Adoubée par Kendrick Lamar et Lauryn Hill, cette Australienne native de la Zambie s’annonce comme l’une des voix les plus novatrices de la scène hip-hop contemporaine. Son premier album, un disque réjouissant en forme de quête identitaire, confirme tous les espoirs placés sur ses épaules.
« Je ne me décrirais ni tout à fait comme une chanteuse, ni tout à fait comme une rappeuse… « poétesse » serait plus exact. » Chez Sampa the Great, le choix des mots est d’une importance primordiale. Tout au long de notre entretien, la jeune femme de 25 ans prendra soin de livrer ses réponses avec le plus de réflexion possible. Elle est à l’image de sa musique : précise, lyrique et percutante. Comme le poing fulminant d’un boxeur qui cherche à atteindre son adversaire.
Depuis ses débuts avec The Great Mixtape (2015), un premier projet créé aux côtés du producteur Dave Rodriguez alias Godriguez, cette native de la Zambie installée depuis 2015 en Australie – après avoir vécu un temps au Botswana et poursuivi des études aux États-Unis – a fait de sa musique une arme puissante et singulière. Un médium qui lui permet tout à la fois de se créer un espace d’expression libre, de produire une forme de catharsis, et de combattre le racisme et le machisme auxquels, en tant que jeune femme noire, elle se confronte depuis de longues années.
Birds and the BEE9, la mixtape qui la place sous le feu des projecteurs en 2017 (remarquée, entre autres, par les poids lourds que sont NPR, Clash et Complex) puise son inspiration dans le rap, la soul, le jazz et les rythmes de sa Zambie natale, affirmant en filigrane une envie de dépasser les frontières, de s’affirmer toute entière. « Avec The Great Mixtape, il s’agissait surtout de montrer que je pouvais être technique, être dure… mais ce n’est pas réellement qui je suis, ou en tout cas ce n’est pas uniquement qui je suis, explique-t-elle. Je sais aussi chanter, je sais aussi partir dans d’autres univers… Birds and the BEE9 m’a permis d’exposer toutes les facettes de ma personnalité, et de trouver mon ADN musical. »
Composé de 13 titres, Birds and the BEE9 scanne l’esprit de Sampa the Great. Cette dernière y explore ses racines, ses forces, ses revendications, la richesse de ses talents (comme sur « Can I Get A Key », où elle excelle aussi bien au poste de MC qu’à celui de chanteuse). Les productions y sont souvent lentes et enveloppantes, tendent parfois vers des notes psychédéliques, nous transportent dans des espaces lointains et oniriques. Mais la voix de Sampa, grave et solennelle, finit toujours par nous ramener les deux pieds sur Terre. Elle nous frappe par la véracité et la poésie de ses propos, nous donne à réfléchir. Elle se veut politique.
Sur « Black Girl Magik », l’un des titres les plus forts du projet, elle célèbre la puissance des femmes noires et questionne : « How you supposed to be black down under? ». « Back back to Africa / Matriarchy is a fact / Black women per capita / Aye aye captain », lance-t-elle un peu plus loin. Se remémorant la conception de Birds and the BEE9, elle précise :
« La musique m’a aidé à exprimer mon identité et celles des gens qui partagent cette même identité et qui, comme moi, ont du mal à trouver leur place au sein de la société et de l’industrie musicale. J’ai naturellement pris position à travers ma musique parce que j’éprouvais énormément de frustrations vis-à-vis de cette industrie dans laquelle je ne pouvais pas m’exprimer complètement, dire tout ce que je voulais […] Cette mixtape, c’est moi qui me lève, qui résiste et qui affirme haut et fort : « Voilà à quoi ressemble ma musique, voilà ce que j’ai envie d’y dire, voilà ce que je traverse en tant qu’artiste noire dans ce pays. Et cela doit changer. » »
« Quand tu es à l’aise avec ton vaisseau, tu peux voyager dans n’importe quel espace : tout ira bien »
Deux ans après Birds and the BEE9, qui lui a permis de se produire aux quatre coins du monde (Australie, États-Unis, Angleterre…) et d’assurer les premières parties de Thundercat, Ibeyi, Kendrick Lamar ou encore Lauryn Hill (son idole), Sampa the Great réaffirme son message qu’elle continue de sublimer en délivrant aujourd’hui The Return, son premier album. « Le terme « premier album » m’a tellement mis la pression !, s’exclame-t-elle dans un rire nerveux. Parce que pour moi, ça voulait dire donner vie à quelque chose que je n’avais encore jamais fait. » Le jour de notre entrevue, la poétesse s’exprime avec assurance, confiante et affirmée ; mais elle l’avoue : elle a souvent été victime du syndrome de l’imposteur.
« Je me disais que je n’avais pas ma place dans les studios d’enregistrement, entourée de toutes ces personnes qui elles, faisaient de la musique depuis des dizaines d’années… », se souvient-elle en repensant à ses débuts. « Et puis à un moment, j’ai relâché la pression, et je me suis dit que j’avais ma place. Que si j’étais là, ce n’était pas par hasard. C’est que j’avais fait mes preuves. Et j’ai réussi à me dire ça parce que j’étais à l’aise avec moi-même, avec cette enveloppe spirituelle et corporelle que je considère comme mon vaisseau. Quand tu es à l’aise à l’intérieur, tu peux voyager dans n’importe quel espace : tout ira bien. »
C’est d’ailleurs là le véritable message de ce premier disque. Avec lui, Sampa the Great quitte l’Australie, le pays qui a vu éclore sa carrière, pour retourner en Zambie, celui qui l’a vu naître. The Return est donc, comme son nom l’indique, un retour aux sources, à l’enfance, à l’innocence. Dès les premières notes, sur « Mwana », le ton est donné : soutenue par une production funk et des chants traditionnels zambiens, Sampa s’apprête ici à partir en quête d’elle-même, de son ADN profond, à se retrouver sans se soucier de l’espace-temps dans lequel elle est ancrée (« I don’t need home to feel important/But I need a feeling of peace » / « All the tears I felt/All the pain I felt/To find myself/I found myself again », y clame-t-elle). The Return se lit comme la bande originale de sa vie d’adulte, à travers laquelle elle questionne sa descendance africaine et tente de comprendre ce que signifie en 2019 la notion d’« être chez soi », de se sentir « à la maison ».
Entourée de Krown (« Time’s Up »), Ecca Vandal (« Dare to Fly ») ou encore Whosane (« Heaven »), des artistes qu’elle considère comme « les membres de [sa] famille » (une évidence, pour un projet qui parle de son chez-soi intérieur), Sampa livre une ode à son pays d’origine, mais aussi, avec la vigueur qui caractérise son flow, à l’indépendance d’esprit, à l’épanouissement personnel et au dépassement de soi. « Ce qu’on appelle « la maison », finalement, n’est rien d’autre que nous-même. Comme je le disais tout à l’heure, nous sommes notre propre vaisseau. Un vaisseau fait de notre culture, des gens qu’on croise sur sa route….», analyse-t-elle. Et de conclure : « Le tout est de savoir comment tu vas survivre en voyageant à l’intérieur. Voilà ce que questionne mon premier album. »
Sampa the Great sera en concert au Point Ephémère de Paris le 21 novembre 2019.