avez fait appel à Billie Eilish et Childish Major. Comment les avez-vous choisis ?
On a d’abord porté notre choix sur Billie Eilish. Bien avant de savoir qu’elle s’apprêtait à sortir un album, on a entamé une discussion avec elle car elle était déjà fan de la marque. On lui avait envoyé quelques pièces et elle les a vraiment appréciées. Les gens n’arrêtaient pas de me dire qu’elle était trop jeune pour être égérie. Mais qu’elle ait 17 ans ou 55 ans, ça m’est totalement égal. Ce que j’aime chez elle, c’est son attitude, son authenticité. Elle ne cherche pas a faire ce qu’on attend d’elle. Cet état d’esprit correspond particulièrement à MCM, qui a toujours été très anticonformiste. La marque est née à un moment où la société changeait du tout au tout, juste après la libération sexuelle, en pleine période des mouvements pacifistes. Quant à Childish Major, nous l’avons choisi car nous cherchions quelqu’un qui puisse bien matcher avec Billie.

Les avez-vous choisis par désir de conquérir les générations Y et Z ?
Honnêtement, ça aurait pu être une stratégie, mais ce n’est pas le cas. L’âge m’importe peu, je suis davantage mes impressions. Les millennials ne sont pas dupes. Si votre démarche n’est pas authentique, ils remarqueront aussitôt le bullshit et le dénonceront. Choisir un visage simplement pour le mettre sur une campagne est un jeu dangereux. Bien sûr, toutes les marques veulent cibler les jeunes générations, parce qu’elles constituent l’avenir. Mais en tant que personne qui n’en fait pas partie, je m’intéresse vraiment à ce qu’elles regardent, à ce qu’elles écoutent. Je ne veux pas perdre le contact avec ce qui est pertinent.

L’an dernier, vous avez ouvert un concept store baptisé « 1976 Berlin », dans un ancien garage du quartier de Mitte, entre mode et art contemporain. Comment ce projet est-il né ?
Si l’objectif premier d’une marque est de vendre des produits, je suis aussi persuadé qu’il faut l’inscrire dans un contexte culturel. J’ai donc voulu créer un lieu qui reflète cette idée. Évidement, la transaction reste l’objectif central, vous donnez de l’argent et en échange vous avez un sac à main ou un T-shirt. Mais « 1976 Berlin » est aussi un espace où l’on a invité des artistes à collaborer, et où l’on a exposé leurs œuvres.

Prévoyez-vous d’ouvrir d’autres lieux comme celui-ci ?
Nous avons créé quelque chose de similaire à Ginza, au Japon, où Mme Kim a eu l’opportunité de louer un building entier. Il y a un étage que je souhaitais utiliser comme une galerie. Il y a quelques mois, nous y avons organisé une exposition de photographies par Juergen Teller avec le galeriste berlinois Johann König. C’est une manière d’entamer de nouvelles conversations, d’offrir autre chose que des produits. Cela donne une nouvelle énergie à MCM.

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