Avides d’un luxe plus démocratique, inspiré par la rue, la pop culture ou encore le sportswear, les nouvelles générations obligent les grandes maisons à se réinventer et à redoubler d’audace.
Les moins de 35 ans représentent une part minoritaire du marché du luxe, mais ont déjà toute l’attention des grandes marques. Leurs icônes sont partout : Lily-Rose Depp en mariée clôturant le défilé haute couture de Chanel, le rappeur A$AP Rocky et Rihanna en égéries Dior, Jaden Smith en jupe sur la campagne printemps-été 2016 de Louis Vuitton… Sans oublier les plus célèbres « influenceurs » des réseaux sociaux, omniprésents dans les défilés (comme Gigi et Bella Hadid, ou encore Kendall Jenner), quand ils ne sont pas installés en front-row. Pour son dernier show en date, Dolce & Gabbana a ainsi invité nombre de stars digital natives dont le Youtubeur Cameron Dallas, le mannequin Lucky Blue Smith, ou encore Dylan Jagger Lee (le fils de Pamela Anderson).
Photos de gauche à droite : Kendall Jenner au défilé Balmain printemps-été 2015, Bella Hadid lors du show Versace printemps-été 2018, Lily-Rose Depp au défilé haute couture Chanel printemps-été 2017, Gigi Hadid au défilé Anna Sui printemps-été 2018.
Séduire les millenials, nés entre 1980 et 1996, et la génération Z qui les suit est un enjeu de taille pour les grandes maisons : d’après les projections du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company, ils concentreront 45 % des dépenses mondiales en produits de luxe d’ici 2025. Si la plupart n’ont pas encore le pouvoir d’achat permettant de s’offrir les vêtements des grandes marques, celles-ci n’hésitent pas à miser sur l’avenir en leur adressant un discours taillé sur mesure, afin qu’ils se familiarisent avec leur ADN. Burberry a été l’une des premières à diffuser ses défilés en direct sur les réseaux sociaux, avant de produire une campagne publicitaire shootée par Mario Testino diffusée uniquement sur Snapchat, durant 24h. Fendi est même allée jusqu’à créer une plateforme digitale, « F is For… », où l’on retrouve des shootings d’artistes émergents (habillés en total look de la marque), et autres articles culturels rédigés par et pour des millenials.
Bien qu’elles se soient adaptées aux moyens de communication des nouvelles générations, les grandes maisons n’en restent pas moins inquiètes face au scepticisme de ces jeunes générations à l’égard du marketing classique, que le manque d’authenticité rebute. D’où une multiplication de campagnes au discours commercial masqué, dont le contenu laisse transparaître les valeurs que les marques souhaitent promouvoir, et constitue une porte d’entrée dans leur univers. Avec ses Women’s Tales lancés en 2011, Miu Miu invite ainsi des réalisatrices à célébrer les femmes à travers un court-métrage, collaborant avec Agnès Varda, Chloë Sevigny, ou encore Ava DuVernay. Il y a quelques jours, Kenzo a lancé une initiative similaire, visant à mettre en avant de jeunes réalisateurs émergents avec trois films expérimentaux inspirés par la Terre, dont ils rappellent la fragilité.
Le génie créatif, meilleur allié du luxe
Dans certains cas, l’opération séduction porte déjà ses fruits : Gucci réalise ainsi 55% de ses ventes auprès des moins de 35 ans, selon The Guardian. Des statistiques dopées par l’arrivée d’Alessandro Michele en 2015, salué pour ses créations baroques revisitant les codes esthétiques 70’s et 80’s , et par celle de Marco Bizzarri plus tôt cette même année en tant que nouveau PDG. Récemment, il a révélé consulter un « conseil de millenials » de moins de 30 ans pour le guider dans ses décisions, et son choix de ne plus utiliser de fourrure dans ses collections couture n’y est sans doute pas étranger : « Ce n’est pas moderne » a-t-il d’ailleurs déclaré, sûr de lui.
Photo : Gucci
La position des nouvelles générations à l’égard de la fourrure reste pourtant ambiguë. Rihanna, Beyoncé et Kim Kardashian en portent toutes régulièrement, et les jeunes ne sont pas réfractaires à l’idée d’en acquérir selon un article du site Business of Fashion. Mais les attentes ont changé. Exit l’ostentatoire manteau en vison : les nouvelles générations préfèrent la fourrure vegan, ou en petites touches discrètes sur des chaussures ou des sacs comme les Bad Bugs de Fendi.
« La principale question qui nous est posée est : Comment entrer dans une conversation avec les nouvelles générations sans perdre notre identité ? Les grandes maisons revendiquent souvent un long héritage mais est-ce que ce passé parle aux millennials ? »
Cette tendance incarne le rapport des millenials au luxe, qu’ils souhaitent moins excluant qu’auparavant, pour mieux s’accorder à leurs idéaux progressistes et leur sensibilité aux questions de diversité. Au-delà du sursaut éthique qu’ils encouragent à travers leur intérêt pour l’écologie, les droits LGBT ou encore le féminisme, ils posent une équation délicate à résoudre pour les grandes maisons : justifier des prix élevés sans s’appuyer sur une volonté de distinction de classe passant par un dénigrement de la rue, et de la culture populaire. Elles doivent ainsi parvenir à démocratiser leur style sans tomber de leur piédestal. Comme l’explique Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode, dans un article des Echos : « La principale question qui nous est posée est :“ Comment entrer dans une conversation avec eux sans perdre notre identité ? ” Ces maisons revendiquent souvent un long héritage mais est-ce que ce passé parle aux millennials ? Il ne s’agit pas tant de trouver le ton sur lequel s’adresser à eux que de trouver comment exister et communiquer avec eux. »
Photos de gauche à droite : Louis Vuitton X Supreme collection automne-hiver 2017, Moschino collection printemps-été 2015, Balenciaga collection automne-hiver 2017, Off-White collection printemps-été 2018.
La solution ? Miser sur la créativité, l’audace et l’authenticité d’un designer capable de refléter le zeitgeist de son époque, voire de contribuer à le redéfinir. Et la prise de risque paye : avec ses créations extravagantes inspirées par la pop culture, de Barbie à McDonald’s, Jeremy Scott a fait décoller les ventes de Moschino, dont il est le directeur artistique depuis 2013. Marque de luxe plus traditionnelle, Louis Vuitton s’est elle offert un lifting en collaborant avec le roi du streetwear Supreme pour sa collection automne-hiver 2017, qui s’est soldée par un grand succès commercial. Et quand les grandes maisons n’osent pas franchir le pas, les millenials prennent le relai (lorsqu’ils en ont les moyens), assortissant un manteau de luxe avec un jogging Adidas, ou bien un pantalon onéreux avec une veste usée, chinée en friperie.
Il y a quelques jours, la marque Balenciaga, dont la direction artistique est assurée par le designer de 36 ans Demna Gvasalia, a été classée « hottest brand » du classement 2017 de Business of Fashion et Lyst, s’appuyant sur l’analyse d’une grande base de donnée. En troisième position, on retrouvait un autre jeune directeur artistique : Virgil Abloh, issu de la génération Y et entouré d’influents millenials parmi lesquels Luka Sabbat, dont la marque Off-White a grimpé de 31 places par rapport à l’année précédente. Pour plaire aux millenials, le luxe va devoir leur faire confiance.