Noël est-elle la fête la plus sexiste et raciste au monde ?

Article publié le 21 décembre 2018

Photo : Gwen Stefani.
Texte : Antoine Leclerc-Mougne.

Jouets ultra-genrés, blackface, vitrines sexistes, whitewashing ou cantiques faisant l’apologie de la domination masculine : et si Noël était l’incarnation d’un vieux monde auquel on n’a plus envie de faire de cadeaux ?

La fin de l’année approche et avec elle une overdose de bonne humeur, de sourires, de nourriture et surtout de chansons de pop stars en manque d’étrennes (Gwen Stefani vient de sortir « You make it feel like Christmas » et Katy Perry « Cozy little Christmas »). Mais cette année, après avoir casser votre PEL pour offrir à votre famille des cadeaux qui finiront pour la plupart sur ebay, ce sera aussi la crise de foi(e) si l’on en croit les différentes polémiques qui agitent le monde désenchanté de la nativité christique. Au Royaume-uni, Mark & Spencer vient de se faire épingler pour avoir dévoilé à Londres une vitrine de Noël sexiste. Car oui, selon le célèbre department store britannique, les must-have de la saison sont pour les hommes des « outfits to impress » (des costumes pour impressionner) et pour les femmes des « fancy little knickers ». Comprenez des jolies petites culottes. Bienvenue en 2018…

Un fail ultime en termes de communication qu’ont dénoncé un grand nombre d’associations dont FiLiA, organisatrice de la plus grande conférence féministe outre-Manche. Celle-ci n’a pas hésité à demander au magasin d’enlever le display, qui sous la pression a dû céder et platement s’excuser. Clairement, à l’heure des mouvements #metoo et Time’s up, la société de consommation renforçant les clichés liés au genre n’aurait plus droit de cité. Pourtant, à l’approche de Noël, c’est comme si cette vision arriérée et sexiste persistait, peu importe les combats actuels.

Photo issue de la série « Trophey Wife » de Annelies Hofmeyr, mettant en scène le personnage de Barbie.

Jusqu’ici championne du monde des stéréotypes sur les normes de genre, Barbie de Mattel était depuis quelques temps entrée dans la modernité en proposant des poupées cosmonautes ou scientifiques (on avance…). Mais ça c’était avant de faire marche arrière en proposant cette année une Barbie cuisinière et ses fourneaux roses destinée aux filles. « Pourquoi insiste-t-on sur le fait que les petites filles “doivent avoir” une cuisine rose pour Noël ?, s’est offusquée la députée britannique Chi Onwurah. L’imagination ainsi que la carrière des filles ne devraient pas être limitées par les marques. Ces jouets devraient les aider à découvrir ce qu’elles veulent faire, pas les faire rester dans la cuisine ». Et sans surprise, c’est le même son de cloche en France.

Un bel emballage sexiste

L’année dernière, le magazine 60 millions de consommateurs révélait dans un rapport édifiant sur les catalogues de Noël que la majorité des marques perpétuait les clichés de genre au nom de la rentabilité économique : aux garçons on propose d’être aventuriers ou bricoleurs et aux filles de se rêver mamans ou princesses. Selon la philosophe anglaise Janet Raddcliffe Richards, auteure de The Sceptical Feminist, « alors que les féministes doivent s’engager à attaquer toute distinction culturelle qui dégrade les femmes, la recherche d’une culture androgyne sans discriminations doit aussi supposer l’élimination des différences culturelles inoffensives ». Incarnées entre autres par les couleurs bleu et rose arbitrairement attribuées à chacun des deux sexes, ces différences (a priori) inoffensives peuvent aussi prendre la forme de chansons de Noël.

Récompensé par l’Oscar de la meilleure chanson originale en 1949, « Baby It’s Cold Outside » n’a désormais plus sa place sur les ondes américaines en 2018. Début décembre, plusieurs radios locales allant de Cleveland jusqu’à San Francisco ont retiré de leur programmation ce classique de Noël. La raison ? Ses paroles insidieuses qui racontent l’histoire d’un homme forçant une femme à rester chez lui parce qu’il « fait froid dehors », alors qu’elle veut partir. Et quand cette dernière se demande ce qu’on a bien pu lui « mettre dans son verre », la chanson atteint le sommet du malaise.

« Noël n’est pas que l’incarnation d’une société sexiste et machiste. Il est aussi l’expression d’une histoire natale nourrie par le racisme »

Au vu de ses paroles plus que douteuses, « Baby it’s cold outside » méritait bien une mise au point. Mais cette volonté de déceler un discours sexiste en lisant entre les lignes peut parfois prendre des proportions démesurées et exagérées. « All I want for Christmas », tube interplanétaire de Mariah Carey, serait d’après un décryptage publié sur le site féminin Bustle.com l’une des pires hymnes anti-féministes de l’histoire. « Je n’aime pas l’idée que la femme narrant la chanson ne veuille rien d’autre pour Noël qu’un homme – et qu’elle compte sur un autre homme (le Père Noël) pour obtenir l’homme en question », précise la journaliste Kadeen Griffiths, auteure du fameux article ; au point qu’elle ait proposé une nouvelle version des paroles effaçant toute dépendance aux hommes et mettant en avant l’autonomie et l’empowerment…

Être blanc comme neige. Ou pas

Cela dit, Noël, symbole ultime des valeurs de tolérance et de solidarité, n’est pas que l’incarnation d’une société sexiste et machiste. Il est aussi l’expression d’une histoire natale nourrie par le racisme. L’origine d’une autre chanson de Noël en est l’exemple parfait. Selon une étude très sérieuse publiée il y a un an sur le site de l’université de Cambridge et réalisée par Kyna Hamill, chercheuse à l’Université de Boston, « Jingle Bells » (« Vive le vent » en français) a été interprétée pour la première fois au Ordway Hall à Boston en septembre 1857 par des artistes blancs grimés en blackface lors d’un minstrel show — spectacle raciste caricaturant les afro-américains — alors censé moquer le comportement jugé étrange des noirs dans la neige. Tout est dit.

Bien que les minstrel shows aient aujourd’hui disparu, la blackface, elle, continue de squatter la fête. Chaque année en décembre aux Pays-Bas, la légende veut que SinterKlaas (Saint Nicolas) débarque sur son bateau pour offrir des cadeaux aidé par son servant maure Zwarte Piet (Pierre Noir en français, équivalent de notre Père Fouettard). Problème : ce sont des blancs qui se déguisent comme lui en se noircissant le visage, en grossissant exagérément leurs lèvres en rouge et en portant une perruque frisée proche d’une afro. Le sujet provoque tellement de débats et de tensions que plusieurs affrontements ont eu lieu le 6 décembre dernier entre les partisans du maintien de cette tradition et ceux qui veulent interdire une pratique jugée raciste et discriminante.

Photo : Mariah Carey.

Quand on entend parler de blackface, le whitewashing n’est jamais bien loin. Évidemment, Noël n’a pas échappé à ce concept douteux qui consiste à faire jouer ou incarner par des artistes blancs le rôle de personnages racisés (réels ou fictifs). Et c’est précisément ce qui est arrivé au Père Noël, originellement inspiré de la vie de Nicolas de Myre, plus connu sous le nom de Saint Nicolas (encore lui). Celui-ci est né vers 270 après J.C à Patare, en Lycie, actuelle Turquie : autrement dit, pour les archéologues qui ont découvert sa dépouille il y a tout juste un an près de Myra, dans le sud du pays, Saint Nicolas alias Santa Claus ne pouvait tout simplement pas être blanc.

All I want for Christmas is… inclusivité

Ces débats sur la couleur de peau ne datent pas d’hier et semblent à chaque fois crisper les plus fervents conservateurs. Déjà en 2013, un article publié par Slate intitulé « Santa shouldn’t be white anymore » (Le Père Noël ne devrait plus être blanc) avait déclenché une polémique médiatique aux États-Unis, au point que Megan Kelly, présentatrice star de la chaîne d’infos réac et pro-Trump Fox News, assène son point de vue sur l’affaire en direct à la télévision : « Le père Noël ne devrait plus être blanc ? Quand j’ai vu ce gros titre, j’ai presque ri. J’ai trouvé ça ridicule. Pour tous les enfants qui nous regardent, sachez que le Père Noël est blanc. C’est tout ce qu’il est ».

Certainement comme Jésus ? Erreur, une fois de plus. L’émission de la BBC Son of God a rétabli la vérité en 2001 en dévoilant pour la première fois une représentation faciale exacte du Christ grâce à l’utilisation de techniques scientifiques criminalistiques (prélèvements, gènes, ADN, reconstitution…). Résultat : Jésus était un homme juif brun aux cheveux courts et à la peau foncée, loin des traits que l’Occident lui a attribués, particulièrement depuis la Renaissance.

« Historiquement, le Jésus blanc a été utilisé pour opprimer et effacer les histoires des personnes racisées… »

Des traits mettant en avant un homme blanc, blond aux yeux bleus, et à la peau diaphane, illustrant ces versets de la Bible qui considèrent la clarté comme synonyme de pureté et l’obscurité comme équivalant du diable et du péché, comme l’a déjà expliqué la journaliste militante Franchesca Ramsey dans son émission Decoded sur MTV : « Historiquement, le Jésus blanc a été utilisé pour opprimer et effacer les histoires des personnes racisées… Celles-ci ont le droit de se reconnaître dans leur religion, surtout après des siècles où on les a forcées à vénérer quelqu’un qui ne leur ressemblait pas ».

Photo : le « Christmas Special » de l’émission Ru Paul’s Drag Race.

Heureusement, des voix allant dans ce sens se font de plus en plus entendre et proposent de donner à Noël une bonne dose de diversité et d’inclusivité. À commencer par l’auteur Daniel Kibblesmith, qui lui a ajouté une touche LGBT avec son livre pour enfant parodique Santa’s Husband, imaginant la vie d’un Père Noël noir et gay. Alors que Kristen Stewart est bientôt attendue à l’affiche d’une comédie romantique lesbienne de Noël réalisée par Clea DuVall, Ru Paul vient par ailleurs de diffuser un épisode spécial Noël de son émission de télé-réalité Ru Paul’s Drag Race. Désormais, Noël sera inclusif ou ne sera pas.

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