La designer londonienne de 23 ans Paria Farzaneh fait sensation avec ses collections, autant inspirées par la culture grime que ses origines iraniennes.
Paria Farzaneh a profité de la Fashion Week Homme de Londres automne 2018 pour présenter sa troisième collection à l’esthétique neuve et postmoderne dans un restaurant iranien. Ses modèles revisitent le style vestimentaire traditionnel national des années 1970 à nos jours, à l’aune des tenues sportswear fièrement arborées dans les rues de l’est londonien : costumes et autres tracksuits recouverts d’imprimés perses, vestes d’uniformes iraniens patchées ou encore denim brodé constituent sa nouvelle ligne.
« Pendant le défilé, je suis restée debout au fond de la salle car je voulais pouvoir observer la réaction des invités, je voulais savoir ce qu’ils pensaient », se remémore-t-elle. La jeune créatrice, qui avait tout d’abord envisagé de devenir psychologue, continue de placer nos systèmes de pensée au cœur de ses préoccupations, et insiste sur la nécessité de faire évoluer la perception occidentale des pays du Moyen-Orient – et notamment de l’Iran. Elle déplore notamment que son pays d’origine soit si souvent réduit à ses problèmes économiques et politiques, rapportés par la presse ; le gouvernement actuel est largement décrié par la population, qui n’a pas oublié les traumatismes de la révolution de 1979 ayant transformé l’Iran en République Islamique. « Je veux montrer que l’Iran et sa culture sont magnifiques, ils ont beaucoup à offrir », tempère Paria Farzaneh. Et si elle se défend de vouloir diffuser un message politique, ses emprunts au workwear et aux uniformes iraniens renvoient néanmoins à une idée de stabilité sociale, de société structurée.
Une rencontre déterminante avec le grime
Photo : Paria Farzaneh automne-hiver 2018
Petite-fille d’un tailleur iranien élevée en Angleterre, Paria Farzaneh se rend dans son pays d’origine presque chaque année depuis l’enfance. Elle continue d’y retourner pour observer la société iranienne, ses différents stéréotypes et les styles vestimentaires qui leur sont liés, alors qu’elle entame ses études de mode masculine à Ravensbourne. « Je me suis toujours intéressée aux vêtements masculins, à leur esthétique oversize, je trouve qu’ils ont une noirceur plaisante, explique-t-elle. Et j’aime l’idée qu’une femme habille un homme. »
Installée dans l’est londonien, Paria Farzaneh se passionne alors aussi pour le grime, un sous-genre du rap caractérisé par des productions sombres et lo-fi qui émerge dans les années 2000, et dont Skepta et Dizzee Rascal constituent deux des figures les plus célèbres. « Quand j’ai confectionné ma graduate collection, le grime était très prégnant dans le sud-est de Londres, tout le monde portait des joggings. L’esthétique que je cherchais à développer à travers mes créations a changé durant cette période, j’ai commencé à élargir mon spectre. »
Photo : Paria Farzaneh printemps-été 2018
Son style signature, à la croisée de l’Iran et des vêtements sportswear des années 1990 est né. Elle lance ensuite son propre label, s’inscrivant dans le prolongement de sa première ligne, qui fait soudainement parler de lui lorsque Frank Ocean décide d’arborer l’un de ses t-shirts pour son concert au festival Lovebox, dont il constitue la tête d’affiche, durant l’été 2017. « Beaucoup de personnes m’ont contacté sur Instagram pour savoir où trouver cette pièce, et c’est à ce moment là que j’ai décidé de m’impliquer sérieusement sur ce réseau social », précise Paria.
Pour ses campagnes, la designer qui déclare « ne pas éprouver d’intérêt pour la “hype” » préfère cependant mettre en scène ses amis que de chercher à collaborer avec des célébrités. « Au départ, je travaillais avec tous mes amis, et ils comprenaient le concept qui guidait mes collections. Cette saison, il y avait aussi mon père, qui est vraiment un personnage, et quelques nouvelles personnes dont j’apprécie l’énergie. Quand j’ai commencé à les connaître, j’ai réalisé que leur histoire collait complètement avec ce que je voulais raconter. Pour moi, le casting n’est pas une question d’apparence. »
Tandis qu’elle nous parle, seulement trois jours après son défilé, Paria Farzaneh travaille sur un hoodie en tissu iranien fait à la main. « Je suis incapable de ne rien faire, j’ai toujours besoin de donner forme à tout ce qui me vient à l’esprit, jusqu’à ce que j’ai épuisé toutes mes idées. » Elle ne semble pas en manquer pour l’instant.