Comment Tom Ford est-il devenu un réalisateur bankable ?

Article publié le 4 janvier 2017

Texte : Maxime Leteneur
Photo : campagne Tom Ford for Men

Sept ans après son premier essai A Single Man, le créateur de mode Tom Ford signe son grand retour dans les salles obscures avec Nocturnal Animals : un thriller psychologique qui ne fait que confirmer la propension du Texan à transformer tout ce qu’il touche en or.

Son nom ressemble à ceux des grands héros américains et pour cause, celui qu’on a longtemps qualifié de « pape du porno-chic » ne s’est que rarement trompé. Avec Nocturnal Animals, son deuxième long-métrage, Tom Ford espère glaner définitivement ses galons de réalisateur respecté après ceux – déjà largement acquis – de grand créateur de mode. Une trajectoire unique en son genre.

Arrivé presque par hasard dans le monde du stylisme, le jeune Tom Ford de 18 ans préfère à l’époque le cinéma et se destine à une carrière d’acteur. Malgré quelques apparitions dans des spots publicitaires et un déménagement à Los Angeles au début des années 80, son physique aux antipodes de l’archétype du blond californien et un acting pas franchement flamboyant enterrent définitivement ses espoirs. En 1983, il intègre la renommée Parsons School of Design de New-York avant d’obtenir un stage au service presse de Chloe : une première expérience qui se révélera déterminante pour la suite de sa carrière : il ne quittera plus jamais le monde de la mode.

De gauche à droite : campagne Gucci automne-hiver 1996 par Mario Testino, Yves Saint Laurent par Tom Ford automne-hiver 2004

Mais ce n’est qu’en 1990 que la carrière de Tom Ford décolle véritablement, il entre par la petite porte chez Gucci en tant qu’assistant de la directrice de collection de l’époque alors que la maison italienne est au plus bas, frisant la faillite financière sur fond de règlement de compte familial. C’est finalement avec la complicité de Domenico de Sole, un avocat italo-américain dans la maison depuis 1984, que Tom Ford prend le pouvoir et présente sa première collection en 1995. Ses smokings en velours pourpre font l’unanimité et sa réédition des grands classiques Gucci, le sac Bambou et les mocassins mors en tête, redorent le blason de la griffe italienne. En une dizaine d’années sous sa direction, Tom Ford aura réussi le tour de force de redresser une marque au bord de l’implosion, mais également d’imposer sa vision, s’occupant aussi bien de dessiner les collections que de gérer l’image de la marque. Il redéfinit à l’époque le rôle du créateur de mode et personnifie à lui seul le nouveau personnage central d’une maison : celui de directeur artistique.

Si tout semblait lui sourire, son arrivée en 1999 chez Yves Saint Laurent Couture (la ligne de prêt-à-porter de luxe de la maison) sonne pour lui comme le début des ennuis. Les premières collections sont un échec, les critiques et Yves Saint Laurent lui-même lui reprochent de ne pas avoir su reconnaître et intégrer l’héritage de la maison. Si ses dernières collections rencontrent toutefois un succès d’estime, les ventes ne décollent pas et un début de querelle avec son partenaire de toujours Domenico de Sole fragilise sa position au sein du groupe. Il finira par quitter YSL et Gucci en avril 2004 quand Pinault-Printemps-Redoute (PPR) rachète le Gucci Group.

C’est fort de son nouveau statut d’icône de la mode que Tom Ford fait son retour aux Etats-Unis, il pose en 2005 la première pierre de ce qui constituera plus tard son empire : une collection de lunettes sous la griffe Tom Ford. Suivront la beauté, la mode masculine et enfin la mode féminine. Dans son style toujours aussi opulent, à la limite du sexuel, et avec sa science du marketing de luxe, il ne met pas alors longtemps à s’imposer comme l’un des créateurs les plus identifiables d’Amérique. Symbole de son influence outrancière à travers le monde, il est en 2011 le seul représentant de l’industrie de la mode parmi les 100 personnes les plus influentes de la planète selon Time Magazine.

DE LA MODE AU CINÉMA

Tom Ford a dévoilé son premier long-métrage A Single Man en 2009.

Il aurait pu s’en contenter, mais c’était sans compter sur son irrépressible envie de s’accomplir dans le 7ème art. En 2009, Tom Ford met son goût prononcé pour l’esthétisme au service de son autre passion – le cinéma – et signe son premier film sobrement intitulé A Single Man avec Julianne Moore et Colin Firth. Un premier coup d’essai remarqué qui dessine dès lors les contours de son style : une certaine froideur, une mise en scène élégante et précise, et une envie de sortir les acteurs de leur zone de confort. Ce premier long-métrage aurait pu ressembler à un caprice de star, il n’en fut rien ; Tom Ford écrivant, produisant et réalisant lui-même le film pour la bagatelle de 7 millions de dollars. Pari gagnant puisque que le film remporte un vif succès aussi bien auprès des critiques qu’au box-office, amassant pas loin de 25 millions de dollars.

Avec Nocturnal Animals, Tom Ford reprend les ingrédients de son premier succès cinématographique en adaptant cette fois une nouvelle d’Austin Wright de 1993 intitulée Tony And Susan. Récompensé du Grand Prix du jury de la Mostra de Venise, le film séduit notamment pour ses visuels léchés, à la limite de l’obsessionnel : « Le long-métrage est un exercice résolument visuel, et je pense que les mots et les dialogues ne devraient servir qu’à faire évoluer une fable essentiellement visuelle (…) C’est peut-être pour cela que j’écris de très longues scènes. Peut-être dans un souci d’établir un véritable lien entre les personnages. En fait rien ne me ravit plus qu’une conversation intéressante, c’est pour cela que j’en veux à l’écran et les entoure de silence, comme un écrin, afin qu’elles puissent briller », confie le réalisateur. On y retrouve Amy dans le rôle de Susan Morrow, une galeriste au bord de la dépression, et Jake Gyllenhaal dans celui d’Edward Sheffield, son ex-mari dont elle n’a plus de nouvelles depuis des années.
Alors que son mari est en voyage d’affaires, Susan reçoit un étrange colis : un manuscrit signé de son ex-mari Edward accompagné d’une note l’invitant à le lire et à le contacter lors de son passage en ville. Dans ce récit aussi violent que bouleversant, Edward campe le rôle de Tony Hastings, un père de famille embourbé dans une affaire avec un gang de voleurs de voitures ultra-violent qui a pris en otage sa famille après l’avoir abandonné sur le bas-côté.

Le film Nocturnal Animals de Tom Ford est sorti en salles le mercredi 4 janvier.

Empilant une nouvelle fois les casquettes de scénariste, producteur et réalisateur, on retrouve le Tom Ford omnipotent et obsessionnel qui avait fait son succès dans le monde de la mode, s’assurant au passage qu’aucun costume ne soit signé de sa marque pour éviter qu’on l’accuse de la promouvoir à travers son film. Car si on retrouve des traits communs entre ses collections et ses films, Tom Ford le designer n’est pas Tom Ford le réalisateur. En s’assurant qu’aucun amalgame ne soit fait entre ses deux carrières, il se distingue aux yeux d’un public non-initié à ses coups d’éclats d’antan alors que sa marque continue d’évoluer à un rythme de croisière sans grands remous. Preuve s’il en est que son futur se dessine aujourd’hui plus derrière la caméra qu’en coulisses des défilés, il reste à ce jour le seul créateur majeur à avoir réussi à s’imposer au grand écran.

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