Pourquoi l’attrait de la mode pour l’eco-friendly n’est pas désintéressé

Article publié le 17 novembre 2016

Texte : Paola Tuzzi

Cuir végétal, collections conscious et upcycling à tout-va : la mode semble vouloir faire oublier ses penchants polluants à coups d’initiatives eco-friendly. Réelle prise de conscience ou pure démarche opportuniste ?

Alors que les grands de ce monde sont présentement réunis à Marrakech pour essayer, une fois de plus, de sauver la planète de sa perte annoncée, un nouveau rapport du cabinet d’audit américain McKinsey stigmatise l’industrie du prêt-à-porter et sa course quasi-suicidaire aux nouveautés vestimentaires. Présageant un boom surréaliste de la fast-fashion pour la prochaine décennie, ces analystes de l’ombre nous annoncent sans détour les conséquences dévastatrices qu’auront les innombrables nouvelles collections. Zara et autres géants low cost vont continuer de nous abreuver à une cadence effrénée, quitte à frôler l’apoplexie écologique. Augmentation des gaz à effets de serre, pollution de l’eau ou encore surexploitation des terrains agricoles : tout s’apprête à y passer, en bonne et due forme.

Et pourtant, ces enseignes n’ont jamais autant joué la carte de la sustainability qu’aujourd’hui. Consciente d’occuper l’embarrassante place de seconde industrie la plus polluante de la planète derrière les grands pétroliers, la mode cheap tâche dernièrement de se racheter une crédibilité eco-friendly à coups de concepts savamment marketés.

TOUS GREEN, DE H&M À KERING

Une course au green-washing que domine ainsi H&M avec talent, le groupe suédois s’appliquant depuis 2011 à jouer les élèves modèles en la matière. Outre sa désormais célèbre collection Conscious auréolée de bons sentiments, la franchise organisait cette année « Rewear it », une campagne lancée en grande pompe avec la rappeuse M.I.A afin d’inciter ses clients à venir déposer leurs vieilles fripes en boutique en échange d’un bon d’achat. L’objectif ? Collecter plusieurs tonnes de matières premières pour produire de nouveaux vêtements à partir des pièces données.

Une initiative à forte portée médiatique dans la veine de démarches similaires de la part de ses concurrents. L’enseigne britannique Topshop s’associe chaque année depuis maintenant à quatre ans avec l’association Reclaim to Wear pour lancer une collection faite à partir de chutes de tissu et de vêtements usés.
Même le très frileux groupe Inditex s’est lancé timidement dans l’habit durable en proposant en septembre dernier une ligne Zara eco-responsable confectionnée à base de coton bio, de laine recyclée ou encore de Tencel, cette fibre issue de la pulpe de bois que tout le monde s’arrache, les enseignes de fast-fashion comme les grandes marques de luxe.

On pense notamment à Stella McCartney, qui s’est toujours distinguée – depuis le lancement de sa marque éponyme en 2001 – de ses pairs modeux par son discours, mais surtout son processus créatif ultra écolo. Cuir végétal, fourrure synthétique, rejet des produits toxiques : la créatrice britannique fait partie des rares designers à transformer ses paroles en actes. Même ses défilés parisiens sont certifiés conformes aux principes du développement durable, la créatrice se dispensant allègrement de tout décor grandiloquent à la durée de vie limitée ou de mise en scène vouée au gaspillage.

La créatrice et activiste Vivienne Westwood a publié cet automne Get A Life, un manifeste sur ses multiples engagements et notamment écologiques.

Un engagement atypique certes, mais qui s’inscrit finalement dans la lignée d’une autre native de la grande Albion : l’innarable Vivienne Westwood qui, outre son dégoût pour la fourrure animale et son penchant pour les collaborations upcycling, n’hésite pas à transformer ses défilés en happening anti-gaz de schiste ou à reverser des millions en faveur des forêts tropicales, mobilisant malheureusement moins qu’elle ne prête à sourire.

QUAND ENVIRONNEMENT RIME AVEC BUSINESS PLAN

Car en dépit de l’urgence environnementale, peu de maisons de cette envergure semblent vouloir imiter ces avant-gardistes d’outre-Manche. Côté business, les big boss des groupes de luxe jouent le jeu du bout des lèvres. Fin 2014, LVMH annonçait ainsi la création d’un fond carbone visant à financer des équipements censés réduire sa consommation d’énergie et donc ses émissions de gaz à effets de serre. Même son de cloche en substance chez son rival, Kering, qui publie chaque année un rapport environnemental chargé de “ quantifier la valeur prélevée sur l’environnement par ses activités”.

Une démarche écologique bienvenue qui leur permet également d’anticiper l’état des ressources naturelles disponibles avant de concevoir le budget pour produire les prochaines collections, et in fine leur prix de vente. Et on ne parle pas seulement du cours du kilo de coton ou de la laine de mouton.

« Moins il y aura d’eau, moins de matières premières seront disponible et plus coût de production des collections sera hors de portée, même pour des maisons de luxe aux bénéfices insolents »

Des biens de première nécessité comme l’eau, indispensable à la culture des fibres textiles, sont amenés à se raréfier dans les prochaines années, d’autant plus que les restes des quelque 8000 produits chimiques utilisés à la création d’un vêtement sont régulièrement déversés dans les sources locales, contribuant encore un peu plus à la pollution des nappes phréatiques de pays en voie de développement. Or, moins il y aura d’eau, moins de matières premières seront disponibles et plus le coût de production des collections sera hors de portée, même pour des maisons de luxe aux bénéfices insolents.

Ces dernières ont donc évidemment tout intérêt à montrer patte verte, à défaut de sciemment pouvoir envisager, qu’à la fin de l’histoire, ce soit leur business dont on annonce la perte.

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