Texte : Naomi Clément.
Photo : Lous & the Yakuza par Byron Spencer pour Magazine Antidote : PRIDE.
19/09/2019
Une balade emplie de spleen, qui nous a donné envie d’en savoir plus sur ce nouveau visage de la scène musicale belge.
À l’écoute de sa musique, Lous & the Yakuza paraît porter en elle quelque chose de profondément sombre et mélancolique. « Tout ce qui m’entoure m’a rendu méchante / Quand je suis triste je chante / Si je pouvais je vivrais seule », chante-t-elle sur son premier single « Dilemme », disponible ce vendredi 19 septembre. Pourtant, lorsque nous la retrouvons le jour de notre rencontre, dans l’enceinte d’un studio photo de la plaine Saint-Denis, l’autrice et chanteuse de 23 ans se révèle on ne peut plus lumineuse. Décomplexée et enthousiaste, elle nous fait part d’un sujet qui la préoccupe : sa nouvelle paire de Nike Air Force 1, une basket à la semelle imposante, aux tons irisés, qui constitue sa toute première acquisition en matière de sneakers. « Je n’étais vraiment pas sûre de mon choix, parce qu’à la base je ne suis pas du tout branchée sneakers… et là, clairement, j’ai l’impression d’avoir des pieds immenses », glisse-t-elle dans un rire.
Joignant constamment le geste à la parole, Lous parle vite, avec une intensité déroutante. « Hier, j’ai peint 14 toiles… quand je fais un truc, je m’y mets à fond, explique-t-elle. Tout ce que je fais, je le fais avec passion. Depuis toujours. » Installée en Belgique depuis ses 15 ans après avoir fui la guerre au Congo, son pays natal, Marie-Pierra (de son prénom) grandit bercée par les albums d’artistes au verbe poétique et percutant : Cesaria Évora, Etta James, Bob Marley, le Wu-Tang Clan, ou encore Ikue Asazaki (« ma chanteuse préférée », confie-t-elle). Très vite, elle se passionne pour les mots, l’écriture et la chanson. « Dès que j’ai su écrire mon nom, j’ai commencé à écrire, se souvient-elle. J’ai rédigé mes premiers textes à l’âge de 7 ou 8 ans. La musique, c’est vital. » Littéralement. À 19 ans, Lous est agressée, mise à la porte de chez elle, se retrouve à la rue pendant de longs mois et tombe gravement malade. Elle se réfugie alors dans un studio de musique, où elle dort, vit, et surtout chante, se produit, enregistre – la musique devient son moyen de survie.
En trois ans, elle crée en secret 52 titres et chante sur des centaines de scènes à travers la Belgique. Une ténacité hors norme qui attire l’attention de Miguel Fernandez, son éditeur, qui lui décroche un contrat avec le label Columbia France (Sony Music) en juin 2018. À travers « Dilemme », Lous & the Yakuza nous ouvre les portes de son univers intrigant et livre un aperçu de Gore, son premier album conçu avec la participation du producteur espagnol El Guincho (Rosalía), à paraître ces prochains mois. Rencontre.
ANTIDOTE. Tu as composé des dizaines de morceaux. Pourquoi avoir choisi « Dilemme » comme premier single ?
LOUS & THE YAKUZA. C’est celui qui explique le mieux ma vie, ma personnalité. Je suis constamment partagée : entre le bien et le mal, la joie et la peine, le blanc et le noir… Dans la sexualité aussi : hétérosexuelle, lesbienne… je suis dans un dilemme constant, et je suis toujours dans les extrêmes. La zone grise, je ne sais pas ce que c’est. Donc « Dilemme » représente ça, mon état d’esprit au quotidien.
La chanson raconte aussi un passage de vie personnel. Quand j’ai signé mon contrat, je me suis soudainement retrouvée à côtoyer un entourage totalement différent de celui avec lequel j’avais jusqu’alors évoluée, qui était plutôt très street. Et cet entourage-là l’a super mal vécu, parce que tout à coup je représentais quelque chose de très puissant pour eux, et qu’ils avaient placé énormément d’espoir sur moi. Ils ont mis leur propre espoir sur ma vie à moi, ce qui n’était pas très sain. C’est ce que raconte cette chanson. C’est pour ça que je dis notamment : « Au plus j’ai la haine, au plus ils me font de la peine, ce n’est pas un drame si je ne fais plus la fête. »
« Les yakuzas représentent tous les gens avec qui je travaille mais qu’on ne voit pas forcément sur le devant de la scène »
Dans ce morceau tu dis aussi : « Ma peau n’est pas noire, elle est couleur ébène. » Est-ce que le fait que tu sois une femme noire née au Congo est quelque chose que tu tiens à mettre en lumière ?
Ah oui, de ouf ! Parce qu’en termes de chanteuses noires ici, à part Aya Nakamura… [elle lève les yeux au ciel, ndlr]. Ce serait bien de pouvoir en citer une deuxième. Il y en a des tonnes et des tonnes qui chantent super bien, qui ont un talent de dingue. Malheureusement, ce ne sont jamais des femmes de ma complexion qui sont mises en avant. Et c’est pour ça qu’à mon avis, le succès d’Aya Nakamura surprend autant. Ça n’était jamais arrivé en France avant elle.
Photo : Lous & the Yakuza par Byron Spencer pour Magazine Antidote : PRIDE.
« Je n’ai qu’un objectif, c’est de faire de la musique »
Du coup, t’as un petit challenge à relever ?
Ouais [rires] ! Mais en vérité, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. C’est pour ça que je ne me fais pas de bile. Et si je revendique autant le fait que je sois une femme noire et que je vais y arriver, c’est parce que beaucoup de femmes noires pensent qu’elles ne vont pas s’en sortir. Parce qu’il y a un manque de représentation. Je dis souvent que si on prend la société et qu’on la met dans l’ordre, on a d’abord l’homme blanc, puis la femme blanche, puis c’est l’homme noir, et enfin tout en bas, la femme noire. Il n’y a pas plus bas que la femme noire. On est au fin fond. Et en plus, moi, on m’a faite bien noire [rires] ! Ma famille est claire en plus, mais je suis la seule noire, on riait souvent de ça d’ailleurs… Mais je me dis que si on m’a faite aussi noire, c’est qu’il y a une raison. C’est qu’il y a un flambeau à porter.
Et pourquoi ce nom de scène, Lous & the Yakuza ?
Les yakuzas représentent tous les gens avec qui je travaille mais qu’on ne voit pas forcément sur le devant de la scène, ceux qui restent dans l’ombre. Des producteurs aux beatmakers, de la maison de disque aux musiciens en passant par mes potes qui m’encouragent… c’est une façon de leur donner du crédit. Un peu à la façon d’une Florence & the Machine, ou de Bob Marley & The Wailers. Parce que j’ai beau être auteure, interprète, compositrice, écrire et réaliser mes clips et mon album, je suis énormément entourée.
Peux-tu nous parler de Gore, ton premier album ?
C’est une sorte d’autobiographie énervée [rires] ! C’est pour ça qu’il s’appellera Gore, parce que j’y raconte toutes les épreuves douloureuses que j’ai traversées. Ceci dit, je n’ai pas fait ça dans un but thérapeutique du tout, je n’ai jamais écrit en me disant : « Ah là, ça va me soigner si j’écris. » J’écris parce que j’ai besoin de le faire. Je pense que j’ai été énormément traumatisée, mais que la vie m’a forcée à être plus intelligente, plus rapide que les autres, à cause des événements durs qui se sont accumulés : les agressions, être SDF… Je ne sais pas du tout quelle force Dieu m’a donné, mais je crois que j’ai un fort esprit de détermination, et que c’est ce qui m’a sorti de toutes les galères par lesquelles je suis passée. Je n’ai qu’un objectif, c’est de faire de la musique. Et de réussir.
Photo : Lous & the Yakuza par Byron Spencer pour Magazine Antidote : PRIDE.
Lous & the Yakuza sera la création des Trans Musicales de Rennes en décembre prochain.