À la dernière fashion week de New York, le designer a célébré les 20 ans de sa marque, avant de dévoiler sa nouvelle collection pour Moschino deux semaines plus tard à Milan. Parti de rien, il a su imposer son style faisant rimer pop, luxe, et humour grâce à une détermination hors du commun, et semble maintenant indétrônable.
Début septembre lors de la NYFW, Jeremy Scott ouvre son 39ème défilé avec sa muse Devon Aoki, qu’il était le premier à avoir invité sur un catwalk. S’ensuit un ballet de mannequins superstars (Gigi Hadid, Joan Smalls, Coco Rocha…), arborant les pièces de sa nouvelle ligne colorée, pimpante, et exubérante, qui multiplie les références aux bandes dessinées à travers des imprimés, et autres patchs cousus sur des vestes militaires. Un détournement un brin subversif, caractéristique du style du designer, également directeur artistique de Moschino depuis 2013.
Le 21 septembre à Milan, il revisite le mythe de la danseuse pour la collection printemps-été 2018 de la griffe italienne, alliant tutus et vestes de biker cloutées, avant un final faisant référence aux fleurs envoyées sur scène à la fin des spectacles, avec une série de femmes-bouquets. Puis Jeremy Scott déboule sur le podium en T-shirt Mon Petit Poney, veste argentée et jean troué, et salue le public sous un tonnerre d’applaudissements. Son arrivée chez Moschino a d’ailleurs été salvatrice pour la marque, dont l’esprit iconoclaste était tombé en désuétude. Il l’a rendue plus populaire que jamais avec ses collections excentriques, faisant décoller les ventes (qui ont rapporté près de 200 millions d’euros en 2016) bien que la critique soit partagée à son égard.
Photos de gauche à droite : Moschino, collection printemps-été 2018.
Un self-made man
Né à la campagne près de Kansas City dans le Missouri, Jeremy Scott part de rien, ou presque. « Je suis un garçon qui vient d’une petite ferme, avec un grand rêve », raconte-t-il dans le documentaire qui lui est dédié, Jeremy Scott : The People’s Designer (2015). Adolescent, il se passionne pour la mode qu’il découvre grâce aux magazines spécialisés, et à travers les tenues portées par certains artistes dans leurs clips musicaux. Il s’en inspire pour affirmer son propre style vestimentaire, quitte à provoquer des réactions violentes de la part d’autres élèves de son lycée, qui en viennent régulièrement aux mains.
Puis Jeremy Scott intègre le Pratt Institute à New York, où il apprend le métier de designer. Son diplôme en poche, il s’envole pour Paris où il espère trouver un stage chez Jean-Paul Gaultier, l’un de ses créateurs favoris, avec Martin Margiela et Franco Moschino (qui a fondé la marque du même nom, et aimait se moquer du monde de la mode, dont il faisait pourtant partie). Après trois entretiens, Jeremy Scott apprend qu’il est refusé, se retrouve sans ressources et n’a d’autre choix que de dormir dans le métro pendant un temps. Il parvient finalement à trouver un logement, et tente le tout pour le tout en concevant sa première collection en 1997, empreinte de l’univers du roman Crash ! de J. G. Ballard, et du film qu’en a tiré David Cronenberg. Le designer récupère des blouses d’hôpital en papier qu’il transforme en robes, récupère même du tissu dans des poubelles, et présente son défilé dans un bar à Bastille. Le show attire l’équipe de télévision de Marie-Christiane Marek, la créatrice de l’émission Paris Modes sur Paris Première, et lui offre une visibilité immédiate.
Jeremy Scott printemps-été 1999
Ses collections suivantes revisitent les tenues des hôtesses de l’air (il signe d’ailleurs le costume porté par Britney Spears dans son clip Toxic, sorti en 2003), s’inspirent des vitraux d’église, ou se moquent du patriotisme à travers des figures de Bisounours armés de fusils. Un détournement caractéristique de son style : les symboles pop sont des motifs récurrents dans ses lignes, aussi parcourues d’imprimés de superhéros, d’emojis, du visage de Bart Simpson, ou même de canettes de coca.
De gauche à droite : Moschino automne-hiver 2012, Moschino automne-hiver 2012, Moschino, automne-hiver 2011, Moschino automne-hiver 2010, Moschino automne-hiver 2012.
Avec son univers novateur, Jeremy Scott obtient un succès fulgurant dès ses premières collections. Isabella Blow, la styliste et journaliste qui avait découvert Alexander McQueen, le soutient dès ses débuts. Colette vend ses créations, et Mario Testino les prend en photo. Karl Lagerfeld annonce même dans Le Monde qu’il est le seul designer qui pourrait lui succéder chez Chanel. En parallèle, Jeremy Scott conçoit aussi des costumes pour de nombreuses chanteuses célèbres, dont Madonna et Björk.
Le créateur travaille également avec de grandes marques comme Longchamp, ou Adidas à partir de 2002, alors que les collaborations étaient bien moins fréquentes au début des années 2000 qu’aujourd’hui. Il crée des sneakers exubérantes devenues iconiques pour l’entreprise allemande, avec des têtes de nounours placées au sommet des languettes, ou des paires d’ailes qui dépassent sur les côtés extérieurs.
« L’Andy Warhol de la mode »
Puis il effectue son tournant le plus pop avec Moschino, tout en restant fidèle au ton humoristique de Franco, qui lui vaut son surnom « d’Andy Warhol de la mode ». Son premier défilé pour la griffe détourne l’univers de McDonald’s, introduisant une touche d’humour dans le luxe, puis ses nouvelles lignes font référence à Barbie, Bob l’Éponge, ou encore aux chocolats Hershey’s (KitKat). « Je veux toucher le plus grand nombre, explique-t-il à l’Express. Cela ne signifie pas que tout le monde va acheter ou vouloir porter mes vêtements, mais, s’ils réussissent à provoquer une émotion, à faire sourire les gens, alors je serai heureux. La mode devrait être joyeuse. » Il crée aussi des coques d’Iphone XXL au fil de ses collections, représentant un sachet de frites ou encore un miroir rose dans lequel le téléphone peut s’incruster.
Photos de gauche à droite : Moschino, collection automne-hiver 2014. Moschino, collection automne-hiver 2014. Moschino, collection printemps-été 2015.
Jeremy Scott est aussi très proche de nombreuses pop stars comme Katy Perry, Miley Cyrus, Rita Ora ou encore la chanteuse sud-coréenne CL, dans la continuité de son rôle de précurseur du rapprochement entre pop et luxe, qui a contribué à forger le nouveau zeitgeist postmoderne brouillant les frontières entre « haute » et « basse » culture. Il a ainsi apporté une bouffée d’air frais à la mode, prouvant au passage qu’il est possible d’y percer sans ressources financière ni réseau familial, avec son talent et une détermination inébranlable pour seules armes.