Depuis plusieurs mois dans les médias et sur les réseaux sociaux, les pop stars se confient sans filtre à leurs millions de followers sur les combats qu’ils mènent contre le mal-être qui les habite. Décryptage d’un phénomène étonnant, semblable à un coming out, qui démocratise les troubles d’une génération ultra-connectée.
Rien ne va plus en Amérique chez les superstars. Lundi 21 novembre, le rappeur-producteur-styliste Kanye West, victime d’une crise psychotique, est interné de son plein gré (mais néanmoins menotté comme le veut la procédure) en hôpital psychiatrique : une nouvelle choc qui pourtant n’étonne qu’à moitié. Et pour cause, les jours précédant son internement, le rappeur a enchaîné des déclarations déconcertantes lors de ses concerts, affichant son soutient à Donald Trump sous les huées du public, évoquant de présumés tueurs à gages embauchés par Jay-Z pour venir le tuer pour finalement annuler brutalement la fin de sa tournée.
Pendant ce temps, le canadien Justin Bieber, visiblement très nerveux face à l’enthousiasme (voire l’hystérie) de certains de ses fans, dérape à Barcelone : à bord de sa voiture roulant au pas et fenêtre ouverte, il assène un violent coup de poing à un de ses Belieber un peu trop tactile qui se retrouve la bouche en sang. Quelques mois plus tôt, Justin confiait à propos de cette proximité avec ses fans sur feu-son compte Instagram : « Je vais annuler mes meet and greets (ndlr : autrement dit ses rencontres avec le public). J’aime rencontrer autant de personnes incroyables mais je termine ces rencontres en me sentant éprouvé et malheureux. (…) Je finis toujours mentalement et émotionnellement épuisé, à deux doigts de la dépression ».
Toujours cette semaine, la chanteuse Selena Gomez (accessoirement ex-girlfriend de Justin) est revenue sur le devant de la scène après plusieurs mois d’absence. Récompensée du prix d’artiste pop-rock de l’année aux American Music Awards, elle raconte : « J’ai dû m’arrêter. J’avais tout pour moi mais j’étais complètement brisée intérieurement. J’ai tout fait pour tenir le coup et ne jamais vous laisser tomber, mais je l’ai trop gardé pour moi, au point de m’oublier. ».
PARLER OUVERTEMENT DE SES PROBLÈMES PERSONNELS POUR ANTICIPER LES SCANDALES
Justin, Kanye et Selena ne sont pas les seuls à traverser des périodes de crises délicates à gérer tant sur le plan médical que médiatique. Comme eux, Kid Cudi, Adèle, la très jeune Lily Rose Depp, Zayn Malik ou encore Amanda Seyfried ont déclaré souffrir de tocs, de dépression post-partum, d’anorexie, de pulsions suicidaires ou encore de crises d’anxiété sévères. Des troubles divers, complexes mais qui ont tous pour point commun d’être sur-médiatisés du plein gré de la star (à l’exception de Kanye). À peine dévoilées, de telles déclarations se likent, se sharent, se retweetent. De fait, elles sont devenues un outil de communication majeur face à une génération née un téléphone greffé dans la main.
Mais comment les stars en sont arrivées à parler de leurs troubles pourtant très intimes de manière si décomplexée ? En s’interrogeant sur ces mises en scène savamment orchestrées, on pense d’abord à Britney : la première pop-star occidentale a avoir (plus ou moins volontairement) mis en scène le plus remarquable des burn-out , c’est sûrement elle. Petit rappel historique : en 2007, tandis que Facebook en est à ses balbutiements, la presse à scandale vit ses dernières années folles. Britney est alors fraichement divorcée de Kevin Ferderline, elle traîne avec le crew diabolique Paris Hilton-Lindsay Lohan, égare ses culottes un peu partout sur son passage et souffre d’addiction aux amphétamines, tout ça sous les yeux ravis des paparazzis. Un soir de février, pétage de plomb : elle se rend dans un petit salon de coiffure suivie par une horde de photographes et se rase le crâne avant d’aller se faire faire un tatouage douteux dans la foulée. Les photos feront le tour du monde. Britney va mal et l’affiche sciemment aux yeux de tous avec ces images chocs qui mettront sa carrière d’artiste sur pause pendant un long moment.
TOUT METTRE EN ŒUVRE POUR ÉVITER UN SCANDALE A LA BRITNEY
En 2016, chacun peut désormais s’improviser paparazzo et faire fuiter des images compromettantes qui atteindront plusieurs millions de personnes en quelques clics et retweets. Traquées par tous, les stars ont intérêt à anticiper le scandale et à maitriser de bout en bout leur image, même si cela implique de dévoiler leurs côtés obscurs.
On entre alors dans l’ère du story-telling du mal-être. En effet, en parlant ainsi de leurs faiblesses, les célébrités se montrent entièrement vulnérables et gagnent en humanité. Richard Mèmeteau, professeur de philosophie et spécialiste de la pop culture, explique : « En procédant à une rédemption publique et en affrontant la possible honte du regard des autres, les stars ne peuvent pas transformer leurs faiblesses en force mais elles peuvent du moins la mettre en scène. Si elles ont commis des erreurs, d’une part elles font leur rédemption mais surtout elles disent implicitement « je suis comme vous ». Il poursuit sa réflexion : Il y a malgré tout des troubles qui se disent et d’autres qui se disent moins. Je pense à tous ces artistes qui souffrent sans pouvoir le dire ou sans pouvoir exposer leur maladie car je ne suis pas sûr que cela pourrait les rendre plus forts ». Comment ne pas penser alors à Kanye West ?
« On nous vend ces coming-out comme on nous vendrait un tube musical. »
Dix ans après Britney, les crises des popstars ne sont donc plus synonymes de trash, bien au contraire. Désormais la starlette prend du recul sur ses faiblesses, elle les analyse et les assume publiquement. Le storytelling une fois mis en place prend des allures de stratégie marketing. L’ascension flamboyante de Zayn Malik – ex-membre du boys band One Direction, quand même – en est le parfait exemple. Après s’être confié en juin 2016 sur Instagram à propos de ses très sérieuses crises d’angoisse mais aussi sur son passé d’anorexique, il recueille près de 800 000 likes. Son image lisse du chanteur pour midinettes s’efface peu à peu sans que Zayn ne disparaisse pour autant de la vie médiatique. En effet, quelques mois plus tard il est nommé DA d’une collection capsule de la ligne Versus chez Versace puis fait la Une du Dazed & Confused et du Elle Uk en septembre. On a rarement vu un ex-chanteur de boys band s’émanciper si glorieusement de ses acolytes à mèche et obtenir une crédibilité mode aussi fulgurante.
Il faut dire que ce coming-out d’un nouveau genre touche tout le monde : il n’a ni âge, ni genre, ni couleur, ni orientation sexuelle, il fédère et crée une proximité avec le public. En France, ce mode de narration de carrière est encore peu développé. Pourtant, c’est un élément narratif essentiel pour atteindre le statut de héros et ça, les américains l’ont très bien compris. Le public raffole de ces histoires de jeunes cheesy aux yeux dans le vague qui renaissent de leurs cendres après avoir fait face à des épreuves.
Mais ne doit-on pas voir une forme d’opportunisme dans ces récits ? Richard Mèmeteau va dans ce sens : « Il y a peut-être en effet une forme d’opportunisme dans ces confessions publiques. À une époque par exemple, les troubles dissociatifs de la personnalité faisaient l’objet d’une surexposition médiatique, puis ça a beaucoup moins plu et ça a progressivement disparu des médias. Il y a peut être une hype de la maladie mentale dont il faut se méfier et qui ne durera pas. Il poursuit : C’est clairement un récit d’empowerment pour dire « regardez, je m’en suis sorti, vous pouvez aussi vous en sortir. »
VERS UN DÉSENCHANTEMENT DE LA FIGURE ROMANTIQUE DE L’ARTISTE ?
C’est clair, si on voit dans ces confessions une pure stratégie commerciale, le mythe du génie créatif s’effondre. Il faut dire que dans l’imaginaire collectif le cliché de l’artiste torturé, enclin au spleen et aux addictions, persiste.
Aristote déjà dans l’Antiquité théorisait et fantasmait les artistes expliquant que ces derniers souffrent de ce qu’on appelle « la bile noire », sorte d’équivalent actuel de dépressions, de tocs, de troubles anxieux, de pensées suicidaires ou encore de petites déprimes passagères. Chateaubriand parlera de « mal du siècle », l’expression en jette et elle est tout à fait exacte. Baudelaire, Rimbaud, Nerval, Proust, Wolf, Plath… Tous écriront des chefs d’œuvres abordant ces thématiques qui résonnent encore au 21ème siècle. Dans les faits historiques pourtant, le scénario est moins reluisant : beaucoup sombreront dans l’alcoolisme, l’addiction aux drogues, la dépression sévère ou bien mettront fin à leur jour…
Dans un élan romantique, Richard Mèmeteau poursuit: « Philosophiquement, ces révélations peuvent être intéressantes quand les troubles débouchent sur une forme de génie… Mais là, le mal-être de Zayn Malik n’est pas très inspirant, même si c’est un garçon sûrement adorable. Avant, le génie artistique allait avec une certaine forme de maladie mentale, paye ta folie, fais nous rêver. Quand quelqu’un me dit qu’il est fou et qu’il voit des choses que je ne vois pas, ça me dit que son art a quelque chose de prophétique, de beau, comme dans le cas d’Amy Winehouse. ». La beauté de l’art à l’état brut on la retrouvait aussi chez Dalida, Serge Gainsbourg, Withney Houston, Mike Brant ou encore Kurt Cobain tous aujourd’hui décédés. Seulement, eux n’ont jamais cherché à écrire leur histoire ou même à la raconter, ils se contentaient de la vivre publiquement mais sans la revendiquer, quitte à la brûler par les deux bouts. C’est seulement après, que s’est écrite leur légende. Ici, la logique s’inverse : on écrit la légende pour mieux faire croire au geste artistique et crédibiliser son œuvre.
Richard Mèmeteau ajoute : « Chaque génération a son lot de jeunes torturés mais simplement le traitement est différent. Aujourd’hui ils parviennent à faire liker mais est ce qu’on est vraiment dans la profondeur et dans la sincérité… on ne saura peut être jamais trop.».