Alors que son premier album, Flavourite CÂLÂ, sort ce vendredi 22 mars, l’énigmatique Sônge nous offre les clefs pour percer son univers coloré, mystique et onirique.
Sônge nous donne rendez-vous à la Galerie Libre Service à Paris où elle fêtera deux jours plus tard la sortie de son premier album, Flavourite CÂLÂ, en parallèle d’une exposition d’Aurélia Durand (qui a réalisé la pochette de l’album) réunissant une série d’œuvres qui illustrent chacun des morceaux du disque. Elle nous salue poliment à notre arrivée, avec une certaine réserve, avant de nous inviter à parcourir les visuels, qui font la part belle aux couleurs vives et invitent au voyage. Puis l’artiste revient sur son parcours, se révélant toujours plus lumineuse tandis que sa timidité première s’efface progressivement, ponctuant la discussion de francs éclats de rire ici et là.
Si Sônge navigue au sein de la scène musicale française depuis quelques années, sa discographie ne comptait jusqu’à présent qu’un seul et unique EP, sorti en 2017 et portant son nom. Il faut dire que pendant longtemps, la musique ne constitue pas sa plus grande priorité. Plus un hobby qu’une véritable passion au départ, Océane (son vrai prénom) n’envisage pas d’en faire sa carrière dans un premier temps. L’épiphanie sera graduelle.
Étudiante à HEC, elle part à Cologne en Allemagne dans le cadre de son cursus, où elle se lance dans la production de musique électronique, un peu par hasard. « C’est le fait d’être seule qui m’a amenée à commencer à créer des sons sur mon ordinateur, dans ma chambre, en regardant les Fernsehturm (tours émettrices de signaux de télévision, ndlr) », confie la chanteuse. Suivent une année à Amsterdam « riche en rencontres et en inspiration », et une dernière escale à Bruxelles où elle s’installe également quelque temps.
Le déclic ultime survient ensuite, alors qu’elle souffre de nodules et perd sa voix. « C’est à ce moment que je me suis dit : “C’est idiot, je viens de perdre ma voix, mais en fait je veux vraiment faire de la musique” », se souvient-elle. Deux possibilités s’offrent à l’artiste : l’opération au laser, ou la rééducation avec une chanteuse d’opéra, ce qu’elle choisit. Finalement, le problème se règle en quelques leçons seulement, et Sônge profite de ce rétablissement pour se lancer dans sa carrière musicale.
Un processus créatif synesthésique
Elle emprunte alors le pseudonyme de Sônge. Paradoxalement pour une artiste dont le patronyme fait référence aux rêves, la chanteuse souffre pourtant de problèmes de sommeil : « Depuis que je fais de la musique, je ne dors plus » explique-t-elle, presque fataliste. Les médecins lui conseillent d’acheter des lunettes de luminothérapie, qu’elle emporte souvent avec elle lors de ses shows : « Quand j’arrive je ne vois personne, c’est super ! J’ai l’impression que le public n’est pas là et ça m’aide à rentrer dans mon concert. » Mais cette astuce lui a déjà joué des tours : « La première fois, je n’ai pas réussi à attraper le micro, les gens ont pensé que j’étais défoncée », confesse-t-elle en riant.
« J’ai toujours chanté avec ma voix de tête, jusqu’au jour où j’ai découvert ma voix de poitrine. J’ai eu peur d’elle, j’avais l’impression d’avoir une bête, un monstre à l’intérieur de moi. »
Sur scène ou en studio, difficile de définir la musique de la jeune artiste. Sa palette oscille entre électro-pop nébuleuse et R&B lunaire, en passant par le rap. Le produit de visions synesthésiques (un phénomène neurologique non pathologique se produisant lorsque plusieurs sens se confondent) : les harmonies lui apparaissent comme des couleurs, et pour elle, composer et chanter revient presque à peindre. Une capacité qu’Océane démystifie rapidement afin de balayer tout fantasme : « Ce n’est pas un truc de génie, c’est juste que quand je fais de la musique, des couleurs me viennent en tête de manière très forte. Après je compose mes morceaux comme des tableaux. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de barrières entre les différents arts et les médiums d’expression : pour moi, il n’y a que des couleurs et des sentiments. »
À l’image de sa musique, la voix de la chanteuse couvre un spectre considérable, passant des graves aux aigus au fil des couplets : « J’ai toujours chanté avec ma voix de tête, jusqu’au jour où j’ai découvert ma voix de poitrine. J’ai eu peur d’elle, j’avais l’impression d’avoir une bête, un monstre à l’intérieur de moi. » Avec le temps, elle finit par l’apprivoiser jusqu’à ne plus chanter qu’avec elle, avant de finalement utiliser les deux en switchant avec aisance, lors de la préparation de son premier album. Ce contraste trouve son paroxysme avec le morceau « Crépuscule des dieux », où la jeune femme glisse d’une voix caverneuse, presque mystique, à un rap maîtrisé, dans des tonalités plus familières – au point qu’on semble avoir affaire à deux interprètes différentes.
Bien que la chanteuse et beatmakeuse compose et écrive ses morceaux entièrement seule, elle est rejoint sur cet album par Myd (membre du quatuor électronique Club Cheval en parallèle de sa carrière solo) aux arrangements. « C’est un producteur vraiment extraordinaire. Je lui amène mes productions et ensemble on va les contraster, les étoffer. Il voit des trucs qui me passent complètement à côté. » Le mix et les prises de voix ont eux été assurés à Montréal par Nikola Feve alias Nk.F, ingénieur son bien connu dans le milieu du hip-hop francophone, ayant régulièrement travaillé avec PNL, Niska, Booba, Damso ou encore Orelsan. D’autres invités parsèment épisodiquement Flavourite CÂLÂ. Au-delà des trois featurings que comporte le projet (avec Ash Kidd, KillAson et Pauli Lovejoy), on retrouve également Eazy Dew derrière le beatmaking de « Soukouyan », le seul morceau qu’elle n’a pas produit elle-même. « Je n’avais jamais posé sur la prod de quelqu’un d’autre, mais quand je l’ai entendue, je l’ai trouvée incroyable », explique Sônge. Enfin, l’arrangement du titre « Mind » est lui passé entre les mains du duo Twinsmatic (producteurs pour des poids lourds du rap game, dont Booba, Damso, Dosseh…).
Mais c’est peut-être en se tournant vers ses inspirations, majoritairement britanniques, que l’on arrive le mieux à saisir l’essence de sa musique. La jeune femme cite pêle-mêle James Blake, FKA Twigs, NAO, la bass music ou le grime comme principales influences issues d’Outre-Manche, en parallèle de Santigold, Björk, CocoRosie, Kendrick Lamar ou encore le dancehall caribéen. Il n’est donc pas étonnant que ses morceaux soient aussi bien écrits en français qu’en anglais : « Ça vient un peu sauvagement, précise-t-elle, je compose la musique et les paroles me viennent dans une langue ou dans l’autre ». Et les Anglais le lui rendent bien, puisque Sônge jouit déjà d’un joli succès au Royaume-Uni, qu’il soit critique ou public.
Une fascination pour les mythes
Ses textes eux trouvent l’essentiel de leur inspiration ailleurs. Ils puisent leur âme dans un univers mystérieux et onirique fait de contes, de légendes et de mythes. Des histoires qui la fascinent depuis sa plus tendre enfance en Bretagne, qu’elle ne cesse d’explorer depuis. « Je demandais à mes amis de me raconter les histoires et les légendes de chez eux. Ou quand j’étais en couple, j’achetais plein de livres que je donnais à la personne avec qui j’étais pour qu’elle puisse me les lire. » Le morceau « Soukounyan » est par exemple inspiré du nom d’un démon dont l’esprit se cache dans le corps d’animaux ; une histoire qui lui a été contée par un ami guadeloupéen. « Crépuscule des dieux » fait quant à lui référence au dernier acte de l’œuvre L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner, elle-même inspirée par la légende du peuple des Nibelungen et son trésor, qui serait enfoui au fond du Rhin (une légende dans laquelle a également puisé J. R. R. Tolkien pour écrire Le Seigneur des Anneaux).
Au-delà de l’aspect mythique et mystique de ces contes, Océane se reconnaît dans la dimension féministe que l’on attribue à la figure folklorique de la sorcière. « On a toujours trouvé des moyens pour évincer les femmes, comme le fait de les traiter de sorcières ou d’hystériques », dénonce-t-elle. La chanteuse évolue d’ailleurs dans un milieu résolument féminin et féministe, que ce soit avec son crew de DJs, Conspiration, composé de sept femmes et d’un transexuel, ou lors des workshops de composition qu’elle anime pour Ableton ou Native Instrument, le dernier ayant été organisé par le collectif féministe Comme Nous Brûlons, à la Gaîté Lyrique, dans le cadre de l’exposition Computer Grrrls qui souligne le rôle des femmes sur le développement des technologies informatiques.
Parmi les titres rassemblés dans l’album, certains sont plus ancrés dans le réel bien qu’inspirés par des régions lointaines, faisant écho à ses multiples voyages. « Carol of the bells » a été écrit à son retour de Cuba, et « Colorado » parle lui du célèbre fleuve du Sud-Ouest des États-Unis. D’autres trips effectués par l’artiste au Népal, en Afrique du Sud ou au Brésil n’ont en revanche pas encore eu droit à leur morceau : « Je pense qu’il y a encore plein de voyages que je n’ai pas eu le temps de digérer, et qu’on retrouvera dans mes futurs titres. » L’attente sera sans doute de courte durée, puisque la jeune artiste nous confie déjà travailler sur son prochain opus qu’elle compte sortir à la rentrée 2019. Son histoire ne fait que commencer.
Sônge sera en concert au Badaboum, à Paris, jeudi 28 mars.