Quelques jours avant Noël, elle tire sa révérence après une vie passée à bouleverser la mode.
La nouvelle est tombée quelques jours avant Noël, comme une triste surprise s’abattant sur le monde de la mode : Franca Sozzani, illustre rédactrice-en-chef du Vogue Italia depuis 28 ans, vient de disparaître, après un an passé à se battre contre la maladie. Les détails ne sont pas dévoilés, tout comme son intimité, gardée sous le sceau d’une pudeur pré-réseaux sociaux. Ce qu’elle laissait à voir, c’était une icône comme on n’en fait plus en 2016, au style personnel aussi fidèle et identifiable que son stylisme. Crinière préraphaélite, œil infaillible, vision défricheuse doublée d’une profonde connaissance de l’histoire de l’art et du costume : elle oscillait entre enthousiasme sans cesse renouvelé et vision pérenne.
Sa vie ressemble à celle d’une héroïne féministe : elle naît à Mantoue, petite ville du nord de l’Italie, loin des dorures milanaises. Diplômée en philosophie, elle se marie à l’âge de 20 ans, puis divorce trois mois plus tard. Son destin est ailleurs. Elle rentre dans la mode par la porte plus conventionnelle du Vogue Bambini (ou enfant), mais refuse de se cantonner à un secteur maternisant : elle séduit l’équipe du Vogue et le Condé Nast italien par sa vision de l’Italienne moderne et se met en tête de reprendre radicalement la publication culte mais devenue poussiéreuse.
Dans une Italie profondément sexiste et raciste, elle se bat pour dédier des numéros entiers aux beautés noires.
Dès ses premiers shoots, elle s’oppose au statut du mannequin potiche, et participe grandement à la construction du mythe des top models des années 90, les Fantastic 6 : elle voit en Naomi, Kate, Cindy et les autres, des figures de puissance, profondément émancipées, d’amazones modernes. A ça, elle apporte des collaborations régulières avec des figures qui marquent l’histoire de la photographie, comme Steven Meisel, Bruce Weber, Peter Lindbergh, Mario Testino. L’art n’est jamais bien loin, et elle collabore aussi avec les artistes Maurizio Cattelan et Vanessa Beecroft, et signe nombre d’expositions et rétrospectives – prouvant la force pluridisciplinaire de la mode, et sa valeur en tant que profonde expression de créativité.
Un autre grand combat habite sa carrière : le potentiel de l’industrie comme initiateur de changement sociaux et politiques. Dans une Italie profondément sexiste et raciste, elle se bat pour dédier des numéros entiers aux beautés noires ; dénonce l’obsession de la chirurgie esthétique et de la jeunesse ; lance la plateforme Vogue Curvy, entièrement dirigé par des bloggeuses grandes tailles.
Elle deviendra même ambassadrice pour les Nations Unies, et lance avec Condé Nast l’organisation Child Priority militant pour l’accès à l’éducation. « Donner jusqu’à en souffrir » : voilà un message qu’elle n’aura cesser de répéter. Jusqu’à en mourir.