Sasha Lane est énigme difficile à résoudre. Avec ses dreadlocks, ses tatouages et son look grunge, elle n’est à priori pas taillée du même bois que toutes les étoiles montantes acclamées à Hollywood. Pourtant, celle que Nicolas Ghesquière a choisie pour incarner le nouveau visage de Louis Vuitton crève l’écran dans American Honey, le dernier film d’Andrea Arnold. Rencontre avec une écorchée tendre.
« Je n’aime pas vraiment parler de moi ». Discrète, Sasha Lane sait le rester. Attablée dans un luxueux salon de l’hôtel Pavillon de la Reine à Paris où elle reçoit la presse, la jeune femme se veut avenante sans être familière, bavarde sans être indiscrète. Elle sourit quand elle le veut, peut s’esclaffer sans pudeur mais sait vite reprendre un air sérieux quand il est de rigueur.
Quelques mois auparavant, elle est remarquée montant les marches de Cannes, irrésistible en robe noire Louis Vuitton. Andrea Arnold y présentait alors son dernier film American Honey et, par la même occasion, introduisait à la face du monde le visage de celle qui, du haut de ses 20 ans (elle en a aujourd’hui 21), incarne l’héroïne désenchantée de son histoire : une adolescente à peine majeure qui plaque tout pour partir vivre l’aventure de sa vie. Du sur-mesure.
Photo : extrait du film American Honey d’Andrea Arnold.
DU SPRING BREAK AU MIDWEST
Rien ne prédestinait la jeune Sasha au cinéma. Née à Houston d’une mère néo-zélandaise et d’un père afro-américain, elle grandit à Dallas avant de partir étudier la psychologie à l’Université du Texas. Quand elle n’est pas en cours, Sasha divise son temps entre les terrains de basketball, les cahiers de poésie et les rangs du restaurant mexicain où elle travaille comme serveuse. « Je n’avais jamais pensé à l’acting, confie-t-elle, quand j’étais plus jeune, je regardais les acteurs s’échanger des regards et je me demandais si j’arriverais à être crédible, mais ça s’arrête là ».
Loin, très loin des paillettes d’hollywood, elle rêve plutôt d’une vie calme : « je veux juste chiller, j’ai toujours été comme ça », s’amuse-t-elle. Un talent scout lui lance pourtant entre deux services au restaurant : « tu as une tête à faire du cinéma ». Des mois plus tard et alors qu’elle fait la fête avec ses amis en Floride pour le spring break, elle est abordée par Andrea Arnold qui lui propose le rôle principal de son prochain film. « Andrea, c’est un peu ma fée marraine, elle m’a donné une opportunité qui a complètement changé ma vie, explique-t-elle. Il y avait cette énergie, cette connexion entre nous. Avec elle, je me sens unique et j’ai le sentiment qu’elle me comprend ».
« Je n’avais jamais pensé à l’acting. Quand j’étais plus jeune, je regardais les acteurs s’échanger des regards et je me demandais si j’arriverais à être crédible, mais ça s’arrête là. »
Si Andrea Arnold n’hésite pas à proposer le rôle à une jeune novice, c’est parce qu’elle voit en Sasha les mêmes traits de caractère propres au personnage de Star qu’elle doit interpréter : toutes deux sont insouciantes, vulnérables, singulières et d’une certaine manière un peu naïves. « Je pense que nous nous ressemblons beaucoup. Toutes deux, nous n’avons rien à perdre et essayons de faire quelque chose de bien de notre vie, d’explorer, d’être libre ».
Le film suit donc les aventures de Star, une jeune fille de 18 ans embourbée dans une relation dysfonctionnelle avec un homme et ses deux enfants. Alors qu’elle tente de subvenir aux besoins de tous, elle fait la rencontre de Jake (Shia Labeouf) et son équipe de vendeurs de magazines qui parcourent le midwest au porte-à-porte. S’en suit une longue épopée dans une Amérique aussi belle que terrifiante en compagnie d’une bande de magnifiques marginaux qui, chacun à leur manière, fuient les problèmes du quotidien. On pense à Jack Kerouack et sa Beat-Generation, aux Kids de Larry Clark. Il s’agit ici autant d’être libre que d’être perdu.
UNE FUTURE GRANDE ?
De gauche à droite : Sasha Lane en robe Louis Vuitton par Nicolas Ghesquière au festival de Cannes 2016, campagne Series 6 printemps-été 2017 de Louis Vuitton par Bruce Weber.
Récompensé du Prix du Jury au Festival de Cannes, le film donne aussi à ses protagonistes l’occasion de découvrir l’euphorie d’une montée des marches. Pour Sasha Lane, c’est une révélation. Elle apparaît flamboyante en robe signée Louis Vuitton par Nicolas Ghesquière. Elle nous raconte : « J’ai rencontré l’équipe Louis Vuitton pendant le festival. Ils m’ont donné une robe à porter et ont envoyé une photo à Nicolas, il a adoré ! »
À tel point que le directeur artistique de la maison finit par lui demander de devenir l’un des visages de sa prochaine campagne aux côtés d’Adèle Exarchopoulos, Michelle Williams et Jennifer Connolly. « Oui, c’est vraiment dingue !, lance la jeune femme qui ne cache ni sa joie ni son étonnement.
Un film au succès critique, une campagne avec l’une des plus prestigieuses marques au monde. De quoi lui assurer un destin déjà tout tracé ? Pas si sûr. Au petit jeu de la médiatisation, Sasha préfère passer son tour. « Tout n’a pas besoin d’être dit », assure-t-elle. D’autant que la jeune femme a déjà été gâtée de son petit lot d’Hollywood drama avec la soudaine médiatisation de sa courte idylle avec Shia Labeouf. Quand on lui demande comment elle gère sa nouvelle exposition, elle ne cache pas ses difficultés : « Je craque souvent… J’essaye de ne pas trop rentrer dans ce système parce que ça me rend vraiment anxieuse. Je veux juste me détendre et faire mon truc, c’est tout. »
Et son truc, maintenant, c’est le cinéma : « Je suis impatiente de refaire un nouveau film, mais on ne sait jamais vraiment quand ce genre de chose arrive ». Il se murmure pourtant qu’elle pourrait très prochainement partager le haut de l’affiche avec Chloë Grace Moretz pour le film The Miseducation of Cameron Post de Desiree Akhavan, l’histoire d’une jeune fille forcée de suivre une thérapie pour lutter contre ses pulsions homosexuelles au début des années 90.
Si Sasha Lane n’a pas vraiment réfléchi à un plan de carrière, elle admet volontiers vouloir gravir les échelons, sans jamais se fourvoyer : « Tout ce que je veux avant tout, c’est de l’amour et de la bienveillance ». Humble, en plus de ça.
Le film American Honey de Andrea Arnold sort en salles le mercredi 8 février 2017.