Octavian sera-t-il le nouvel empereur du rap ?

Article publié le 12 mars 2019

Texte par Maxime Retailleau et photo par Davit Giorgadze extraits de Magazine Antidote : Survival issue printemps-été 2019. Talent : Octavian. Stylisme : Yann Weber. Coiffure et maquillage : Akemi Kishida.

Raveur, dealer et même SDF lorsqu’il était adolescent, Octavian a survécu à la rue avant de percer avec son banger « Party Here » et sa mixtape Spaceman l’an dernier. Aujourd’hui, rien ne semble plus pouvoir arrêter l’artiste Londonien, qui n’a qu’un rêve en tête : trôner sur la scène musicale internationale.

Décloisonnant les barrières entre grime, drill, R’n’B et dancehall à travers ses morceaux, Octavian s’est imposé comme l’une des nouvelles figures du rap à suivre de très près. Après avoir instauré les premières bases de son esthétique novatrice avec ses EP 22 puis Essie Gang, recoupant un mix d’influences inédit, l’artiste du sud-­est de Londres se fait repérer par Drake et perce avec un hit à la fois sombre et festif, Party Here. Suit la mixtape Spaceman, dont sa voix grave et éraillée constitue le fil rouge et à travers laquelle il déploie un large spectre musical, qu’il continue d’étendre à travers ses singles – de l’incisif Stressed en passant par son featuring sur Move Me du producteur Mura Masa. Après être sorti de la rue qui l’a forgé, il s’apprête aujourd’hui à conquérir le rap game, armé d’une volonté de fer et d’une confiance en lui inébranlable. L’avenir lui tend les bras.

ANTIDOTE. Quels étaient les artistes que tu écoutais lorsque tu as grandi ?
OCTAVIAN. Beaucoup de rappeurs, et pas grand chose d’autre : 50 Cent, Eminem, Nas, Sexion D’Assaut, La Fouine – pas mal de rap français. J’ai vécu quelques temps en France, jusqu’à mes trois ans, puis j’y suis revenu de 13 à 15 ans.
Tu as séché beaucoup de cours, tu préférais écouter ce que 50 Cent avait à dire dans ses morceaux plutôt que tes profs. C’était même un modèle pour toi, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Parce qu’il m’a fait comprendre que je pouvais être libre, faire ce que je voulais. J’ai pris conscience que je pourrais être riche et avoir du succès en faisant ce que j’avais envie de faire, et pas nécessairement en faisant ce que les gens me demandaient.
Comment se fait-il que ta mère te voyait comme le « mauvais garçon » de la famille, alors que ton grand frère était dealer ?
Je n’écoutais pas les gens, même ma mère. Elle voulait que je sois bon à l’école, que je fasse des maths, mais j’étais vraiment nul dans cette matière. Et je savais, depuis très jeune, que je n’avais pas besoin de faire de maths. Mon frère était dealer mais lui avait de bonnes notes.
Ta mère t’a renvoyé en France quand tu avais treize ans, chez ton oncle. Pourquoi a-t-elle pris cette décision ?
Parce que je me suis fait viré de l’école. Elle m’a inscrit dans un établissement très strict. C’était effrayant d’être aussi loin de chez soi à un âge aussi jeune, et je voulais vraiment rentrer à Londres. Mon oncle était le premier homme à jouer un rôle dans ma vie, je le détestais (il battait Octavian, ndlr), c’étaient mes pires années. Ma mère me disait : « si tu veux revenir de Lille, il faut que tu te comportes bien ! ». Alors je suis devenu bon à l’école, j’écoutais en cours. Je ne rappais pas encore à l’époque, il n’y avait pas de scène musicale à Lille.


Veste, pantalon, Louis Vuitton.
Qu’est-ce qui t’as poussé à te lancer dans le rap, une fois de retour en Angleterre ?
Un ami, Louis, avec qui j’ai composé mes premiers morceaux – mais je ne suis pas certain qu’ils soient encore disponibles à l’écoute sur Internet. Il m’a encouragé à rapper parce que quand je suis revenu à Londres, j’ai vendu de la drogue et fait des conneries. Il m’a dit : « Tu pourrais aussi bien t’investir dans quelque chose d’autre. » Je lui ai répondu : « Le rap ? », et j’ai commencé.
Tu es allé à la Brit School, une école d’art par laquelle sont passés Adele, Jessie J ou encore King Krule. Avec le recul, tu as affirmé que c’était une perte de temps parce que la créativité ne peut pas s’enseigner, mais que tu y as appris une chose : que tout était possible. Qu’est-ce qui t’a fait réaliser ça ?
Les personnes qui sont à la Brit School deviennent connues. Et je les voyais tous les jours : je faisais des pauses clopes avec elles dans le fumoir, puis elles devenaient célèbres, elles passaient à la télé… Donc j’ai pris conscience que c’était possible. Tout le monde n’a pas l’occasion d’être confronté à ça aussi jeune, mais comme ça c’est passé dans mon environnement, je me suis dit : « Ouah, ça pourrait être moi », et j’ai cherché à percer dans le rap.
Cette même année, tu avais alors 15 ans, ta mère t’as mis à la rue. Tu t’es retrouvé dehors, sans argent, comment as-tu fait pour survivre ?
C’est grâce aux drogues et à Dieu. Je crois en un pouvoir divin, je suis certain qu’il y a quelque chose.
Tu as dealé quelque temps, as-tu envisagé de rejoindre un gang à l’époque ?
Rejoindre un gang, jamais de la vie, ça revient à devoir respecter des règles. J’ai vendu de la drogue par moi-même, j’avais des gens qui travaillaient pour moi. Mais je n’ai pas fait tant d’argent que ça.

« Maintenant que j’ai avancé, mon intention n’est pas de stagner, mais d’arriver au sommet. »

Tu étais aussi un raveur assidu, tu allais à des soirées house et drum’n’bass. Ce sont des expériences qui t’ont marqué ?
Oui, elles ont contribué à forger mon identité à l’époque, ainsi que ma musique. Je n’ai pas connu que la street, je suis allé dans des endroits vraiment variés : très jeune, j’ai eu l’occasion d’être confronté à un spectre d’expériences très large. Je suis allé aux raves organisées dans la rue, à celles où allaient les gens riches…
Ces influences semblent notamment avoir ressurgies à travers le single qui t’as rendu célèbre, « Party Here », qui est dansant tout en s’inscrivant dans une veine rap.
Exactement, ça a infusé dans ma musique.
Drake a posté une vidéo sur son compte Instagram où il chantait les paroles de ce morceau à l’afterparty des Golden Globes : qu’as-tu ressenti lorsque tu l’as découverte ?
Je suis devenu dingue parce que je suis un très grand fan de ce qu’il fait : c’était l’un des premiers artistes à rapper et chanter à la fois, et sa musique est très variée.
Tu avais un budget d’une cinquantaine d’euros seulement pour tourner le clip de « Party Here », comment t’es-tu débrouillé sans argent ?
J’avais des amis qui réalisaient des vidéos, donc on a utilisé les 50 euros pour louer une salle blanche, et tout le monde est venu participer au tournage gratuitement. Maintenant je dépense beaucoup plus d’argent pour mes clips, sans qu’il n’y ait de raison particulière. C’est étrange, la façon dont la vie fonctionne : plus on a d’argent, plus on en dépense, alors que ce n’est pas nécessaire.

Pull, pantalon, casquette et sac à dos, Louis Vuitton. Collier, vintage.
Tu t’es entouré du collectif créatif musical et audiovisuel que tu as créé, le Essie Gang, pour sortir tes premiers projets. Pourquoi était-ce important pour toi de monter ta propre team ?
J’ai toujours su que je deviendrais célèbre un jour. Et je savais qu’il y aurait des gens que je ne connaîtrais pas qui viendraient me voir en disant : « Oh, Octavian » (il prononce ces mots avec une petite voix fluette). Donc j’avais besoin de rassembler mes proches dans un crew, parce que je pourrai toujours me dire que ce sont mes vrais amis. J’ai créé le Essie Gang alors que j’étais très pauvre, ils n’avaient aucune raison de se tenir à mes côtés mais ils l’ont fait, je sais que je peux compter sur eux.
Tu es très indépendant, mais d’un autre côté être entouré de ton collectif semble essentiel pour toi, tu le mentionnes très fréquemment dans tes morceaux. Comment expliques-tu cette dualité ?
C’est vraiment une bonne question. Mais c’est parce que je suis le meneur de l’équipe, je n’en ai pas nécessairement besoin, je le fais pour ma team. C’est comme le patron d’une entreprise : tu as besoin des gens autour de toi, mais si tu n’avais plus ta boîte, tu serais probablement capable d’en monter une nouvelle. C’est ça être le leader, tu peux tout faire par toi-même si tu veux, mais tu fais le choix de le faire pour les autres. Ce sont mes gens, je partage d’ailleurs un appartement avec tous mes proches collaborateurs.
Dans ta mixtape Spaceman, tu parles beaucoup de survie, de la lutte pour le succès, de ta revanche sur les gens qui n’ont pas cru en toi. Ces thèmes te sont toujours chers ?
C’était l’histoire de ma vie lors­que j’étais en train d’éclore. Mais aujourd’hui tout a changé, même ma musique et ma façon de m’habiller. Ce que j’ai appris l’année dernière, c’est à reconnaître qui je suis, quelles sont mes capacités, et quelles sont les opportunités qui s’offrent à moi. Et maintenant que j’ai avancé, mon intention n’est pas de stagner, mais d’arriver au sommet. Mon objectif maintenant c’est (il fait un bruit de sucion en pinçant ses lèvres puis en les relâchant subitement) de continuer à monter… (il chuchote) monter plus haut que Travis Scott. Je ne me soucie plus tellement de me venger de certaines personnes, avant c’était le cas, mais je suis passé au-dessus de ça.

Qu’est-ce que tu aimerais dire aujourd’hui aux gens qui n’ont pas cru en toi quand tu étais plus jeune, qui ont voulu te faire suivre une voie préexistante, au lieu de t’encourager à explorer la tienne ?
Je leur dirais de me regarder aujourd’hui. Jay Z a dit qu’il ne fallait jamais écouter les conseils. Même si Jay Z t’en donnait un, il ne serait pas forcément bon à prendre. Ce qu’il faut écouter, c’est soi-même.
Tes artistes favoris à l’heure actuelle sont James Blake et Bon Iver, pourquoi eux et non des rappeurs ?
Quand tu es un rappeur, tu dois encore respecter beaucoup de codes : tu dois te comporter d’une certaine manière, t’habiller dans un style street… Bon Iver lui n’a pas de règles, il est complètement libre : sa musique émane de sa personnalité, il fait ce qu’il veut. C’est pourquoi j’aime ce qu’il fait et je l’envie. C’est inspirant pour moi.
En tant que rappeur, tu cherches toi aussi à créer ta propre esthétique, en mêlant passages chantés et rappés dans tes morceaux.
Je peux tout faire. Mes nouveaux singles toucheront plusieurs audiences, mais il s’agit juste de différents aspects de ma personnalité, que je ressens le besoin d’exprimer.
Comment décrirais-tu ta progression esthétique depuis ton premier EP 22, jusqu’à ta récente mixtape Spaceman ?
Mon esthétique musicale, la façon dont je pense, dont je vois les choses, tout ça change chaque jour. Je dois rester fort mentalement. Je suis encore très jeune, j’ai 22 ans, et je dois apprendre très vite parce que maintenant je suis à la tête d’un crew, et que j’essaye d’atteindre le sommet. Apprendre, c’est ce que j’aime le plus dans ce game. Je voyage dans différents pays, j’y découvre la manière d’être des gens, comment ils écoutent de la musique et la consomment. Tout ce qui compte, c’est l’information que tu obtiens, et ce que tu en fais. Moi, j’ai été tout au fond, et je sais déjà en sortir. Donc je pourrais le refaire s’il le fallait. Je pourrais aller aux États-Unis, et tout recommencer.

Pull, gilet, pantalon, chaussures et casquette, Louis Vuitton.

Débardeur, T-shirt, casquette, lunettes et sac, Louis Vuitton. Collier, vintage.
Quand tu étais plus jeune, tu as dû te battre, parfois physiquement, pour t’en sortir et gagner assez d’argent pour vivre. Considères-tu que mener une carrière dans le rap, bien qu’aujourd’hui tu sois bien plus aisé financièrement, est à nouveau une question de survie ? Qu’il s’agit encore d’un combat à mener, mais avec d’autres armes cette fois ?
Tout à fait. La lutte est encore plus dure maintenant. Je suis authentique, mais tout est superficiel dans ce game. Tu dois obtenir autant de choses que possible très rapidement, progresser, et aller toujours plus vite. Ralentir, c’est vraiment effrayant. Je connais des gens qui deviennent vraiment relax passé un certain stade, mais moi ça fait seulement un an que je suis là. Je ferai mon maximum jusqu’à mes 40 ou 50 ans, je me reposerai après.
As-tu déjà envisagé de rapper en français ?
Oui. Je viens de Londres, mais quand j’aurai passé assez de temps en France, que j’y serai respecté et que j’aurai compris comment le marché national fonctionne, comment je dois m’y prendre, c’est ce que je ferai. Et il ne s’agira pas simplement d’un petit morceau en français. Je vais le faire à fond, je sortirai peut-être tout un EP dans cette langue, ce serait le feu.
Comment choisis-tu les producteurs avec qui tu collabores ? La plupart sont tes amis, comme J Rick ?
Maintenant ça a changé. Mes amis sont occupés, ils mènent leurs propres projets. Je suis ami avec J Rick depuis qu’on a sept ans, mais il compose actuellement un album. Les nouveaux producteurs avec qui je travaille, je les choisis ou ils me choisissent, ça dépend des fois.

« Les épées ont toujours été mon symbole parce que la vie est un combat, c’est une lutte pour parvenir au niveau supérieur. Et plus tu te bats, plus tu avances. »

Tu sembles porter une grande attention aux looks que tu choisis pour tes clips. Que représente la mode pour toi ?
J’ai une relation étroite avec elle. Pour moi la mode est un tout autre monde, en perpétuelle évolution. La façon dont tu t’habilles peut te permettre de conquérir une partie de ton public : ASAP Rocky, par exemple, ne serait pas ce qu’il est sans la mode.
Tu as défilé lors des deux premiers shows de Virgil Abloh pour Louis Vuitton : comment vous étiez-vous rencontrés ?
Il m’avait trouvé sur Instagram et on a beaucoup discuté. Puis il m’a tout simplement proposé de rejoindre le casting. C’est incroyable de collaborer avec Louis Vuitton, alors que j’ai été aussi pauvre. C’est Louis Vuitton qui m’habille maintenant, je porte tout le temps les vêtements de la marque, y compris durant mes concerts. C’est juste dingue (rires).
Virgil Abloh a co-créé la couverture de ta mixtape Spaceman. C’est lui qui a dessiné les épées croisées qu’on retrouve dessus ?
Oui, c’est ça. Les épées ont toujours été mon symbole (il a un tatouage représentant deux épées qui se croisent sur l’avant-bras, ndlr) parce que la vie est un combat, c’est une lutte pour parvenir au niveau supérieur. Et plus tu te bats, plus tu avances. Certaines personnes font 50% du chemin, puis se relâchent. Mais pour moi, tout est une question de… (il pointe son index vers le haut).
Est-ce que ta mère est aujourd’hui fière de ton succès ?
Je pense que oui. Elle a presque 50 ans maintenant, et toute sa vie elle a cru que c’était impossible de parvenir là où j’en suis aujourd’hui. Et maintenant elle se dit : « C’est mon fils qui ne faisait que des conneries qui a du succès  ». Mais je ne sais pas précisément ce qu’elle en pense, je ne lui ai pas tant parlé que ça ces derniers temps.


Sweat, pantalon, chaussures et lunettes, Louis Vuitton.
La jeune scène musicale anglaise est en pleine effervescence ces temps-ci, avec des artistes comme Iamddb, Slowthai, Stormzy… Considères-tu cet environnement comme inspirant ?
J’aime la musique qui vient de Londres, et Slowthai est un ami, mais je m’inspire de différentes choses. Et je veux viser une audience plus large. J’adore Travis Scott, Drake, Migos, Post Malone, ou encore Booba, parce qu’ils ont suivi leur propre voie et réussi. Je veux entrer en compétition avec eux, être dans cette course. Ce sont des meneurs, c’est ce que je veux devenir. C’est ce que je serai.
Adolescent, tu as parfois dû dormir dans le métro, mais pensais-tu déjà que tu deviendrais célèbre ?
Oui, c’est pour ça que je ne me sentais pas vraiment triste d’être pauvre. Je savais qu’un jour je réussirais, et c’est ce qui est arrivé.
Y a-t-il des rappeurs avec qui tu rêverais de faire un featuring ?
Il faudrait que ce soit une légende. Eminem ou 50 Cent. Si je me retrouve avec eux en studio, je vais pleurer. Je serais comme un fanboy.
Quels sont tes prochains projets ?
Je vais sortir de gros singles, et faire grandir mon audience. J’ai besoin de mon public, je vais d’abord me centrer sur Londres puis viser les États-Unis.

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