Oscillant entre house, techno et textes oniriques dans son dernier album Cavernes, Perez poursuit sa quête de réinvention des codes de la chanson française, qu’il entraîne dans l’obscurité des clubs berlinois.
Après avoir enchaîné les tournées avec son groupe de rock aux accents new-wave Adam Kesher, Perez s’est lancé en solo et en a profité pour affirmer son penchant pour les musiques électroniques sur ses deux albums : Saltos, puis Cavernes, sorti en début d’année. Plus sombre mais aussi plus survolté, il a été composé entre deux virées dans les clubs berlinois, dont Perez s’est inspiré pour ce nouveau LP invitant à la transe. Rencontre.
ANTIDOTE. Ton premier groupe s’appelait Adam Kesher, tout comme le personnage du réalisateur sans cesse humilié dans le film Mulholland Drive. Pourquoi avoir choisi ce nom là ?
PEREZ. J’ai toujours eu du mal à trouver des noms de groupe : je m’appelle aujourd’hui Perez, c’est mon nom de famille (Rires). Concernant Adam Kesher, j’étais allé au cinéma avec mon guitariste et il y a un passage durant lequel une sorte de mafieux le recherche et n’arrête pas de crier son nom. On trouvait que ça sonnait bien, et ça nous plaisait de faire référence à David Lynch, duquel nous étions de vrais fans à l’époque.
Tu as effectué de nombreuses tournées avec Adam Kesher, notamment en Angleterre, quels souvenirs en gardes-tu ?
Ça peut être super dur de tourner en Angleterre… Tu peux te retrouver à jouer devant trois personnes, on te parle comme de la merde, on te passe un paquet de chips et une bière pour six, et la concurrence est assez forte. Mais on a joué dans des lieux plutôt cool. Et quand tu es jeune, à l’étranger avec tes meilleurs amis, en train de faire ce que tu préfères, c’est vraiment une super expérience.
Quand tu t’es lancé en solo après Adam Kesher, tu t’es mis à chanter en français, pourquoi ?
Pendant un moment, j’avais un rejet de la chanson française, puis j’ai découvert tout un pan que je ne connaissais pas encore grâce à une compilation du label Dirty, sur lequel est sorti mon premier EP. Elle s’appellait « French Psychedelics » et réunissait des morceaux étranges d’artistes français, datant des années 1970 ou début 1980. J’ai découvert une nouvelle partie de la musique française, très barrée, avec des textes audacieux et très libres. À l’époque je connaissais juste Gainsbourg et Daho, et petit à petit j’ai commencé à écouter des artistes moins connus comme Alain Kan et Dashiell Hedayat, et les premiers morceaux de Brigitte Fontaine et Areski. Je trouvais ça très excitant, du coup je me suis dit : « Pourquoi ne pas essayer de combiner une musique contemporaine avec une manière d’écrire qui aurait hérité de ces années 70 ? ».
Je ne suis pas parfaitement bilingue en anglais, et j’avais aussi l’ambition d’écrire des textes plus personnels, avec davantage de figures de style. Avec Adam Kesher, il y avait aussi ce truc très années 2000, où on pouvait communiquer avec des mecs à Londres via Myspace sans avoir à passer par un tourneur, ou un label. On se disait : « Si on chante en anglais, on va pouvoir tourner dans le monde entier ». Finalement, je suis un peu revenu sur cette idée. Il y a tellement de groupes anglo-saxons… Et c’est compliqué de faire son trou quand tu n’es pas sur place. À part Phoenix qui a vraiment explosé, les groupes français qui se sont bien exportés sortent plutôt des morceaux où il y a peu de phrases, comme Air ou Justice.
Et si on garde l’idée d’une tournée internationale en tête, le français jouit quand même d’une sorte d’aura. Les Anglo-Saxons adorent Gainsbourg, ou encore Dutronc. Et puis j’aimais bien le challenge. C’est moins musical, c’est moins facile et donc ça pousse à faire des trucs assez tordus avec la langue. Quand je cherche quelle voix poser sur une production, je chante parfois en yaourt, et même si je ne prononce pas de vrais mots, les sonorités sont souvent anglaises. Du coup je me retrouve avec mon ébauche de morceau en yaourt, j’essaie de coller des paroles par-dessus et je me rends compte qu’il y a très peu de mots français qui ont ces sonorités, et qui claquent. Donc des fois, le mot qui correspond est un terme auquel je n’aurais a priori pas pensé, et donc je construis un texte autour, c’est assez drôle.
En parlant de tes textes, tes paroles parlent parfois de sexe de manière directe et explicite, comme dans « Le Prince Noir » où tu dis : « Elle se baisse lentement, tu lèves les yeux en attendant de sentir l’humidité de sa bouche ». C’est assez rare dans la variété française…
Il y a un truc qui m’a toujours légèrement dérangé dans les paroles françaises. Comme c’est une langue littéraire, j’ai l’impression qu’il y souvent une volonté de créer du lyrisme et de la poésie de manière un peu ampoulée. Ça fait un peu première L. J’avais vraiment envie de prendre le contre-pied de ça dans un langage très direct, très littéral, qui ne soit pas dans les ornementations. Et puis j’avais envie d’être assez narratif, que le texte soit comme une petite nouvelle qui serait compressée dans le format d’une chanson. C’est quelque chose que j’ai de plus en plus développé au fur et à mesure, même si après j’ai écrit des morceaux un peu plus statiques, où je décortiquais une image, ou encore un geste. Concernant l’aspect assez cru du texte dans « Le Prince Noir », d’ordinaire on retrouve plutôt ça dans le rap, dans un autre style. Mais ça ne me paraît pas très subversif, car la plupart des gens parlent assez facilement de cul entre eux.
« Cavernes est mon album le plus personnel. »
Tu as sorti ton premier album Saltos en 2015 : quel a été son impact sur ta carrière, avec le recul ?
Je l’ai composé avec la volonté de faire quelque chose de très pop, en forçant un peu son côté accessible, parce que c’était une période où je voulais essayer ça. Finalement, il n’a pas eu un gros succès populaire mais un bon succès critique, et après coup j’ai eu envie d’aller vers quelque chose de plus personnel. De toute façon, on avance forcément en tâtonnant. Je me suis dit que ce que je préfère ce sont des morceaux comme le « Prince Noir », qui ont cette dimension narrative, et dérivent vers une sorte de fantastique absurde. J’aime les formats un peu déstructurés, assez long, couper le refrain…
Les morceaux de ton dernier LP, Cavernes, allient chanson française et musique de club. Qu’est-ce qui te séduit dans l’univers des boîtes de nuit ?
J’avais des problèmes de sommeil quand j’étais petit, je faisais beaucoup de cauchemars, j’étais un peu insomniaque. Quand j’ai eu l’âge de sortir, je me suis dit que c’était une bonne manière d’occuper mes nuits. Ce que j’aime bien dans le club, c’est la musique bien sûr, mais c’est surtout le très fort volume qui t’emmène dans une sorte de transe, et toute la marginalité qui est liée à la nuit.
Pourquoi avoir appelé l’album « Cavernes » ?
C’est mon album le plus personnel, et l’idée c’était surtout de voir la caverne comme une intériorité, comme quelque chose de viscéral. Je me disais que « Cavernes » c’était pas mal, car ça évoque quelque chose de minéral, et en même temps c’est un lieu de naissance de l’art et de la pulsion artistique. Et puis « Cavernes » au pluriel, ça évoque des dédales, un côté labyrinthique qu’on retrouve dans certains morceaux.
L’album a une dimension assez anxiogène et angoissante, pourquoi lui donner cette tonalité ?
Je suis quelqu’un d’assez angoissé de manière générale, et je pense qu’on vit une époque angoissante. J’essaie de sublimer ces choses, sans me complaire dedans en faisant de la musique pour dépressifs, comme les revivals 80’s. L’idée c’est plus faire de faire de l’inquiétude une force, de voir la réalité de manière inquiète, et d’essayer de construire à partir de ça.
Tu as composé ton album depuis ton home studio, ce qui te permettait d’avoir du temps pour expérimenter. Comment es-tu parvenu à mettre un point final aux morceaux et au LP, et à résister à la tentation de toujours tester de nouvelles choses ?
C’est important d’avoir quelqu’un avec qui dialoguer. Mon dernier disque, c’était la première fois que je produisais entièrement un projet sans passer par des studios professionnels. Je l’ai fait avec un pote installé à Berlin, Strip Steve, qui fait de la musique électronique depuis longtemps. C’est vraiment par le fait de confronter les idées que tu peux parvenir à sentir qu’un morceau est fini. On a vraiment fait l’album en ping-pong entre son studio et le mien. Tout seul des fois, tu peux te laisser embarquer sur de fausses pistes sans que personne ne te dise clairement : « non, ça c’est de la merde ». Tu te mets à bosser deux jours entiers sur un truc, et un matin tu te réveilles et tu réalises que c’est pourri. C’est un peu dur, il y a souvent des fois où je me sens un peu perdu… Mais je pense qu’avec Théo (Strip Steve, ndlr) on avait une bonne manière de procéder.
« L’idée d’écrire un roman m’excite vraiment. »
« Nevada » parle d’une célèbre poétesse qui aurait abandonné la gloire pour disparaître au pied de la Sierra Nevada, « Walhalla », un autre titre de Cavernes, est un terme qui renvoie au paradis des guerriers nordiques… D’où vient ton obsession pour les mythes et les légendes, que tu réinterprètes dans tes chansons ?
Il suffit d’un mot, d’un nom de lieu pour déclencher quelque chose dans l’imaginaire. J’aime quand il y a un terme qui revient dans un morceau, évoquant un ailleurs, ou quelque chose de fantastique qui peut souvent servir de vecteur du fantasme. En l’occurrence, l’histoire de « Nevada » est surtout un clin d’œil à un bouquin de Roberto Bolaño que j’adore, Les Détectives sauvages. Il raconte l’histoire de jeunes qui écrivent de la poésie à Mexico, puis se mettent en tête de retrouver une poétesse qui a rédigé un seul poème et vit recluse dans un désert. Il y a une dimension mythique, c’est une sorte de métaphore de la source de l’inspiration comme quelque chose d’inaccessible et de mystérieux.
Tes textes racontent souvent une histoire, tu pourrais aussi avoir un bon profil d’écrivain. Je ne serais pas surpris que tu sortes un roman un jour, est-ce que tu y as déjà pensé ?
J’essaie d’en écrire un en ce moment. Ça fait longtemps que j’écris, souvent pour des amis, notamment des préfaces dans des revues. L’idée d’écrire un roman m’excite vraiment, mais je n’ai encore jamais réussi à en terminer un, malgré les nombreux livres que j’ai entamés. En écrivant des chansons, j’ai vraiment été habitué au format court, et à résoudre les enjeux dramatiques très rapidement.
De quoi parlent tes romans ? Ont-ils le côté surréaliste qu’on retrouve dans les paroles de tes morceaux ?
Oui, c’est assez proche de ce que je chante. En l’occurrence, dans ce que j’essaie d’écrire, il y a des choses qui renvoient aux textes des chansons de Cavernes ; je trouve ça bien qu’il y ait des correspondances entre les choses que je fais.
En sortant de ton master en « Philosophie et Critiques Contemporaines de la Culture », tu avais lancé le site « Dératisme » exposant des œuvres récentes sur un support digital, puis tu as ensuite intégré l’ancienne résidence artistique du Palais de Tokyo en 2012, avant de collaborer avec de multiples artistes. As-tu le sentiment que le fait d’être aussi lié à l’univers de l’art contemporain, souvent très conceptuel, influence ta démarche musicale ?
Quand j’étais au Palais de Tokyo, le fait de voir comment fonctionnait les artistes visuels au quotidien m’a permis de repenser la manière de travailler la musique. Avant, j’avais sûrement une approche moins conceptuelle. J’avais cette idée que la musique était quelque chose de très spontané, qu’on porte en nous et qui sort instinctivement. Même si cette dimension instinctive est restée, ça m’a permis de pousser les choses un peu plus loin concernant l’écriture. Je devenait un peu plus conscient de ce que je faisais, et ça m’a permis de me diriger vers des ambiances plus étranges, qui ne me seraient pas venues à l’esprit en première instance.
L’année dernière, tu as sorti Un Album de collection, dont chacun des titres était inspiré par une œuvre d’art. Comment retranscrire une œuvre visuelle en musique ?
Il n’y a pas de correspondance et d’équivalence univoque, et donc ce qui m’intéressait, c’était de prendre une œuvre plastique et de trouver des stratégies pour écrire à ce sujet, de varier les angles d’attaque. Parfois, le texte colle à la thématique de l’oeuvre ; d’autres fois c’est plutôt une sorte de métaphore, ou d’analogie.
Tu as par ailleurs écrit une pièce sonore sur la Villa Noailles, intitulée « L’Hôte », dans le cadre du Festival de Hyères. Comment cette collaboration est-elle née ?
J’y avais joué l’année précédente pour le festival. Jean-Pierre Blanc, le directeur de la Villa, avait vraiment aimé le live, et m’a proposé de repasser. L’année suivante, je lui ai dit que je voulais écrire sur cette architecture, qui est assez particulière, et incarne symboliquement une période du modernisme dans l’art. C’est un bâtiment qui a failli être détruit, et qui est passé de quelque chose de très élitiste à un centre d’art ouvert à tous : en un un sens, on peut y lire la démocratisation de l’art durant le XXème siècle. Et il y avait à nouveau différentes formes de mythologies autour de la villa, des artistes illustres y sont passés… J’ai donc proposé ce projet à Jean-Pierre Blanc, il trouvait ça super et m’a invité quelques semaines à la Villa pour que je puisse écrire ce texte.
As-tu déjà commencé à travailler sur de nouveaux morceaux ?
Pas vraiment, je suis actuellement dans une phase où je renouvelle mon set up, car je ne bosse qu’avec des machines électroniques : des boîtes à rythme, des synthés, et aussi sur ordinateur. J’essaie de renouveler mon dispositif pour chaque nouveau projet, c’est plus excitant. J’écoute aussi de la musique pour trouver de nouveaux samples, j’en suis à un stade préparatoire. C’est important de passer du temps entre deux disques pour renouveler son inspiration, et aussi avoir le temps de prendre du recul sur ce qu’on a fait.