D’abord conçu comme un simple contenu humoristique s’amusant avec les codes de la culture web, le mème Internet joue désormais un rôle majeur dans le discours politique. Au point d’être utilisé comme un outil de militantisme et de propagande.
Donald Trump ne nous a même pas laissé quelques jours de répit en ce début d’année avant de présenter le nouveau chapitre de sa politique spectacle. En plein vote du budget américain sur l’éventuel financement du mur à la frontière avec le Mexique, le président des États-Unis a posté sur Instagram et Twitter un mème de lui-même (ça ne s’invente pas) reprenant la fameuse phrase de la série Game of Thrones « Winter is coming », transformée en « The Wall Is Coming » (« Le Mur Arrive », ndlr).
Une stratégie recyclée puisqu’il avait déjà fait le coup pour parler des sanctions sur le nucléaire iranien avec un « Sanctions Are Coming », qu’il avait imprimé et fièrement affiché sur son bureau en plein conseil avec son administration. Pour cette deuxième édition, l’humour présidentiel n’a pas vraiment fonctionné, car le financement du mur a finalement été bloqué par le Congrès. Ironie du sort quand on sait que (spoiler) l’édifice glacé de la série de HBO n’a jamais vraiment rempli son rôle.
Un outil de communication universel
Si le président américain lui-même en vient à utiliser ce format pour parler de sa politique et promouvoir ses mesures, c’est bien parce que le mème a envahi la culture populaire. C’est ce qu’explique BOX1824, agence de tendances et de stratégie culturelle basée à New York. Selon son rapport GenExit publié à l’automne 2017, nous sommes entrés dans une ère de « memethink » (soit « la pensée mème ») : un terme qui décrit la façon collective de penser caractérisant notre monde saturé d’infos et de réseaux sociaux, ainsi que la façon dont les gens perçoivent implicitement le contexte d’objets culturels spécifiques. En gros, même celles et ceux qui n’ont pas été de fervents spectateurs de Games of Thrones auront compris la référence de Trump, tellement elle est ancrée dans notre référent commun.

Photo : le mème « This is fine » décliné avec Donald Trump.
Avant d’être un outil de propagande, le mème était pourtant un outil d’activisme politique. Depuis le début du mandat du président américain, on ne compte plus les diverses manifestations (Women’s March, People’s Climate March, No Muslim Ban Ever) où les écriteaux de contestations reprennent des mèmes. Ainsi, on a pu apercevoir sur des pancartes des représentations de Donald Trump au milieu d’une maison en feu déclarant « This is fine », inspirées du mème viral This is fine (tout va bien, ndlr) basé sur une illustration de l’artiste KC Green où un chien ne s’inquiète pas de voir son domicile brûler.
On peut aussi citer les mèmes politiques reprenant les personnages de la série animée Bob l’éponge avec « Savage Patrick » et « Mocking Sponge Bob », le plus souvent utilisés pour souligner le non-sens des propos tenus par une personne. Enfin, le « Distracted boyfriend », à l’origine une stock image de Getty pour illustrer l’infidélité, a maintenant servi à matérialiser la politique de Trump à l’égard des armes à feu : le président américain est le petit copain distrait qui regarde la NRA (lobby pro-armes à feu) en tournant le dos à la vie des citoyens de son pays.
Nouvelle conscience politique
En s’adaptant ainsi aux codes de notre époque ultra-connectée qui privilégie l’image, les opinions sous forme de mème ont le pouvoir de se diffuser efficacement, de sensibiliser les gens de manière plus fun qu’auparavant et ainsi de raviver une conscience politique. Selon une étude du Pew Research Center publiée en août 2017, 67% des américains s’informent sur les réseaux sociaux. De là à supposer qu’ils tombent sur des mèmes, il n’y a qu’un pas. Résultat, on s’engage en politique en se balançant mutuellement des mèmes, plutôt que de lancer de grands débats et de grandes discussions. Bref, une image vaut mieux qu’un long discours.
Dans un article traitant du phénomène, le magazine Quartz rappelait que l’engagement politique a pu renaître grâce au mème car « l’identité et la communauté sont au coeur de la culture mème ». Ainsi, les mèmes peuvent facilement regrouper les gens qui pensent la même chose et aussi leur permettre de se reconnaître sur la toile. L’exemple le plus probant restant probablement Pepe the frog (Pepe la grenouille), personnage de cartoon devenu malgré lui un symbole de l’extrême droite américaine et de la fachosphère à travers le monde.
En France aussi le mème politique fait des siennes avec par exemple les innombrables mèmes tirés du fameux « parce que c’est notre projeeeeeet ! » prononcé par le président français lors de sa campagne en 2017. Aujourd’hui, ceux qui veulent continuer à se moquer du premier homme de l’État et à critiquer sa politique peuvent aussi se retrouver sur la page Instagram @macronressemble (plus de 10000 abonnés). Celle-ci poste des photos du président français et lui associe des phrases commençant toujours par « Macron ressemble à… » avec pour résultat : « Macron ressemble à un mec qui rit en disant « oh non, quand même ! » quand son patron fait une blague raciste devant la femme de ménage » ou « Macron ressemble à un mec qui t’explique qu’être à découvert c’est comme voler l’argent de la banque ». Simple, ludique et viral.
Un impact inattendu
Ce qui pourrait paraître comme une simple blague peut vraiment avoir des répercussions et de l’influence politiques. Comme l’a souligné Terri Towner, professeur de sciences politiques à l’Université d’Oakland au magazine Teen Vogue en juin 2018, « les visuels, y compris les mèmes, sont un moyen très efficace de faire campagne, surtout si l’on cherche à cibler la jeune génération ».
En 2017, Ninon Pesenti et Jeanne Leclercq, deux étudiantes en communication à la Haute école des arts du Rhin, ont publié Un mème français, un ouvrage qui regroupe tous les mèmes ayant façonné la dernière campagne présidentielle. En sortant les GIFs, montages et détournements humoristiques ou satiriques de leur environnement numérique pour les rassembler dans un livre, elles ont pu décrypter leur popularité et leur impact politique à travers des analyses ; à l’image du célèbre mème « Rends l’argent » adressé à François Fillon, qui l’aura poursuivi jusque dans le monde réel (en s’intégrant à différents éléments de pop culture) et aura contribué à sa chute dans les sondages.

Photo : les déclinaisons du mème politique « Rends l’argent », lié à la campagne de François Fillon en 2017.
En Russie, pour éviter ce genre de déconvenues et de soulèvements, on préfère interdire le mème, maintenant apparenté à une nouvelle forme de liberté de parole et d’expression. Cette année, Maria Motuznaya, une jeune femme de 23 ans, a été placée sur la liste officielle des terroristes et risque six ans de prison pour avoir simplement partagé des mèmes sur les réseaux sociaux, dont celui montrant un groupe de bonnes sœurs fumant une cigarette et sur lequel était écrit : « Vite, pendant que Dieu n’est pas là ». Plusieurs autres cas du même genre ont été rapportés. Déjà en 2015, le pays avait interdit la création et la diffusion de mèmes qui se moquent des célébrités, avec en message sous-jacent une censure sur la personne de Poutine… Qui aurait cru que des blagues paraissant aussi inoffensives pouvaient avoir un tel impact sur le monde ?
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