Après avoir enchaîné les tubes et les collaborations tout au long de l’année, la Londonienne clôture 2019 en beauté avec la mixtape The Coldest Winter Ever Pt 2. Rencontre avec celle que de nombreux considèrent déjà comme la future reine du rap anglais.
Séparée d’un petit mètre de son public, Ms Banks enchaîne les morceaux avec fièvre, le sourire glossy jusqu’aux oreilles. Elle se meut sur la scène de l’Imprimerie à Paris de la même façon que dans le clip de « Come Thru » : avec charisme et puissance, alternant couplets féroces et twerk lascif – une main fermement accrochée à son micro et l’autre appuyée sur le booth de son DJ. « Paris what’s up ? », lance-t-elle de son timbre grave, souvent comparé à celui de sa comparse Stefflon Don. Du haut de ses 25 ans, la rappeuse du South London performe avec une assurance quasi-déconcertante – celle que l’on retrouve généralement chez des artistes plus expérimentés.
Bercée dans son enfance par les voix de Lauryn Hill, Ms Dynamite, Lil Kim, Foxy Brown et Whitney Houston, Tyra Banks (son nom à la ville) est aujourd’hui l’une des rappeuses les plus en vue de la scène anglaise. Si elle nous dit écrire des textes depuis l’âge de 11 ans (« Je me souviens très bien du tout premier que j’ai écrit, ça faisait : « T to the Y to the R to the A, when I’m on the mic don’t rap don’t play » ! [rires] »), sa carrière débute officiellement en 2014 avec Once Upon A Grind, une première mixtape remarquée par ses pairs, dont le potentiel a rapidement été confirmé par New Chapter (2016) et The Coldest Winter Ever (2018).
Mis bout à bout, ces trois projets posaient les bases de sa musique : un son à la fois percutant et entraînant, à la croisée des genres entre hip-hop, afrobeats et R&B, marqué par une écriture visant à briser les stéréotypes de genre dont sont encore victimes les femmes. Ce son, progressiste et éclectique, a attiré l’oreille de nombreux artistes. De JME, Stormzy et Tinie Tempah, Jorja Smith ou encore Tinashe, qui l’ont invité en featuring sur des morceaux, à Nicki Minaj (comme en témoigne ce tweet citant les paroles du remix de « Yu Zimme »), en passant par Cardi B (qui l’a conviée à assurer la première partie de sa tournée anglaise en 2017).
Il faudra toutefois attendre le début de l’année 2019 et la sortie du redoutable banger « Snack » pour la voir percer pour de bon, au-delà de l’approbation de ses pairs. Figure de la campagne Fifa BBC World Cup au mois de mai dernier, égérie Nike cet été, et désormais considérée par YouTube comme l’une des artistes anglaises à suivre pour l’année 2020, Ms Banks partage aujourd’hui The Coldest Winter Ever 2, sa nouvelle mixtape distribuée ce 12 décembre en indépendante. L’occasion de revenir sur l’éclosion de sa prometteuse carrière, l’idée d’authenticité à l’ère du numérique ou encore l’affirmation des artistes féminines de sa génération.
ANTIDOTE. Tout a réellement explosé pour toi en début d’année avec « Snack ». Qu’est-ce que ce single représente pour toi à ce jour ?
MS BANKS. Je suis tellement heureuse d’avoir sorti ce son ! Je l’ai créé avec le producteur GuiltyBeatz, un mec incroyable qui a fait pas mal de choses pour Mr Eazi notamment, et en collaboration avec Kida Kudz. Quand le single est sorti et qu’il a commencé à marcher, j’ai vraiment eu l’impression qu’enfin, après cinq longues années de travail, j’étais finalement sous le feu des projecteurs. Et ça fait du bien, parce qu’il y a eu des moments où j’ai éprouvé beaucoup de frustration. Mais comme je me dis toujours : chaque chose en son temps. Et je crois que mon temps est finalement arrivé.
Ce qui a fait le succès de « Snack » selon moi, c’est son caractère versatile entre hip-hop et afrobeats – une signature qui est au cœur de tes compositions…
Oui, je suis d’accord, ma musique est toujours très versatile. J’ai longtemps cherché le son qui m’irait le mieux, et ce son rassemble en effet plusieurs genres : un peu de grime, de trap, de R&B, de hip-hop, d’afrobeats… Ce que je préfère actuellement, c’est un son avec une grosse prod hip-hop, à environ 100 bpm, avec un petit côté afrobeats.
« Les femmes ont constamment besoin d’en faire dix fois plus que les hommes »
De par tes parents, tu es de descendance ougandaise et nigériane. Dans quelle mesure cet héritage culturel a-t-il influencé ta musique ?
Même si je suis née en Angleterre, je me sens très connectée à mes racines. Mes parents sont très patriotiques vis-à-vis de leur pays respectif, et j’ai toujours eu envie de représenter ma culture à travers ma musique. D’où mon envie d’incorporer des sonorités afrobeats, reggaeton, dancehall dans mes morceaux… Ces genres deviennent d’ailleurs de plus en plus importants en Angleterre en ce moment, et je trouve ça vraiment cool. Ça permet de mettre en lumière la culture de personnes issues de différentes diasporas, des gens qui ont longtemps manqué de représentation sur le devant de la scène mainstream.
En parlant de représentation, l’idée de mettre en avant les femmes semble inhérente à ta musique et à ton écriture…
Oui complètement, parce que dans ce monde, les femmes ont constamment besoin d’en faire dix fois plus que les hommes pour se créer les mêmes opportunités – et je ne parle même pas de ce qu’il en est dans le monde du hip-hop ! Donc mon but, c’est d’encourager les femmes à boss up, c’est-à-dire à devenir leur propre boss, dans l’idée qu’elles puissent faire tout ce dont elles ont envie sans avoir à rendre compte à personne. Et c’est hyper stimulant de voir qu’il y a de plus en plus de femmes qui s’élèvent actuellement en Angleterre dans le domaine du rap, du R&B, de la pop… Je suis hyper heureuse de faire partie de cette nouvelle ère dans laquelle les femmes commencent enfin à avoir la reconnaissance qu’elles méritent.
Deux artistes hyper-médiatisées t’ont soutenue et encouragée dans ta carrière : Nicki Minaj et Cardi B. J’imagine que ça a dû beaucoup de toucher ?
Oui. Je suis devenue folle folle quand j’ai découvert le tweet de Nicki Minaj [rires] ! Je suis encore un peu surprise d’ailleurs par moment, quand j’y repense, parce que c’est une femme avec laquelle j’ai grandi. Elle m’a énormément inspirée. Quant à Cardi B, c’était une expérience incroyable que d’assurer sa première partie en Angleterre. Ce qui m’a plu chez elle, c’est qu’elle est vraiment elle-même. La Cardi que tu vois sur Instagram est la même que celle que tu rencontres dans la vraie vie. Et c’est très important pour moi, ce côté authentique. Ça fait que tu ne plais pas à tout le monde, forcément, mais au moins tu restes fidèle à toi-même.
De façon générale, j’ai le sentiment que l’authenticité est quelque chose d’assez important pour la nouvelle génération d’artistes féminines à laquelle tu appartiens, surtout après des années d’images et de discours hyper maîtrisés de la part de vos aînées…
Oui, carrément. Mais je pense que ce que tu pointes du doigt, ce manque d’authenticité de la part de l’ancienne génération, c’est dû au fait que ces artistes-là sont arrivées à un moment où elles n’avaient pas vraiment le choix. Elles ne pouvaient pas communiquer sur les réseaux sociaux par exemple, qui constituent un espace où, si tu le veux, tu peux te montrer sans maquillage, sans perruque, sans filtre, dans des moments où tu te sens crevée, où t’as faim, où t’es énervée… Nos aînées viennent d’une autre ère.
Parfois d’ailleurs, j’ai un peu l’impression que c’est Lost in Translation, qu’elles ne savent pas trop comment gérer tout ça… Les réseaux sociaux sont à la fois une bénédiction et une malédiction : beaucoup de gens vont à l’encontre de cette notion d’authenticité dont on parle, et font tout pour avoir l’air le plus « parfait » possible, quitte à se compromettre. En ce qui me concerne, j’aime être active sur les réseaux sociaux – et ils sont bons pour le business [rires] !
D’ailleurs j’ai vu que tu avais posté un tweet sur Aya Nakamura en avril dernier…
Oh mon dieu, je l’adore ! [Elle se met à chanter, ndlr] « Blah blah blah d’la pookie ! » Non vraiment, j’adore Aya, vraiment. Elle est très influente en France en ce moment, non ? J’ai l’impression que c’est la première fois qu’une femme noire est aussi influente chez vous. Ça fait du bien à voir. J’adorerais collaborer avec elle dans le futur. Mais bon… il faudrait que j’apprenne le français, et franchement… c’est pas gagné [rires] ! Donc en attendant, je vais déjà sortir mon nouveau projet. Et on verra bien pour la suite.