Avec des clips, des installations ou des projets photos, la communauté musulmane queer s’est mise à raconter sa propre histoire afin de casser les stéréotypes dont elle est l’objet. Une façon de rappeler aussi au monde qu’elle a toujours existé.
Faire partie de deux minorités pose indéniablement deux problèmes. L’un concernant la culture et la religion, l’autre concernant l’identité sexuelle. C’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité. Pour les musulmans queer résidant dans les pays occidentaux, il s’agit d’un côté de faire face à l’islamophobie causée par leur identité religieuse et leur héritage culturel, et de l’autre aux jugements (souvent au sein de leur propre communauté religieuse) causée par leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.
Lassés de ce quotidien, plusieurs artistes queer musulmans ont voulu montrer que l’identité queer ne concerne pas uniquement les personnes blanches, occidentales, cisgenres et valides. Dans une interview au Huffington Post US en mars 2018, l’artiste américain d’origine iranienne Hushidar Mortezaie expliquait : « Les musulmans queer sont à la marge de la marge et ne sont pas représentés, en plus d’être souvent considérés comme une contradiction et une anomalie (…). Ça devient fatiguant ». Avant d’ajouter qu’il est crucial pour le public d’entendre désormais parler d’expériences vécues par cette communauté.
Photo : Hushidar Mortezaie.
L’an dernier, Hushidar Mortezaie a participé à The Third Muslim au centre culturel SOMArts à San Francisco : une exposition collective qui mettait en avant toute une série d’artistes musulmans queer comme la peintre Parisa Parnian ou la photographe Nabeela Vega, qui capture une personne vêtue d’un voile dorée mis en scène dans différents scénarios et paysages. Aujourd’hui, Hushidar réitère en participant jusqu’au 12 mai 2019 à Focus Iran – Contemporary Photography and Video Competition. Une exposition pour laquelle il a réalisé plusieurs œuvres, dont une photo (visible ci-dessus) inspirée de son identité queer et de l’héritage iranien de son père.
Sur son profil instagram, il explique : « J’ai passé trois mois à créer une impression numérique inspirée de la bibliothèque de mon père, pour évoquer la nostalgie des jours passés avant la révolution islamique, et aussi pour revenir à une contemplation de l’homme iranien, avec un brin de pop culture homoérotique et de camp consumériste (…). Je me suis inspiré du travail d’artistes queer visionnaires d’Orient et d’Occident comme Hashem el Madani, Pierre et Gilles, Jean Genet, et Fereydoun Ave (…). Ma photo était une réponse au manque de représentation médiatique de l’homme iranien (…), une création pour une nouvelle culture jeune ayant une conscience queer redéfinissant la masculinité. »
Photo : l’installation Masricani par Yasmine Kasem, 2017.
Actuellement, Hushidar n’est pas le seul à faire part de son expérience en tant que queer de culture musulmane et à vouloir faire évoluer les représentations et rompre les idées reçues. Un peu plus au sud dans l’État de Californie à San Diego, c’est la plasticienne Yasmine Kasem qui présente jusqu’au 23 février à la galerie 1805 une toute une nouvelle série d’œuvres illustrant sa condition de femme musulmane queer. Pour l’occasion, elle a tissé des tissus déchirés afin d’en faire des tapis de prière. Déjà en 2017, elle avait proposé son projet Masricani, une installation traitant de la sensation d’entre-deux dans la construction de son identité transculturelle, marquée par son héritage égyptien et son éducation américaine, le tout à travers l’utilisation de thèmes liés au genre. Des initiatives qui viennent s’ajouter aux nombreux projets offrant enfin un véritable espace d’expression et une visibilité à la communauté queer musulmane.
Celle qui incarne le mieux ce mouvement est sans doute Samra Habib, jeune photographe queer musulmane canadienne. Depuis quelques années, elle parcoure l’Amérique du Nord et l’Europe afin de nourrir son projet Just Me and Allah : une succession de portraits de musulmans LGBT désireux de partager leurs histoires et leurs parcours, publiés sur le Tumblr Queer Muslim Project. Le succès est tel qu’elle en a fait un livre qui sera publié en juin prochain aux prestigieuses éditions Penguin Random House sous le nom de We have always been here (« nous avons toujours été là », en français).
Oui, les musulmans queer sont bel et bien là. S’il fallait encore en douter, le dernier clip de la chanteuse Léonie Pernet sorti fin janvier viendra le confirmer. Réalisée par Lesly Lynch, la vidéo du single « Auaati » traite de l’identité queer muslim dans la ville de New York, à travers une histoire d’amour lesbien entre deux jeunes filles, jouées par Léonie Pernet elle-même et Seyyal, une jeune femme musulmane qui a fui le Soudan très jeune pour se réfugier aux États-Unis. Un sujet sensible et peu relaté, superbement mis en images.