Sa voix envoûtante, ses paroles entêtantes et son univers décalé font déjà d’elle l’une des plus épanouies fleurs du fertile jardin de la variété française. Avec un unique EP à son actif, la chanteuse qui signait cette année un duo avec Julien Doré présentera un premier album courant avril 2017. Rencontre avec la délicieuse Juliette Armanet.
Avant de vous lancer dans la musique, vous réalisiez des documentaires pour Arte, comment passe-t-on de journaliste à musicienne ?
C’est une transition qui s’est faite assez naturellement, j’ai travaillé pour Arte pendant 7 ans. La société de production pour laquelle je travaillais a un peu changé, je me reconnaissais de moins en moins dans ce que je faisais, j’avais envie d’autre chose. Puis il y a eu ce concours inRocks Lab en 2014. J’y ai participé sans me dire que ça allait fonctionner puisque j’étais toute seule avec mon piano. En fait, je suis allée en finale. C’est là que les maisons de disque viennent chercher leur petit poisson et j’ai été péchée par le requin Barclay (une division d’Universal, ndlr). J’étais ravie de rencontrer une maison de disque, ça faisait des années que je faisais de la musique, du piano des chansons mais j’avais envie d’avoir une structure.
Comment ce parcours a-t-il influencé votre musique ?
Pour Arte, je faisais surtout des documentaires de société, des portraits de gens : j’ai fait un truc sur la fessée, un docu sur le premier festival de film érotiques, un autre sur les vieux qui font du théâtre. Cela m’a permis de m’ouvrir un peu au monde, de rentrer dans la complexité de la vie des gens, de ne pas avoir une vision stéréotypée de la société. Je pense que ça m’a aussi aidé à me décomplexer moi, mon regard sur la vie.
Où vous situez-vous musicalement ?
Entre Alain et Souchon, entre Michel et Berger, entre Véronique et Sanson, je ne sais pas. Je me situe à un moment où la variété française redevient quelque chose qui intéresse les gens, et ça tombe bien parce que c’est ce que je fais. Je pense que je ne fais pas de la soupe. D’après moi, il y a plusieurs types de variété : le gros tracteur qui écrase tout et qui n’a aucun complexe – qui ne m’intéresse pas particulièrement, et il y a des choses plus racées, plus pointues, tout en restant populaires et accessibles à beaucoup de gens différents mais exigeants. C’est ce que j’essaie de faire.
Vous avez donc envie d’être populaire ?
Bien sûr ! Jouer pour trois bobos parisiens, ça ne m’intéresse pas du tout. Ce qui est beau dans la musique, c’est de pouvoir la partager avec des gens qui ne sont pas des parisiens branchés. Ces mêmes qui, en plus, vont trouver d’ici six mois que ce que tu fais est nul. Quand j’ai accompagné Julien Doré dans ses tournées, j’ai trouvé l’éclectisme de son public hyper beau : très intergénérationnel, des hommes, des femmes, des vieilles, des jeunes.
Comment vous-êtes vous rencontrés ?
En fait, j’ai emménagé à Barbès il y a trois ans et j’habite au sixième étage. C’était l’été, je jouais du piano avec les fenêtres ouvertes. Je me mets à la fenêtre, un mec dans l’immeuble d’en face me demande si je suis musicienne. Il me dit que lui aussi, commence à jouer de la contrebasse. On s’est dit : « viens on va boire une bière », et il se trouve que c’était le bassiste de Julien Doré. Du coup, il lui a fait écouter ma musique. Julien a apprécié, m’a proposé quelques premières parties, on s’est rencontrés comme ça et on est devenus copains.
Vous avez ensuite réalisé le duo Corail sur l’album & de Julien Doré, qui a rencontré un grand succès en France. Cela a-t-il fait prendre un nouveau tournant à votre carrière ?
En fait, j’ai pas vraiment l’impression, je suis un peu dégoûtée j’avoue (Rires). Il m’aide beaucoup, il m’invite sur des plateaux, on va faire un Zénith ensemble… Mais non, avec cette chanson, je pensais que j’allais avoir des fans en bas de chez moi et en fait rien du tout.
À l’heure où le monde chante en anglais, pourquoi vouloir chanter en français ?
Ça ne m’a pas du tout traversé l’esprit. J’écris en français, ce qui m’intéresse, c’est la langue française, c’est le travail du texte. Et je n’aurai pas du tout la dextérité pour travailler en anglais. J’en serais totalement incapable. J’ai fait des études de lettres, du théâtre, j’aime parler français, j’aime cette langue. Elle m’intrigue, elle me fait rire, elle m’émeut.
Et si vous comptez un jour exporter votre musique ? Seriez-vous prête à traduire les morceaux, à l’image de ce qui a fait la renommée de Christine & The Queens à l’étranger ?
Pour l’export, je ne pense pas. J’irai jouer au Japon, j’irai faire la frenchy au Canada. J’aimerais bien chanter en japonais ou en belge. Déjà, on va s’intéresser à la France puis on verra par la suite. Pour Christine, c’est différent, elle est anglo-saxonne dans sa manière de faire de la musique. Elle, elle, danse, c’est de la performance.
Photo : Erwan Fichou – Théo Mercier
Ce que vous faites n’est donc pas une performance en soi ?
Tout le monde a ce mot à la bouche. La performance, à la base, c’est un truc assez violent. Je pense à Marina Abramović quand on me parle de performance. Chanter des chansons d’amour derrière un piano, ce n’est pas une performance pour moi, c’est juste de la musique. On vit dans une société où il faut que tout soit extrême. Moi je ne suis pas comme ça, j’aime bien les choses douces, la subtilité. Pour autant, ça n’empêche pas la fantaisie, la démesure. Et le nouveau show que l’on est en train de monter va être monstrueux.
Pourquoi l’omniprésence de l’image du cheval ?
Parce que le premier EP s’appelait Cavalier Seule et on a inventé cette image de cette ponette. Du coup, j’ai un peu décliné le sujet. Mais j’ai fait de l’équitation pendant longtemps. Je ne suis pas abonnée à Cheval Magazine mais j’aimerais bien ceci-dit. Dans le clip, on a mis un cheval car je trouvais ça joli de voir cette femme qui brosse un poney comme une sorte de scène à la Jacques Demy, une espèce de parodie du comte de fées. Et puis c’est beau les chevaux, non ?
Entre Cavalier Seule et L’Amour en Solitaire, vos morceaux parlent beaucoup d’isolement, êtes-vous plutôt solitaire de nature ?
Oui, je suis solitaire. J’ai eu assez longtemps peur de ma solitude, puis j’ai appris à l’affronter, à l’apprivoiser et à l’aimer. Je suis restée seule assez longtemps à un âge où pas mal de mes amis avaient quatre enfants, une Renault Espace. Je n’étais pas du tout dans cet esprit, je vivais complètement autre chose et je me suis pas mal confrontée à moi-même. Au final, j’ai réussi à me tenir compagnie plutôt dignement, devenir indépendante et le transformer en quelque chose d’assez militant.
Vous composez seule ?
Complètement seule. Je ne peux absolument pas tolérer qu’il y ait quelqu’un dans une pièce, qui entende quand je compose. Bien sûr, je m’adapte, mais pour sortir une chanson, il faut que je sois seule, que je puisse m’énerver sur mon piano, pleurer, rigoler, m’arracher les cheveux.
Votre premier album est prévu pour avril 2017, pouvez-vous nous en dire plus ?
L’album a beaucoup été écrit autour du piano. On a tiré quelques morceaux vers des sonorités plus électro, et d’autres vers des prod’ ouvertement seventies, très live. Par exemple, Star Triste est un morceau complètement joué à la Supertramp, À La Guerre Comme à L’Amour a de gros beats électro. Tout est parti de ce grand piano à queue qui trônait au milieu du studio. On a fait à la fois du piano-voix de façon un peu classique, assez austère mais on l’a aussi noyé dans des nappes plus électroniques. Il y aura douze morceaux sur l’album. J’avais bien envie d’en mettre un de plus mais je n’ai pas osé en mettre treize, c’est quand même le chiffre de la scoumoune.
Pourquoi avoir choisi de se « conformer » au format de l’album ?
Alors, je me suis posé la question, je me suis dit que ça aurait pu être cool de sortir un deuxième EP. Mais il reste quand même ce mythe de l’album, tu accouches d’un truc, tu as envie d’avoir l’objet. C’est un accomplissement. Et j’adore écouter des albums, je n’écoute jamais de playlists. Je me dis qu’il y aura peut-être dix personnes qui écouteront mon disque en entier, et ça c’est cool.
Vous n’avez pas encore dévoilé le titre de ce nouvel opus, à quoi doit-on s’attendre ?
Je ne veux pas trop en dire. On a fait une pochette et j’ai envie de le voir écrit pour y aller à 200%. Je travaille avec Théo Mercier, qui est un grand artiste, et j’ai beaucoup de chance. Il a de super idées et c’est toujours magnifique, à la fois un peu provoc’ et assez tendre en même temps. Je me mêle de tout, je suis un peu chiante mais j’accorde beaucoup d’importance à cette partie du travail. J’aime bien l’idée de ne pas rentrer dans les codes, la variété c’est souvent une vieille pochette immonde avec une bougie, un piano et une rose. On essaie de détourner l’imagerie un peu plan-plan de ce qu’elle peut être. J’adore créer une image frappante, ça me plaît de dérouter, de déranger, de créer des images qui restent. Et j’aime le kitsch, parce que pour moi, le kitsch, c’est un peu une forme de pudeur. Ça permet de voiler sans trop dévoiler. L’image offre aussi l’opportunité de ne pas avoir qu’une seule grille de lecture, de complexifier l’enjeu et le personnage.
Alors Juliette Armanet, est-ce vous ou est-ce un personnage ?
Non Juliette Armanet, c’est moi. Mais en moi, il y a des personnages.
L’EP Cavalier Seule de Juliette Armanet est disponible sur iTunes et les plateformes de streaming légales.