Pourquoi la mode rejette-t-elle les standards de la beauté ?

Article publié le 12 octobre 2017

Photo : Molly Blair par Benjamin Lennox pour Magazine Antidote : NOW GENERATION.
Texte : Maxime Leteneur
Citation : Nicola Formichetti

Mono-sourcils exhibés fièrement, appareils-dentaires affichés sur de larges sourires, acné célébré sur et en dehors des podiums : après des années de diktats d’une beauté lisse et aseptisée, l’industrie de la mode semble aujourd’hui s’éloigner de ses standards pour leur préférer les physiques jusqu’ici supposés imparfaits.

C’est la dernière sensation qui enflamme les réseaux sociaux comme les pages des magazines féminins : le mono-sourcil fait sa grande apparition au panthéon des tendances beauté de l’année. A l’origine, on doit l’émergence de l’unibrow au mannequin Scarlett Costello, qui en a fait sa signature. Du haut de ses 19 ans, la jeune femme revendique sa singularité comme une force et encourage toute les jeunes femmes à célébrer leur beauté sans artefacts. « Je crois vraiment que les gens sont plus beaux lorsqu’ils acceptent leur corps tel qu’il est, glisse-t-elle d’ailleurs à ce sujet au TeenVogue. C’est cette confiance en notre propre beauté naturelle qui est importante. » Le modèle invite même toutes les femmes à ne plus se raser et reprendre possession de leurs corps comme un acte subversif et politique.

Impossible de ne pas penser aux précurseurs du sourcil épais Frida Khalo-ish, Cara Delevingne en tête de file, ou encore à la pochette du tubesque Bitch Better Have My Money de Rihanna, visage endurci par deux larges et fournis aplats duveteux au-dessus des yeux. Le phénomène s’illustre également chez les homme à l’affiche d’une campagne Levi’s en mars dernier, incarnée par Adrien Sahores. Surprenant de prime abord, le mouvement n’est en fait que la suite logique des revendications féministes pour une pilosité libre, entre autre imperfections que la mode invite aujourd’hui à célébrer.

Photo : Pochette du single Bitch Better Have My Money de Rihanna.

Plus que de combattre une certaine idée de la laideur, c’est une invitation à ne plus cacher ses imperfections qui est envoyée. Depuis le 1er octobre 2017, un décret oblige d’ailleurs les diffuseurs à signaler au public s’il y a eu retouches sur une photo publiée – tout contrevenant risque une amende de 37 500 euros.

En 2015, Carine Roitfeld n’avait pas hésité pas à placer la jeune Kitty Hayes, large sourire couronné de bagues dentaires, en couverture de son CR Fashion Book. « Pour moi, ces modèles sont fascinantes grâce à leurs imperfections. Elles représentent la nouvelle garde de « jolie laide », commente-t-elle à l’époque au WWD. J’ai choisi mes nouvelles faces préférées de cette saison… Des filles qui sont pour la plupart inconnues, mais qui ont une qualité particulière qui les rend uniques, comme de grandes oreilles ou un sourire étrange ». L’année suivante, le Malaisien Moto Guo présentait à Milan sa collection printemps-été 2017 sur des modèles à l’acné apparente. Preuve que l’industrie est prête à accepter (et même réclamer) les profils les plus atypiques.

La percée des modèles hors-normes

Mieux encore, ce sont les agences de mannequins qui cautionnent et poussent leurs jeunes ambassadrices à cultiver leurs particularités, à l’instar de Ford Models, l’agence de Scarlett Costello qui l’encouragea très tôt à laisser pousser ses sourcils. Un choix aujourd’hui payant à entendre la jeune mannequin : « Récemment mes sourcils m’ont aidé à trouver du travail ».

Pour son défilé printemps-été 2017, Kenzo faisait appel à un casting de corps hors normes transformés en statues vivantes. Chez Gypsy Sport, on célèbre les freaks de tous genres, races, religions ou âges, via un casting ouvert à tous sur internet. Très loin de l’esprit de l’esprit des années 1990 et 2000 aveuglées par les beautés parfaites de ses supermodels, impossible de ne pas noter l’explosion des strange faces Molly Bair – adoubée par Karl Lagerfeld –, Oliwia Lis ou encore Sara Grace Wallerstedt, dans le sillage tracé par Lindsey Wixson, visage carré et bouche en cœur, ou Hanne Gaby Odiele.

Photos de gauche à droite : Oliwia Lis dans la campagne automne-hiver 2017 de Balenciaga. Sara Grace Wallerstedt en couverture du numéro avril 2017 de Vogue Italie.

« Ce sont des gens qui ont une différence, une beauté différente, argumente au site storynextdoor Sylvie Fabregon, head bookeuse de l’agence Wanted spécialisée dans les profils atypiques. L’objectif est de défendre une vision de la beauté qui se veut émancipatrice du simple physique. Il faut être beau et différent. C’est-à-dire avoir quelque chose qui se dégage, quelque chose de plus que juste la beauté physique. »

Des singularités aujourd’hui très recherchées par les industries du luxe, de la mode et de la beauté, comme en témoignent les nombreuses sollicitations que reçoivent ces agences : « Nos modèles ont travaillé avec tout le monde, de Calvin Klein au Vogue italien. Il y a une demande massive », appuie Marc French, créateur de l’agence Ugly Models. Et à Sylvie Fabregon d’ajouter : « De nos jours, les demandes des publicitaires ont beaucoup changé. Nombreux sont ceux qui veulent des gens différents. Des photographes qui ont envie de faire autre chose que du Elle. Il y a beaucoup de monde. » Particulièrement active, cette dernière se distingue régulièrement en plaçant ses poulains et notamment l’intimidant Fabien Jegoudez sur le catwalk Vetements automne-hiver 2017.

Les imperfections, nouvel argument marketing

Photos de gauche à droite : Moto Guo collection printemps-été 2017. Gypsy Sport collection printemps-été 2018. Vetements collection automne-hiver 2017. Gypsy Sport collection printemps-été 2018.

Célébrer ses supposées anomalies serait donc devenu synonyme d’une beauté nouvelle, au plus près des aspirations d’une génération en croisade contre l’idée de perfection. Le phénomène est tel que les communicants s’emparent rapidement de l’idée pour en faire un réel argument marketing. Si on pense bien sûr à Meetic et sa désormais populaire campagne qui veut nous apprendre à « aimer nos imperfections » pour trouver l’amour, l’idée est également reprise par la mode qui, en plus de tendre vers un « lâcher prise » encouragé et même devenu cool, nous invite à glorifier la singularité qui sommeille en chacun de nous, et d’abandonner cette quête de perfection.

Cet argument est au centre de la dernière campagne Diesel, Go With The Flaw, qui met en scène un casting de modèles aux défauts soulignés : appareil dentaire, strabisme, cernes ou encore cicatrices font partie de leur panoplie. « Être unique est tellement plus beau que d’être parfait », souligne le directeur artistique de la marque Nicola Formichetti. Bien que le message puisse paraître hypocrite venant d’une industrie qui a passé des décennies à creuser les complexes de chacun, l’intention de la marque se veut louable, et le message finalement positif. La griffe n’a d’ailleurs pas hésité à faire table rase de son passé en supprimant purement et simplement l’entièreté du contenu de son compte Instagram : « Nous pensons que la perfection est ennuyante, particulièrement sur Instagram où tout le monde la recherche. Parfaite photo, parfaite vie. Nous en sommes fatigués. Donc nous avons décidé de tout supprimer pour un imparfait nouveau commencement. »

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