Qui est Patrick Weldé, le photographe du nouveau numéro d’Antidote : Earth ?

Article publié le 12 février 2018

Texte : Alice Pfeiffer

Patrick Weldé conjugue nature et naturel à travers ses clichés depuis ses premiers projets, menés dans son Alsace natale, où il photographiait ses proches dans leur intimité.

La nature, celle qui nous habite, celle qu’on habite. Celle qu’on fantasme, celle que l’on recrée – sur une ration de balcon ou que l’on va trouver dans un parc – ; celle de nos corps changeants, et de ceux que l’on découvre. Cette proximité entre intimité corporelle et organique, entre faune et flore, entre notre individualité et son habitus : ce continuum entre le monde extérieur et celui qui nous habite déroule un fil d’Ariane à travers le travail de Patrick Weldé, qui signe cet Antidote : Earth.

Âgé de 25 ans, ce natif d’Alsace grandit proche de la nature – pas celle que l’on montre habituellement sur les cartes postales rayonnantes, aux paysages passés au peigne fin, mais un monde rural, investi pour la vie plutôt que pour la représentation. Il étudie le cinéma puis l’histoire de l’art, avant de se lancer dans le stylisme photo. Riche de ses décalages, ses rencontres inattendues, la poésie douce et sans détours de Patrick Weldé transpose le fantasme là où ne pensait pas le trouver. En nous, ou à l’horizon.

ANTIDOTE. Vous avez commencé votre carrière en tant que styliste avant de vous lancer également dans la photo, d’où vous vient cette double casquette ?
Patrick Weldé. Au fil des mes études, tous mes projets croisaient la mode, la photographie et les corps, et j’ai eu envie de faire du stylisme photo plutôt que du stylisme pur. L’aspect vestimentaire m’intriguait et rentrait toujours dans mes compositions quelles qu’elles soient. Je ne cherchais pas tant à opérer dans un contexte de mode classique, mais avec un regard ou dans un contexte de documentaire, entre autres. Une de mes premières séries a été sur le thème de la techno lors d’une parade par exemple. Je continue à faire du stylisme photo ; j’aime réaliser des images qui soient à la fois authentiques et avec des silhouettes construites.

Comment êtes-vous tombé dans la photographie ?
Je fais de la photo depuis 2010 ; je prenais tout simplement plaisir à photographier mes amis, et la peur de les perdre me hantais. Mon premier cliché était à l’argentique, de ma meilleure amie assise sur des toilettes et qui riait à pleine voix. Elle était malade et j’étais inquiet. Cette photo m’a donné envie de documenter mes proches, les gens que j’aime, ma famille. C’est sans doute important pour moi de laisser une trace de notre époque, j’adore les albums photos, le papier, et l’idée de regarder des images sur un écran m’angoisse énormément.

« J’ai commencé par lancer un blog où je prenais mes ami(e)s nu(e)s dans des situations banales et intimes. »

J’ai commencé par lancer un blog où je prenais mes ami(e)s nu(e)s dans des situations banales et intimes : sous la douche, en train de changer un tampon. Je composais des chapitres que je postais chaque mois en ligne. À cette époque je vivais dans un village, et certains parents ont été choqués, ils n’ont pas compris la démarche. J’ai choisi de suspendre le site par respect vis-à-vis d’eux. La sexualité, l’intimité, ma proximité avec mes amis leur semblaient étranges, mais pour moi, c’est tout à fait naturel, cela reflétait surtout une aise entre nous.

Qu’essayez-vous d’exprimer par le biais de la photographie ?
Je veux montrer la vie, tout simplement. Ces dernières années je me suis beaucoup penché sur mon origine et mon héritage – mes racines alsaciennes emportées avec moi à Paris, qui demeurent le fondement de ma personne. Quand j’étais petit, je m’ennuyais dans la région où je grandissais et craignais que ma vie toute entière ressemble à un long train-train. Aujourd’hui, je trouve le rythme et l’ambiance extrêmement apaisants et j’y retourne tous les mois. L’aspect naturel me manque, les vaches, les champs de tournesols. On peut se baigner, se rouler dans la boue. J’ai des souvenirs d’enfance assez magiques, on construisait des maisons et des jeux avec deux bouts de tissus, on jouait dans les champs. Aujourd’hui, les plus jeunes sont chez eux, devant une console, ça me paraît dommage, j’aimerais qu’ils voient plus de cette beauté.

Qu’avez-vous cherché à explorer dans ce numéro d’Antidote ?
J’ai pour habitude de shooter des gens qui font partie de ma vie. Avec Antidote, j’ai shooté plus de mannequins qu’habituellement, mais avec le même naturel dénué de poses, dans une vraie spontanéité et un environnent brut, qui m’ont permis de mélanger l’imagerie de mode et un sentiment d’authenticité. C’est un équilibre que j’aime beaucoup. C’est d’ailleurs ce qui m’avait touché dans le numéro « Borders ».

Quels lieux avez-vous choisi de prendre en photo, et pourquoi ?
Cela a été un défi de photographier la nature en plein hiver et en plein Paris. Les parcs sont tous artificiels dans les villes, mais je voulais redonner un caractère beau et fier aux paysages. On est allés au Bois de Boulogne, aux Buttes-Chaumont, mais aussi en banlieue parisienne, notamment dans le village de Goussainville, qui est aujourd’hui abandonné suite à la construction d’un aéroport environnant. Les rues sont désertes, les maisons vides, il y a des champs, ça se rapprochait finalement de ce que je voyais chez moi. On a également voyagé au Maroc, en Normandie, en Alsace, dans des quêtes d’ambiance très différentes.

Le Maroc est bien différent de l’Alsace : comment avez-vous montré une autre facette de ce pays touristique ?
Le Maroc a été une toute autre expérience, j’étais surpris de voir à quel point des personnes rencontrées spontanément étaient prêtes à jouer le jeu et s’enthousiasmer pour un stylisme particulièrement travaillé. Nous ne cherchions pas de lieux particuliers, nous ne sommes pas partis à la recherche de dunes ou de locations précises, mais avons fonctionné au gré du hasard, en van, choisissant tout simplement de nous arrêter quand un paysage nous plaisait. Je garde un très bon souvenir d’une ruelle que nous empruntions chaque matin lors de notre séjour. Elle mélangeait différentes odeurs : d’animaux, de fumier, et de sucre.

Qu’avez-vous voulu montrer de la nature, pour ce numéro Earth ?
Je ne sais pas expliquer mon rapport à la nature, j’y ai grandi et durant toute mon enfance c’était normal pour moi d’être au milieu de ces espaces. J’ai cherché des lieux vastes, neutres, ou l’humain n’intervient pas, et qui m’apaisent. On s’y sent libre et les possibilités semblent infinies.

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