Qui est Mabel, l’étoile du R’n’B anglais ?

Article publié le 27 novembre 2017

Photo : Mabel
Texte : Maxime Retailleau

Avec seulement un EP et une mixtape à son actif, Mabel s’impose déjà comme l’une des nouvelles figures incontournables de la scène R’n’B anglaise.

Suite à la sortie du clip de Finders Keepers cet été, Mabel a intégré le top dix des charts en Angleterre grâce à ce single à la fois lascif et uptempo, à mi-chemin entre pop et R’n’B. Un démarrage en trombe pour l’artiste de 22 ans avant la sortie de son premier album, la propulsant comme l’une des figures de proue d’une nouvelle scène rhythm and blues anglaise en pleine effervescence, qui compte aussi Jorja Smith, Ray BLK, ou encore IAMDDB dans ses rangs. Sortie de l’ombre de ses parents, la chanteuse suédoise Nenneh Cherry et Cameron McVey (l’un des producteurs de Massive Attack), Mabel rayonne d’une assurance inébranlable, et s’apprête à son tour à marquer l’histoire de la musique.

Antidote. Vous souffriez de troubles anxieux quand vous étiez enfant. La musique a t-elle été votre principale arme pour lutter contre ce problème, et prendre davantage confiance en vous ?
Mabel. Oui, mes parents m’ont appris comment transformer tout cette énergie négative en quelque chose de positif à travers la musique. En grandissant entourée d’individus créatifs, j’ai découvert qu’ils sont nombreux à souffrir de dépression et d’anxiété, mais qu’ils parviennent à transformer leurs problèmes en art. Je me suis dit que je pouvais en faire autant.

Vous avez écouté beaucoup de R’n’B des années 1990 et 2000 en grandissant. Quels étaient vos artistes favoris ?
Lauryn Hill, Aaliyah, Destiny’s Child, Timbaland, et si on avance jusqu’aux années 2000, je citerais aussi Justin Timberlake.

Après avoir grandi à Londres, vous avez déménagé en Suède où vous avez intégré une école de musique pour adolescents. Est-ce à ce moment là que vous vous êtes vraiment passionnée pour la musique et la composition ?
La musique a toujours été essentielle pour moi, dès mon plus jeune âge mes parents m’ont appris à jouer au piano. Je tenais un journal intime durant mon enfance, c’était une relation que j’entretenais avec moi-même, et j’avais un rapport similaire avec la musique jusqu’à mes 18 ans, même quand j’étais à l’école.

Vous semblez vous être ensuite complètement connectée à l’énergie de Londres lorsque vous y êtes retournée à 18 ans.
Oui, j’y suis revenu au bon moment parce que le R’n’B anglais, ses scènes hip-hop et grime ont l’attention du monde entier actuellement. J’ai le sentiment de faire partie de cette vague, c’est une chance incroyable.

« Je suis trop fière pour demander de l’aide à mes parents pour quoi que ce soit, je veux me prouver à moi-même plus qu’à quiconque que j’ai mon propre talent. »

Quelques mois après votre retour, vous êtes apparue dans le clip de Shutdown de Skepta. Comment ça c’est passé ?
Je n’avais pas encore sorti de musique, mais Grace LaDoja (qui travaille maintenant avec moi en tant que directrice artistique) m’a repérée sur une photo d’i-D où je posais comme mannequin, alors que je n’avais jamais fait ça auparavant, et elle a cherché à me contacter. Elle y est parvenu et m’a demandé d’apparaître dans la vidéo, mais je me disais « Je ne sais pas trop… c’est un clip de rap, qu’est-ce qu’ils vont me demander de faire ? ». Puis j’ai regardé ses précédents projets, ils étaient cool, et j’ai décidé d’y aller – d’autant que je ne connaissais pas encore grand monde à Londres, parce que je n’y vivais pas depuis longtemps. C’est une ville très dure quand on ne connaît personne, tout fonctionne par cliques, et j’essayais d’intégrer la sphère musicale mais je ne voulais pas passer par mes parents. Je me suis rendu sur le tournage du clip et il a constitué une étape importante de mon parcours, c’est là que j’ai rencontré Grace et beaucoup d’autres gens. Ils portaient de grandes boucles d’oreille, des survêtements, des cheveux tirés en arrière, je me suis complètement reconnue dans ce style alors qu’en Suède je n’avais pas adhéré à la mode scandinave, je m’habillais différemment et je ne me sentais pas à ma place.

Avez-vous maintenant le sentiment de faire partie d’une clique avec Jorja Smith, Stefflon Don ou encore Ray BLK ?
Oui, on s’aime et on se supporte les unes les autres, alors que l’histoire de la musique est parcourue d’histoires de femmes qu’on a dressées les unes contre les autres. C’est une chance d’avoir des copines qui traversent un parcours similaire au sien, parce que c’est incroyable d’être chanteuse mais ça implique de mener un mode de vie qui peut paraître étrange. Quand j’ai expliqué à certains amis que j’allais à Paris pour une seule journée afin de faire des interviews, ils m’ont dit qu’ils trouvaient ma vie vraiment bizarre, parce qu’eux devaient se rendre à l’école ou au travail.

Le premier single que vous avez sorti, Know Me Better, a été sélectionné pour passer à la radio. Vous attendiez-vous à ce qu’il connaisse le succès ?
Non, j’étais même très nerveuse à l’idée de ce que les gens pourraient en penser. Je l’avais posté sur Soundcloud parce que j’avais besoin de sortir un morceau, mais je n’avais pas encore vraiment confiance en moi. Il a eu des milliers d’écoutes du jour au lendemain, puis Annie Mac (une célèbre journaliste musicale anglaise, ndlr) de BBC1 l’a choisi comme morceau de la semaine. Un mois plus tard je signais chez Universal, c’était dingue.

Quand vous dites que vous étiez nerveuse au départ, était-ce lié au fait que vos parents ont réussi dans la musique, et que vous ressentiez une certaine pression à cet égard ?
Oui, d’autant que je pense qu’il est faux de croire que si les parents font quelque chose alors il est simple pour leurs enfants de poursuivre dans la même voie. Mais je suis trop fière pour demander de l’aide à mes parents pour quoi que ce soit, je veux me prouver à moi-même plus qu’à quiconque d’autre que j’ai mon propre talent. Je suis néanmoins fière de ce qu’ils ont fait, l’album Blue Lines de Massive Attack que mon père a produit est l’un de mes préférés, et ma mère a elle aussi accompli des choses incroyables.

Vous vivez encore chez eux ?
Oui, mais je passe peu de temps à la maison. J’ai vraiment besoin de déménager car j’ai trop d’affaires, mais ça demande beaucoup de temps…

Avez-vous le sentiment de réinventer la pop en y infusant une veine R’n’B ?
Oui, je viens du R’n’B donc ce style passera toujours en premier, mais parfois mes morceaux acquièrent une sonorité pop, comme dans l’EP Bedroom, même si les cordes que j’utilise ont un aspect religieux. Tout est une question d’équilibre, même Finders Keepers est pop, tout en étant émouvant.

Vos paroles parlent souvent d’amour, elles sont inspirées par votre vie personnelle ?
Une grande partie de mes textes parle de ma propre vie, j’explore ce qu’il y a au fond de moi et je le dévoile. Mais j’ai aussi écrit des morceaux pour mes amis, à propos d’histoires sur lesquelles ils ne parvenaient pas forcément à mettre des mots. Je leur disais : « Je vais le raconter pour toi ».

Vous avez collaboré avec de nombreux producteurs et chanteurs. Était-ce dans l’idée de toujours expérimenter, de sans cesse réinventer votre musique ?
Oui, exactement. Au départ l’idée de collaborer m’effrayait, parce que j’avais l’habitude de m’asseoir au piano et de composer sans laisser personne me critiquer. Mais on a besoin d’autres gens. Parfois vous rencontrez quelqu’un avec qui vous parlez comme un nouveau langage, c’est magique, et vous avancez sans même vous en rendre compte. Si j’avais écrit Finders Keepers seule, le morceau serait similaire à ce qu’il est parce que les cordes et la plupart des paroles sont de moi, mais parfois mon frère ou J.D Reid qui produisait me proposaient de changer une note, ou un mot par un autre auquel je n’aurais jamais pensé.

« J’ai commencé à penser à la mort très jeune, et tout le monde se demandait : “Mais qu’est-ce qu’elle a cette gamine ?”. Je n’avais rien en commun avec les autres enfants. »

Vous vous définissez comme une « control freak », et pourtant vous semblez aimer perdre le contrôle parfois, que ce soit à travers la musique ou des histoires d’amour.
Je suis une control freak depuis que je suis enfant, mais ces deux dernières années je me suis retrouvée dans des situations, dans mes relations comme au travail, où je me disais : « Mince, je ne tiens plus du tout les rênes, je ne comprends pas ce qui est en train de se passer ». C’était de bonnes expériences d’apprentissage, parfois un peu effrayantes. Elles m’ont permis d’apprendre à reprendre la main, et d’autres fois je trouvais que c’était vraiment amusant de perdre le contrôle, et que je devrais le faire plus souvent. Mon EP Bedroom parle beaucoup de ces expériences que j’ai vécues récemment, du contrôle et des rapports de force.

Vous attachez une grande attention à votre style dans vos clips et sur vos pochettes. Vous avez toujours nourri un intérêt pour la mode ?
Oui, depuis toute petite. J’ai rapidement réalisé que la mode, tout comme la musique, était un moyen d’expression, et que chaque matin je pouvais décider de la manière dont les gens allaient me percevoir. Il y a là une forme de pouvoir. J’ai toujours su précisément ce que je voulais porter.

Vous étiez assez solitaire quand vous étiez enfant. Pensez-vous que ce trait de personnalité vous a aidé à construire votre univers propre, que vous exprimez maintenant à travers votre musique ?
Complètement. Je n’étais pas sociable avec les enfants de mon âge, j’ai toujours été très pensive, je ressentais les choses très fortement. J’ai commencé à penser à la mort très jeune, et tout le monde se demandait : « Mais qu’est-ce qu’elle a cette gamine ? ». Je n’avais rien en commun avec les autres enfants, je stressais à l’idée de les rencontrer. Par contre j’adorais les adultes, j’ai toujours aimé monter des petits shows pour eux, raconter des blagues, et capter toute leur attention. Puis j’allais à l’école et je redevenais très anxieuse. Mais penser à la mort, aux guerres, et à plein de choses horribles très jeune m’a rendue sensible, et je ne pourrais pas m’en sortir dans la musique sans ce trait de personnalité.

Monday mood. @somethingtohateon

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Vous composez depuis votre enfance, pourquoi avoir attendu d’avoir 21 ans pour sortir votre premier EP ?
Il fallait que je me sente prête, même si je complexe à propos de mon âge : je me dis que je n’en fais pas assez parce que je suis vraiment ambitieuse, et des fois je me dis que j’aurais déjà dû gagner un Grammy – même si je vis déjà mon rêve. Know Me Better est un beau morceau mais je passais encore à côté de beaucoup de choses, notamment le rythme uptempo que j’ai adopté dans Finders Keepers, dans un style en partie inspiré par l’afrobeat. Mes prochaines sorties seront dans une veine similaire. J’ai d’ailleurs des origines africaines et sierra-léonaises.

Vous planchez actuellement sur votre premier album, où en êtes-vous ?
J’avance bien, j’ai déjà l’impression qu’il est incroyable (Rires). C’est mon meilleur projet à ce jour, et aussi le plus important, et j’ai vraiment hâte que tout le monde puisse l’écouter.

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