Depuis quelques saisons, l’esthétique camp qui mélange kitsch, mauvais goût et extravagance s’est emparée du monde de la mode. Une réponse à la morosité ambiante dans un monde saturé d’images et d’informations.
Lors des Grammy awards le 10 février dernier, le monde de la musique allié à celui de la mode a encore pu dévoiler ses looks les plus fantasques. Le rappeur Post Malone est arrivé dans un ensemble en cuir rose clouté tout droit sorti d’une performance de Dolly Parton dans les années 70, Janelle Monáe a sorti ses épaulettes pointues XXL et Cardi B est venue poser devant les photographes dans une robe vintage Mugler haute couture de 1995 (au point que le New York Magazine se demande si elle ressemblait plus à une huître ou à une serviette de table pliée en forme de cygne…). Trois tenues, trois prises de risques parmi tant d’autres, venant confirmer l’hégémonie de l’esthétique camp depuis quelques saisons.
C’est sans doute pour cette raison que le camp a été choisi comme thème de la prochaine grande exposition du Metropolitan Museum of Art Costume Institute : Camp, Notes on Fashion, qui aura lieu du 9 mai au 8 septembre 2019 à New York. L’occasion d’y découvrir cette esthétique étudiée et décrite par l’écrivaine et militante américaine Susan Sontag dans son essai Notes on Camp en 1964. Mais le camp, c’est quoi exactement ? « C’est l’amour de l’anormal, de l’artifice et de l’exagération. C’est la dépense stylistique, le triomphe du style androgyne et efféminé », y explique l’auteur. Avant d’ajouter qu’il est « l’extension la plus poussée, en sensibilité, de la métaphore de la vie vécue comme du théâtre ».
Photo : le défilé Gucci printemps-été 2019 au Théâtre du Palace, à Paris.
Cette année, l’exposition au Met est d’ailleurs rendue possible grâce à Gucci, dont la collection extravagante et genderfluid de l’été 2019 avait été présentée au sein du théâtre parisien Le Palace. Une connexion culturelle logique pour Alessandro Michele, directeur artistique de Gucci, qui a réveillé la maison italienne avec cette esthétique dont il se sent si proche. En octobre 2018, il déclarait d’ailleurs au Vogue US : « l’essai de Susan Sontag exprime parfaitement ce que le camp est pour moi : c’est-à-dire la capacité unique de combiner l’art et la pop culture ». Selon Andrew Bolton, commissaire de l’exposition, le camp c’est aussi « de l’ironie, de l’humour, de la parodie, du pastiche, de l’artifice, de la théâtralité, de l’excès, de l’extravagance, de la nostalgie et de l’exagération ». Soit tout ce qu’on trouve aujourd’hui dans les collections de Gucci mais aussi chez beaucoup d’autres marques qui elles aussi se sont laissées prendre au jeu de l’extravagance.
Une tendance de fond
En regardant de plus près les collections des dernières saisons, on se rend vite compte que le camp a envahi le fashion game. Saint Laurent a par exemple proposé une robe courte en forme de coeur rouge flamboyant, et Moschino a promu le fun et l’extravagance mieux que personne avec ses looks inspirés de Barbie ou de McDonald’s. Quant à Viktor & Rolf, ils ont proposé lors de leur dernier défilé couture des crinolines en tulle gigantesques reprenant la culture du mème internet. Même Rick Owens, expert du noir et du minimalisme, a dit s’être inspiré pour sa collection homme automne-hiver 2019/2020 du designer costumier mythique Larry Legaspi, maître du camp rétro-futuriste des années 70 ayant notamment habillé Grace Jones.
Parmi les créateurs s’étant récemment essayé au camp, on peut également notifier Virgil Abloh avec sa petite robe noire imprimée de la légende “Little Black Dress” (petite robe noire en français) entre guillemets, une mise en abîme totalement camp selon Andrew Bolton. Mais toutes ces créations n’auraient pas pu voir le jour sans le travail des pionniers qu’ont été Jean-Paul Gaultier, Jean-Charles de Castelbajac, John Galliano et Thom Browne, dont les excès et extravagances trouvent aujourd’hui un écho dans le travail de Molly Goddard, Richard Quinn, Matty Bovan ou même Versace qui pour sa collection menswear automne-hiver 2019 a osé le mélange d’imprimé entre rayures et léopard…
Photos : Comme des Garçons automne-hiver 2018/2019.
Cela dit, cette année, c’est surtout Comme des Garçons qui a le mieux incarné le mouvement camp. Et qui l’a revendiqué. Lors de son défilé automne-hiver 2018/2019, sa créatrice Rei Kawakubo a reconnu s’être inspirée de l’essai de Susan Sontag pour développer sa collection composée de robes en forme de fleurs millefeuilles, de taies d’oreillers oversize et fleuries ou encore de tissus exagérément chiffonnés. « Susan Sontag a écrit sur ce mouvement et cette sensibilité qu’est le camp. Je m’identifie vraiment à cette vision », a déclaré la designer.
L’influence queer
Actuellement, le concept de camp a pu se diffuser plus largement auprès du grand public notamment grâce à des émissions et séries à succès comme RuPaul Drag Race, Queer Eye ou Pose dont les candidats, les présentateurs et les acteurs, à travers leurs looks, leur attitude et leurs déclarations, nourrissent ce mouvement ; et nous rappellent que sans la culture queer et son goût tranchant pour l’esthétique provocatrice, le camp ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. « Tous les homosexuels n’ont pas le goût du camp. Mais ils constituent, pour la plupart, l’avant-garde – et la plus large audience – du camp », écrit Susan Sontag. « J’aime bien l’idée que le camp soit une sensibilité développée par les gays pour survivre dans un espace qui n’est pas le leur, nous explique Richard Mémeteau, auteur de Pop culture : Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités (éd. La Découverte, 2014). Un espace où on doit survivre au mauvais goût, où l’on doit pouvoir transformer le nul en or. »
Photo : la série Pose créée par Ryan Murphy.
L’incarnation ultime de cette sorte de devise reste sans doute les ballrooms new yorkais des années 80, où les membres des communautés gays afro-américaine et hispanique défilaient habillés et costumés de manière extravagante pour gagner un trophée et sortir glorieux de leur prestation, comme le montre la série Pose créée par Ryan Murphy. « Le camp, c’est l’expression de la plus grande sincérité, mais c’est aussi l’art de la pose. Le mot est d’ailleurs un gallicisme et vient du français camper », ajoute Richard Mèmeteau. En effet, selon la définition du Larousse, (se) camper signifie « prendre une attitude assurée ou fière et provocante ». Un terme qui trouve son origine dans les ballets et grandes réceptions organisés dans des tentes en toile (ou « campements ») à la cour de Versailles sous Louis XIV, où il était bon de présenter ses plus beaux atours.
À cette époque, l’apparence y est reine et la renommée dans ces réceptions se fait autant par l’esprit que par le vêtement et l’attitude. L’un des courtisans ayant le mieux incarné cette pratique queer n’est autre que le duc Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV connu pour ses relations homosexuelles, son allure très efféminée, son extravagance vestimentaire et son obsession pour les bijoux. De cette période, on retiendra aussi la fameuse pose du « contrapposto », sorte de combo jambe pliée + déhanché + main sur la hanche adoptée par toute la cour de Versailles, et avec laquelle Louis XIV a posé dans son manteau d’hermine et ses souliers à rubans de satin sur le tableau Portrait de Louis XIV en costume de sacre par Hyacinthe Rigaud.
Une posture qui trouve son origine dans la sculpture grecque dès le VIe siècle av. J-.C, revenue à la mode à la Renaissance avec le néo-classicisme, et qui a depuis incontestablement marqué l’esthétique camp. Au sein de l’exposition Camp : Notes on Fashion, Andrew Bolton a d’ailleurs tenu à intégrer une sculpture romaine d’un jeune Hercule issue de la collection permanente du Met Museum afin d’illustrer cet idéal de beau et d’assurance né du contrapposto et qui a fortement influencé l’univers de la mode à travers les défilés, les shootings et les campagnes publicitaires.
Photo : Portrait de Louis XIV en costume de sacre, par Hyacinthe Rigaud, 1701.
Une réponse politique
Mais pourquoi le camp trouve-t-il autant d’écho aujourd’hui dans la mode ? Parce qu’il est sans doute la réponse à une volonté d’enterrer la morosité ambiante. Il traduit aussi comme une envie de faire fi du minimalisme, de la sobriété basée sur le « no logo » et du normcore qui ont, suite à la crise économique des subprimes, dominé les collections. Le camp s’est la possibilité de faire renaître le maximalisme, le bling, le too much et l’outrance. Ce qui avait d’abord commencé par être défini comme du lolcore en 2014 n’était en fait que les prémices de la résurgence de cette sensibilité extravagante, mais aussi engagée et subversive.
Comme l’avait rappelé Rei Kawakubo lors de son défilé automne-hiver 2018/2019 pour Comme des Garçons : « le camp n’est pas qu’une sur-exagération terrifiante ou l’incarnation du mauvais goût. Au contraire, le camp représente une valeur dont nous avons besoin. Par exemple, beaucoup de styles comme le punk ont perdu leur esprit rebelle d’origine. Je crois que le camp exprime quelque chose de plus profond et qu’il peut donner naissance au progrès. » Et si la créatrice japonaise avait raison ? Si le camp était la valeur dont nous avions besoin ? Dans un contexte politique lourd et délétère où il est plus que nécessaire de déstabiliser et de défier la norme, le camp incarne à lui seul le nouveau degré de rébellion remettant en cause ce qu’est ou non le bon goût, ce qu’il est bien de faire ou pas.
Photo : le casting de la saison 10 de RuPaul’s Drag Race pour W magazine.
Aujourd’hui, cette résistance stylistique se retrouve partout, aussi bien dans l’entertainment et les médias que sur les tapis rouge et sur les podiums des défilés. En septembre 2018, c’est Sasha Velour, drag queen gagnante de la neuvième saison de RuPaul’s Drag Race, qui a été engagée par Opening Ceremony afin de présenter « The Gift of Showz », une performance créer spécialement à l’occasion d’un défilé lors de la fashion week de New York. Un peu plus tôt, en mars de la même année, le magazine de mode W a lui consacré au casting de la saison 10 de RuPaul’s Drag Race un grand article et un shooting mode. De quoi mettre en lumière des looks, attitudes et déclarations cassant les codes de la bienséance et mettent en avant une esthétique et un mode de vie basés sur une liberté hédoniste, avec juste ce qu’il faut de too much.
Lors des Grammy awards le 10 février dernier, le monde de la musique allié à celui de la mode a encore pu dévoiler ses looks les plus fantasques. Le rappeur Post Malone est arrivé dans un ensemble en cuir rose clouté tout droit sorti d’une performance de Dolly Parton dans les années 70, Janelle Monáe a sorti ses épaulettes pointues XXL et Cardi B est venue poser devant les photographes dans une robe vintage Mugler haute couture de 1995 (au point que le New York Magazine se demande si elle ressemblait plus à une huître ou à une serviette de table pliée en forme de cygne…). Trois tenues, trois prises de risques parmi tant d’autres, venant confirmer l’hégémonie de l’esthétique camp depuis quelques saisons.
C’est sans doute pour cette raison que le camp a été choisi comme thème de la prochaine grande exposition du Metropolitan Museum of Art Costume Institute : Camp, Notes on Fashion, qui aura lieu du 9 mai au 8 septembre 2019 à New York. L’occasion d’y découvrir cette esthétique étudiée et décrite par l’écrivaine et militante américaine Susan Sontag dans son essai Notes on Camp en 1964. Mais le camp, c’est quoi exactement ? « C’est l’amour de l’anormal, de l’artifice et de l’exagération. C’est la dépense stylistique, le triomphe du style androgyne et efféminé », y explique l’auteur. Avant d’ajouter qu’il est « l’extension la plus poussée, en sensibilité, de la métaphore de la vie vécue comme du théâtre ».
Photo : le défilé Gucci printemps-été 2019 au Théâtre du Palace, à Paris.
Cette année, l’exposition au Met est d’ailleurs rendue possible grâce à Gucci, dont la collection extravagante et genderfluid de l’été 2019 avait été présentée au sein du théâtre parisien Le Palace. Une connexion culturelle logique pour Alessandro Michele, directeur artistique de Gucci, qui a réveillé la maison italienne avec cette esthétique dont il se sent si proche. En octobre 2018, il déclarait d’ailleurs au Vogue US : « l’essai de Susan Sontag exprime parfaitement ce que le camp est pour moi : c’est-à-dire la capacité unique de combiner l’art et la pop culture ». Selon Andrew Bolton, commissaire de l’exposition, le camp c’est aussi « de l’ironie, de l’humour, de la parodie, du pastiche, de l’artifice, de la théâtralité, de l’excès, de l’extravagance, de la nostalgie et de l’exagération ». Soit tout ce qu’on trouve aujourd’hui dans les collections de Gucci mais aussi chez beaucoup d’autres marques qui elles aussi se sont laissées prendre au jeu de l’extravagance.
Une tendance de fond
En regardant de plus près les collections des dernières saisons, on se rend vite compte que le camp a envahi le fashion game. Saint Laurent a par exemple proposé une robe courte en forme de coeur rouge flamboyant, et Moschino a promu le fun et l’extravagance mieux que personne avec ses looks inspirés de Barbie ou de McDonald’s. Quant à Viktor & Rolf, ils ont proposé lors de leur dernier défilé couture des crinolines en tulle gigantesques reprenant la culture du mème internet. Même Rick Owens, expert du noir et du minimalisme, a dit s’être inspiré pour sa collection homme automne-hiver 2019/2020 du designer costumier mythique Larry Legaspi, maître du camp rétro-futuriste des années 70 ayant notamment habillé Grace Jones.
Parmi les créateurs s’étant récemment essayé au camp, on peut également notifier Virgil Abloh avec sa petite robe noire imprimée de la légende “Little Black Dress” (petite robe noire en français) entre guillemets, une mise en abîme totalement camp selon Andrew Bolton. Mais toutes ces créations n’auraient pas pu voir le jour sans le travail des pionniers qu’ont été Jean-Paul Gaultier, Jean-Charles de Castelbajac, John Galliano et Thom Browne, dont les excès et extravagances trouvent aujourd’hui un écho dans le travail de Molly Goddard, Richard Quinn, Matty Bovan ou même Versace qui pour sa collection menswear automne-hiver 2019 a osé le mélange d’imprimé entre rayures et léopard…
Photos : Comme des Garçons automne-hiver 2018/2019.
Cela dit, cette année, c’est surtout Comme des Garçons qui a le mieux incarné le mouvement camp. Et qui l’a revendiqué. Lors de son défilé automne-hiver 2018/2019, sa créatrice Rei Kawakubo a reconnu s’être inspirée de l’essai de Susan Sontag pour développer sa collection composée de robes en forme de fleurs millefeuilles, de taies d’oreillers oversize et fleuries ou encore de tissus exagérément chiffonnés. « Susan Sontag a écrit sur ce mouvement et cette sensibilité qu’est le camp. Je m’identifie vraiment à cette vision », a déclaré la designer.
L’influence queer
Actuellement, le concept de camp a pu se diffuser plus largement auprès du grand public notamment grâce à des émissions et séries à succès comme RuPaul Drag Race, Queer Eye ou Pose dont les candidats, les présentateurs et les acteurs, à travers leurs looks, leur attitude et leurs déclarations, nourrissent ce mouvement ; et nous rappellent que sans la culture queer et son goût tranchant pour l’esthétique provocatrice, le camp ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. « Tous les homosexuels n’ont pas le goût du camp. Mais ils constituent, pour la plupart, l’avant-garde – et la plus large audience – du camp », écrit Susan Sontag. « J’aime bien l’idée que le camp soit une sensibilité développée par les gays pour survivre dans un espace qui n’est pas le leur, nous explique Richard Mémeteau, auteur de Pop culture : Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités (éd. La Découverte, 2014). Un espace où on doit survivre au mauvais goût, où l’on doit pouvoir transformer le nul en or. »
Photo : la série Pose créée par Ryan Murphy.
L’incarnation ultime de cette sorte de devise reste sans doute les ballrooms new yorkais des années 80, où les membres des communautés gays afro-américaine et hispanique défilaient habillés et costumés de manière extravagante pour gagner un trophée et sortir glorieux de leur prestation, comme le montre la série Pose créée par Ryan Murphy. « Le camp, c’est l’expression de la plus grande sincérité, mais c’est aussi l’art de la pose. Le mot est d’ailleurs un gallicisme et vient du français camper », ajoute Richard Mèmeteau. En effet, selon la définition du Larousse, (se) camper signifie « prendre une attitude assurée ou fière et provocante ». Un terme qui trouve son origine dans les ballets et grandes réceptions organisés dans des tentes en toile (ou « campements ») à la cour de Versailles sous Louis XIV, où il était bon de présenter ses plus beaux atours.
À cette époque, l’apparence y est reine et la renommée dans ces réceptions se fait autant par l’esprit que par le vêtement et l’attitude. L’un des courtisans ayant le mieux incarné cette pratique queer n’est autre que le duc Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV connu pour ses relations homosexuelles, son allure très efféminée, son extravagance vestimentaire et son obsession pour les bijoux. De cette période, on retiendra aussi la fameuse pose du « contrapposto », sorte de combo jambe pliée + déhanché + main sur la hanche adoptée par toute la cour de Versailles, et avec laquelle Louis XIV a posé dans son manteau d’hermine et ses souliers à rubans de satin sur le tableau Portrait de Louis XIV en costume de sacre par Hyacinthe Rigaud.
Une posture qui trouve son origine dans la sculpture grecque dès le VIe siècle av. J-.C, revenue à la mode à la Renaissance avec le néo-classicisme, et qui a depuis incontestablement marqué l’esthétique camp. Au sein de l’exposition Camp : Notes on Fashion, Andrew Bolton a d’ailleurs tenu à intégrer une sculpture romaine d’un jeune Hercule issue de la collection permanente du Met Museum afin d’illustrer cet idéal de beau et d’assurance né du contrapposto et qui a fortement influencé l’univers de la mode à travers les défilés, les shootings et les campagnes publicitaires.
Photo : Portrait de Louis XIV en costume de sacre, par Hyacinthe Rigaud, 1701.
Une réponse politique
Mais pourquoi le camp trouve-t-il autant d’écho aujourd’hui dans la mode ? Parce qu’il est sans doute la réponse à une volonté d’enterrer la morosité ambiante. Il traduit aussi comme une envie de faire fi du minimalisme, de la sobriété basée sur le « no logo » et du normcore qui ont, suite à la crise économique des subprimes, dominé les collections. Le camp s’est la possibilité de faire renaître le maximalisme, le bling, le too much et l’outrance. Ce qui avait d’abord commencé par être défini comme du lolcore en 2014 n’était en fait que les prémices de la résurgence de cette sensibilité extravagante, mais aussi engagée et subversive.
Comme l’avait rappelé Rei Kawakubo lors de son défilé automne-hiver 2018/2019 pour Comme des Garçons : « le camp n’est pas qu’une sur-exagération terrifiante ou l’incarnation du mauvais goût. Au contraire, le camp représente une valeur dont nous avons besoin. Par exemple, beaucoup de styles comme le punk ont perdu leur esprit rebelle d’origine. Je crois que le camp exprime quelque chose de plus profond et qu’il peut donner naissance au progrès. » Et si la créatrice japonaise avait raison ? Si le camp était la valeur dont nous avions besoin ? Dans un contexte politique lourd et délétère où il est plus que nécessaire de déstabiliser et de défier la norme, le camp incarne à lui seul le nouveau degré de rébellion remettant en cause ce qu’est ou non le bon goût, ce qu’il est bien de faire ou pas.
Photo : le casting de la saison 10 de RuPaul’s Drag Race pour W magazine.
Aujourd’hui, cette résistance stylistique se retrouve partout, aussi bien dans l’entertainment et les médias que sur les tapis rouge et sur les podiums des défilés. En septembre 2018, c’est Sasha Velour, drag queen gagnante de la neuvième saison de RuPaul’s Drag Race, qui a été engagée par Opening Ceremony afin de présenter « The Gift of Showz », une performance créer spécialement à l’occasion d’un défilé lors de la fashion week de New York. Un peu plus tôt, en mars de la même année, le magazine de mode W a lui consacré au casting de la saison 10 de RuPaul’s Drag Race un grand article et un shooting mode. De quoi mettre en lumière des looks, attitudes et déclarations cassant les codes de la bienséance et mettent en avant une esthétique et un mode de vie basés sur une liberté hédoniste, avec juste ce qu’il faut de too much.