Rencontre avec Sudan Archives, nouvelle déesse du R&B américain

Article publié le 6 novembre 2019

Texte : Maxime Delcourt.
Photo : Sudan Archives dans le clip « Nont for Sale ».
06/11/2019

Un violon, des mélodies R&B et une ambition afrocentrique, voilà comment on pourrait résumer la formule proposée par Sudan Archives sur Athena : un premier album produit par le mythique label Stones Throw et avec lequel l’Américaine compte bien se hisser au niveau de FKA Twigs ou de Solange.

Lorsqu’on la rencontre, Sudan Archives sort tout juste d’un fast food. De passage à Paris, l’Américaine semble sur le qui-vive et doit enchaîner les rendez-vous. Son nouvel album est terminé, elle raconte que l’enregistrement l’a épuisé et qu’elle a désormais différentes interviews à donner à travers la capitale française. Âgée de 24 ans, la jeune femme n’en reste pas moins souriante, et prête à se confier. « Ce qui ne va pas de soi quand on sait que je chantais mes premières chansons sous la table, par timidité et pour ne pas être vue par mes parents », précise-t-elle d’emblée.

À l’écouter parler aujourd’hui, impossible de déceler une once d’appréhension dans son attitude. Il suffit pourtant qu’elle remonte le fil de son parcours pour que l’on comprenne que cette pudeur, cette crainte du regard de l’autre l’a longtemps empêché de s’épanouir pleinement. « Il a fallu que ma mère, très stricte, très religieuse, m’inscrive dans une chorale d’église pour que je m’affirme peu à peu, rembobine-t-elle. J’avais 12 ans, je venais d’avoir un coup de foudre pour un groupe de folk irlandais et je voulais apprendre à jouer du violon. À l’église, je côtoyais tout un tas de jeunes musiciens : des saxophonistes, des batteurs, un pianiste, etc. On n’était qu’une vingtaine, mais j’ai pris confiance en moi. Aujourd’hui encore, je me rends compte que ça m’a aidé à croire en mes idées. D’ailleurs, je continue de composer chacune de mes chansons avec un rythme de violon comme point de départ. »

L’anecdote pourrait paraître anodine mais elle permet au contraire de comprendre son intention sur ce premier album, Athena, qu’elle entame avec « Did You Know ? », un morceau écrit à l’adolescence aux côtés de sa sœur jumelle et accompagné par un déluge de cordes caractéristique de son esthétique sonore. Comme quoi, Sudan a bien appris sa leçon. De ses années adolescentes, elle a d’ailleurs gardé d’autres rituels. Comme cette volonté de vouloir véhiculer l’image d’une femme forte, elle qui passait ses journées à regarder Sailor Moon ou Xena, la guerrière lorsqu’elle était plus jeune ; ou encore cette façon de louer le Seigneur avant chaque concert, comme s’il s’agissait pour elle de trouver au ciel la force nécessaire avant d’aller à la rencontre de son public. Sans omettre cette habitude d’aller puiser l’inspiration dans différents écrits ou mouvements religieux. « J’aime beaucoup écouter la musique soudanaise, par exemple, où les artistes chantent en arabe et parlent souvent de leur rapport à Dieu. Et puis je me retrouve dans les valeurs de la religion, ça pousse à donner le meilleur de soi-même. »

Entre mythe et réalité

Sudan Archives semble profondément attirée par la spiritualité. Elle dit être adepte de la méditation, pratiquer la pensée positive, fabriquer ses propres produits pour prendre soin de son corps et confesse qu’elle aimerait bien se réincarner en animal. « Ça m’aide à ne pas flipper par rapport à ce qui pourrait arriver après la mort », explique celle qui s’abandonne de temps à autres à des séances d’hypnose en regardant des vidéos de méduse sur YouTube.

Sudan Archives semble également nourrir une passion pour la mythologie grecque. Sinon, comment expliquer le nom de ce premier album, Athena ? Est-ce une façon d’affirmer la puissance de sa féminité ? Un hommage musical à la déesse de la sagesse ? Une métaphore un peu prétentieuse pour signifier au grand public qu’elle aussi a tout d’une divinité ? « C’est surtout que j’adore son histoire, ce qu’elle symbolise et ce que ça me permet de raconter : ici, comme la pochette le suggère, je fais avant tout allusion à Black Athena, un ouvrage afro-futuriste qui détaille l’influence de la philosophie égyptienne sur la Grèce antique. »

Si elle n’hésite pas à en rire parfois, le sujet abordé par Sudan Archives est très sérieux : il s’agit ici de revendiquer ses racines africaines et d’en faire une force. Sur ses deux premiers EP’s, cette revendication passait par sa coupe afro, fièrement arborée sur les pochettes. Sur Athena, c’est à travers des préceptes afrocentriques que tout se joue, notamment sur « Confessions », où elle évoque l’exil, ou « Glorious », porté par un motif emprunté aux musiques d’Afrique noire – ce qui n’est finalement pas si étonnant quand on sait que Sudan Archives avait tourné le clip de « Come Meh Way » au Ghana, et qu’elle y avait également donné quelques cours visant à sensibiliser les plus jeunes à la pratique musicale.

Renverser les stéréotypes

Brittney Parks, de son vrai nom, a toujours nourri de profondes attaches avec ses racines africaines. Ainsi, à 17 ans, elle dit à sa mère qu’elle n’aime pas son prénom et cette dernière la surnomme illico Sudan, « en référence à un collier de style africain que je portais en permanence et au fait que je passais mon temps dans les boutiques africaines de Cincinnati, dans l’Ohio », précise-t-elle. En 2016, quelques semaines après avoir rejoint les rangs du mythique label Stones Throw, elle publie une reprise du titre « King Kunta » de Kendrick Lamar, renommé « Queen Kuta » pour l’occasion. Aujourd’hui, désormais basée à Los Angeles et habituée de Motherland Music à Inglewood, où elle achète tout un tas d’instruments venus d’Afrique de l’Ouest, c’est en tant qu’Afro-Américaine qu’elle dit s’exprimer : « Mélanger mes cultures occidentales et africaines, c’est un réel plaisir. D’autant que j’ai l’impression d’arriver au sein d’une époque prête à accueillir ce genre de propositions : il n’y a qu’à voir ce que créent des artistes comme FKA Twigs ou Solange. Les artistes noirs, et spécialement les femmes, mettent en place quelque chose de très fort actuellement. C’est très stimulant. »

Sur Athena, qu’elle a enregistré auprès de proches collaborateurs de The XX, Sampha ou Danny Brown, ce mélange des cultures se matérialise ainsi : une production électronique, des emprunts aux musiques d’Afrique de l’Ouest, des mélodies R&B, des refrains bien catchy et un violon omniprésent. Avec, en fil rouge, une interaction entre la voix et les cordes, comme si ces deux éléments étaient en confrontation permanente. « L’idée de l’album, c’est de tout m’autoriser, toutes ces expérimentations que je n’avais pas le droit de faire lorsque mon père m’obligeait à faire de la pop avec ma sœur. Là, Athena, ça raconte l’émergence d’une déesse : c’est une façon pour moi d’encourager les gens à épouser leurs bons ou mauvais côtés pour en faire systématiquement une force. »

Cette ambition, on la percevait également dans le clip de « Nont For Sale », où Sudan Archives se réapproprie les codes du rap américain tels que les voitures, les femmes et les ghettos pour mieux en renverser les stéréotypes : ici, ce sont les femmes qui dictent les débats. Et cela fait parfaitement sens car après tout, on parle là d’une artiste qui n’a jamais voulu être une pop-star, au grand dam de son père et qui a toujours rêvé d’autre chose comme « gouverner le monde ». Au moins, le message est clair.

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