Mélancolique et futuriste, le nouvel album de Las Aves sonde nos peines de cœur 2.0

Article publié le 6 septembre 2019

Texte : Naomi Clément.
Photo : Alice Kong.

Sorti le 30 août 2019, I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It explore la notion d’amour à l’ère digitale.

Beaucoup de choses se sont passées depuis Die in Shanghai, le premier album de Las Aves paru en 2016. Porté par le single « NEM » – entre autres utilisé pour accompagner la campagne A Girl’s Secret de Fendi -, ce disque aux sonorités mystiques avait participé au renouveau de la scène pop française, propulsant Géraldine Baux, Jules Cassignol (qui s’est ensuite lancé en solo sous le pseudo « Jazzboy », en parallèle) et Vincent Argiolas sur le devant de scènes situées aux quatre coins du monde, de l’Angleterre à la Chine. « On était quasiment non-stop sur la route pendant les deux ans qui ont suivi la sortie de cet album », retrace Vincent Argiolas. Fort de ce premier long format, le groupe originaire de Toulouse signe aujourd’hui son retour avec I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It, un second opus annoncé au printemps dernier par l’ironique « You Need a Dog ».

Produit par Lucien Krampf, apprécié pour son univers puisant dans le rap et les musiques hardcore, cet album aux accents pop, électroniques et R&B dépeint avec une honnêteté puissante et frontale la complexité des relations amoureuses à l’aube des années 2020, entre textos laissés sans réponse et ruptures post-Tinder. « C’était important pour nous de traduire la violence et la beauté de l’amour, l’alchimie issue de ce paradoxe, explique le trio. On a voulu faire des hits pop remplis de pièges et d’aberrations, viser le cœur avec des flèches de fer. ». A l’occasion de la sortie de leur nouveau disque, les membres de Las Aves reviennent pour Antidote sur la création de ce projet introspectif et inspirant.

Antidote. Comme son titre l’indique, votre nouvel album est placé sous le signe de l’amour, mais un amour souvent triste, déçu (« You Need a Dog », « A Change of Heart », « Fuck That Shit »). Une grande mélancolie infuse d’ailleurs ce projet (« Baby », « Thank You »). Qu’est-ce qui vous a inspiré pour concevoir ce disque ?
Géraldine Baux.
En premier lieu, l’amour, évidemment. Cet album a été une photo de deux, trois années de rebondissements amoureux. Une période cristallisée autour de la déception, mais pas seulement. C’est l’histoire d’une quête de l’amour absolu. Une recherche continue de liberté, de sensations toujours plus intenses, de sentiments toujours plus profonds. Une recherche qui, forcément, est déçue de nombreuses fois… Mais on trouve une certaine beauté à transformer l’échec ou la souffrance en musique. Donc oui, l’amour, mais plus généralement les smartphones, Messenger, Tinder, les garçons, les filles, la violence, la ville, l’Asie… Cependant, le titre « Baby », que tu cites, est particulier pour nous car il aborde l’avortement, un thème qui est peu chanté habituellement. C’est un morceau ultra brut, frontal, qui s’appuie sur un ressenti profond, viscéral. C’est sûrement l’un de nos morceaux les plus sincères.

« On voulait un peu maltraiter nos chansons d’amour »

J’ai le sentiment que votre esthétique musicale a beaucoup changé depuis Die in Shangai : elle est aujourd’hui un peu moins saisissable, plus aérienne, futuriste aussi… Constatez-vous également cette évolution ?
Jules Cassignol.
Elle a en effet beaucoup évolué, notamment parce qu’on refusait de faire un album avec le même son que celui d’avant, avec les mêmes automatismes. Quand on se retrouve en studio, on ressent toujours le besoin de déconstruire, de presque nier ce qu’on a fait auparavant, de prendre des contre-pieds, de se faire peur à nous-mêmes. C’était un processus assez dur au début, on a beaucoup cherché, effacé, cassé… Puis tout s’est accéléré quand on a commencé à travailler avec Krampf. À la base, il vient du rap et du hardcore, on avait adoré son travail pour Oklou aussi. On avait besoin de son radicalisme, on voulait un peu maltraiter nos chansons d’amour [rires]. Finalement, le truc a pris très naturellement, et tout est allé très vite ces six derniers mois.

Vous accordez en parallèle une importance toute particulière à vos clips, qui nous entraînent à chaque fois au cœur d’une histoire ou d’un monde singuliers. Pourriez-vous me parler de l’inspiration derrière celui de « A Change Of Heart » ?
Jules Cassignol.
Le clip est une sorte de sitcom désabusée à Hong Kong, dans laquelle l’Amour élève puis détruit ses personnages. Je voulais peindre des contrastes que je trouve intéressants, entre la girl next door et la pop star, ou entre le plateau TV aseptisé et les rues de la ville. J’avais en tête un mood un peu à la Thelma et Louise, un truc assez romantique, mais aussi réellement tragique.

L’album s’ouvre avec « You Need a Dog », un titre plein d’ironie. Pourquoi l’avoir choisi comme morceau d’introduction ?
Geraldine Baux.
C’était pour nous le parfait morceau pour commencer car il tranche radicalement avec ce que nous avons fait auparavant. Son histoire plante le décor. Ensuite, on parle de rupture amoureuse, de déception, mais avec une force et une violence particulières. « You Need a Dog » définit aussi assez bien notre état d’esprit sur cet album. D’un point de vue sonore, nous voulions aller au plus radical, au plus juste émotionnellement, et pour cela on avait besoin d’être sur le fil. Parfois cheesy, parfois ironique, parfois pop, parfois plus complexe.

« Un témoignage à coeur ouvert, un manifeste sur l’amour d’aujourd’hui »

J’ai beaucoup aimé « Worth It » qui, j’ai l’impression, parle plutôt d’amour de soi, d’apprendre à s’aimer…
Géraldine Baux.
C’est effectivement un morceau sur l’acceptation de soi et la puissance qui peut s’en dégager. C’est la conclusion d’un long chemin d’errance, entre privation et violence. J’ai une relation de quasi-haine avec mon corps comme tellement de femmes en ont vécu, et en vivent encore. J’ai grandi à une époque où la maigreur du corps féminin était mise sur un piédestal, et c’est encore souvent le cas. Aujourd’hui, on commence de plus en plus à en parler et à libérer nos différences, avec le body positivisme par exemple. On voit de plus en plus de corps différents, et ça fait du bien. Mais au-delà de ça, je pense que c’est une réelle libération de ne plus se laisser définir simplement en fonction de son apparence.

Même s’il s’inscrit dans les mêmes sonorités que le reste des titres de l’album, « Latin Lover » a quelque chose de beaucoup sensuel. C’était voulu ?
Géraldine Baux. Oui, c’est un morceau clairement sensuel. L’histoire d’un rendez-vous sans lendemain. L’idée, c’était surtout de renverser les rôles : le latin lover ici, c’est une femme, et c’est ça qui est kiffant.

Quel est finalement le message de I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It ?
Jules Cassignol. Le message, s’il devait y en avoir un, est dans le titre. Mais cet album, c’est surtout un témoignage à cœur ouvert, un manifeste sur l’amour d’aujourd’hui, sans filtre, sans morale. On espère que les gens y trouveront des émotions, des instantanés de choses qu’ils ont peut-être vécues. Ce serait déjà bien assez pour nous.

Las Aves sera en concert à la Gaîté Lyrique de Paris le 24 octobre prochain.

À lire aussi :

À lire aussi :

[ess_grid alias= »antidote-home2″]

Les plus lus

Interview avec Saweetie, star incontournable du rap américain

Après une apparition remarquée à la Fashion Week de Paris, et forte de nombreuses collaborations avec notamment Jhené Aiko, Doja Cat, H.E.R. ou encore Rihanna pour sa marque Fenty Beauty, Saweetie aka Icy Grl – comme le nom du single qui l’a propulsée sur le devant de la scène en 2018 – n’a encore jamais sorti d’albums après de nombreuses années de carrière. Peinant à trouver sa place et réclamée par ses fans, la rappeuse américaine de 30 ans est cette fois prête : nous avons discuté de son album qu’elle prépare enfin pour 2024, après son retour avec le single “Richtivities” ; mais aussi de son ressenti en tant que femme dans le rap et en tant que rappeuse parmi les autres rappeuses, ou encore de son rapport à la mode et au cinéma avec, pourquoi pas… un futur rôle de vilain  dans un film de super-héros.

Lire la suite

Awich : la boss du rap game japonais

Awich revient ici sur son parcours hors normes, de l’assassinat de son mari alors qu’elle n’avait que 24 ans à sa renaissance grâce à la musique à l’aube de la trentaine. Au passage, la reine du rap japonais raconte également son enfance passée face aux campements militaires américains installés au Japon, dépeint l’évolution du rôle des femmes au sein de la société nippone, et explique pourquoi elle a lancé une marque de saké dans lequel elle fait mariner des têtes de serpents venimeux.

Lire la suite

Rencontre avec le DJ croate Only Fire, avant la sortie de son nouvel EP « Moana Lisa »

Avec leurs voix robotiques clamant des paroles salaces sur des beats entêtants, les titres du jeune DJ croate Only Fire se sont rapidement imposés sur la scène électro internationale, de Paris à Berlin, où il vit aujourd’hui, en passant par New York et Zagreb, où il a grandi. Après avoir mixé lors d’une Antidote Party en juillet 2023, où il instantanément fait grimper la température, le jeune DJ de 24 ans revient ce vendredi 1er mars avec « Blowjob Queen », un single annonçant la sortie de « Moana Lisa », un nouvel EP au titre tout aussi kinky, disponible en pré-commande avant sa sortie à la fin du mois. Rencontre.

Lire la suite

Les métamorphoses de Sevdaliza

Chanteuse avant-gardiste comptant trois albums à son actif, Sevdaliza explore désormais de nouveaux territoires esthétiques à travers des singles qu’elle sort au compte-gouttes, en multipliant les métamorphoses physiques au passage. À travers cet entretien, l’artiste d’origine iranienne de 36 ans, installée aux Pays-Bas, revient sur l’importance que la communauté queer a joué sur la construction de son identité, sur la difficile acceptation de sa singularité, sur sa fascination pour les nouvelles technologies ou encore sur l’influence de son expérience de la maternité sur sa vision du monde.

Lire la suite

La mélo de Gazo et Tiakola est gangx, et leur alchimie parfaite

Les deux rappeurs, parmi les plus populaires du moment en France, ont sorti un album commun qui fait des étincelles dans un monde froid : La Mélo est Gangx. Après plusieurs collaborations à succès et des carrières solo déjà bien remplies, Gazo et Tiako fusionnent leurs univers pour aboutir à une alchimie évidente mais innovante. De leurs premiers pas en studio au sommet des charts, on a discuté (et beaucoup rigolé) avec deux bosseurs passionnés, qui allient aujourd’hui leurs forces au profit de la culture… à travers la leur.

Lire la suite

Newsletter

Soyez le premier informé de toute l'actualité du magazine Antidote.