Elles s’appellent Alexander Wang, Prada, Fendi, Missoni ou Ralph Lauren. Ces griffes de mode aujourd’hui incontournables partagent toutes un secret bien gardé. Et si l’ultime ingrédient de la réussite dans le luxe était le travail en famille ? Analyse.
C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures. Une bonne vieille formule populaire pour résumer les success storys des grandes maisons de mode transalpines. D’un grand père artisan bottier ou fourreur, naît un mastodonte du luxe et de la mode. Un empire qui repose sur le nom et la réputation d’un patriarche. Façon Mafia Blues ? Pas loin. Et c’est d’ailleurs en Italie – où c’est devenu un euphémisme de dire qu’on a le sens de la famille – qu’ont fleuri les plus beaux exemples de réussite de ces sociétés patriarcales.
Chronologiquement parlant, c’est le géant Prada qui ouvre le bal en 1913. À l’époque, la maison qui s’appelle d’ailleurs Fratelli Prada – pour désigner les frères Mario et Martino Prada – est une petite boutique des rues milanaises spécialisée dans les articles de maroquinerie archi raffinés. Mais il faut attendre les années quatre-vingt et l’arrivée de Miuccia Prada aux manettes – petite fille de Mario – pour que l’entreprise ne se métamorphose en empire et que la créatrice ne devienne la nouvelle pythie de la mode intello. C’est sous la double houlette conjugale Miuccia Prada-Patrizio Bertelli (l’homme d’affaires et mari de Miuccia est aujourd’hui le PDG de la maison) que la maison commence son irrésistible ascension. Elle au style, lui aux finances. C’est le début du développement de la marque à l’international.
Miuccia Prada et son mari Patrizio Bertelli ont transformé une petite entreprise familiale milanaise en griffe de luxe internationale.
Depuis, le chiffre d’affaires de la maison se compte en milliards et la marque est devenue un groupe qui a englouti d’autres griffes de luxe. Cerise sur le tiramisu : Miuccia a même pu capitaliser sur son seul nom et lancer la ligne dite plus abordable Miu Miu – en référence au diminutif de la créatrice. Côté héritage, la messe n’est pas encore dite. Si le couple a deux filles, rien ne dit que celles-ci reprendront les commandes de la société. D’ailleurs, Patrizio Bertelli a confié à plusieurs reprises être contre les dynasties familiales.
Autre exemple, dans les familles Fendi et Missoni. Si, aux origines, chez Fendi le cœur de métier est le double travail de la fourrure et des chaussures, la Maison Missoni, dont la direction artistique est assurée depuis 1998 par Angela, fille des fondateurs, s’affiche, quant à elle, comme la spécialiste de la maille imprimée multicolore – désormais signée furax. Respectivement apparues en 1925 et 1953, ces deux maisons se sont métamorphosées en géantes ultra branchées et véritables fleurons du luxe. Il suffit de regarder les chiffres de croissance de ces entreprises familiales pour renvoyer dans leurs pénates les adeptes du « c’était mieux avant ».
Nouvelles dynasties
Outre-Atlantique aussi on assiste aux prémices des grandes sagas familiales de la mode. À l’affiche, les maisons Ralph Lauren et Wang. L’histoire de Ralph Lauren cristallise à elle seule le rêve américain.
Ici un vendeur de chez Brooks Brothers, fils d’un peintre en bâtiment, qui devient magna de la mode et passe du Bronx aux Hamptons en un tour de manche. Devenu le king du sportswear de luxe – pour qui s’adonne au polo les weekends et vagabonde ensuite de cocktails en soirées –, cet autodidacte de la mode compile créativité et sens des affaires depuis les origines de sa marque en 1967 – un profil qui rappelle celui du maestro Giorgio Armani, autre chef de famille autant investi côté chiffres que côté style.
À l’heure où toutes les marques sont en quête d’un ADN qui fait vendre, les entreprises familiales dégainent leur histoire de famille, comme une botte secrète, garante d’authenticité et de savoir-faire.
Chez les Lauren, l’image de la famille participe à fomenter le mythe de la marque. Au premier plan, Ricky Lauren, la femme de Ralph. C’est d’ailleurs elle qui inspira le nom du sac emblématique de la maison – le Ricky. La femme Lauren c’est elle. Une femme accomplie – mère de trois enfants – auteure et photographe à succès, à l’élégance ultra relax. Très Hamptons dans l’âme. Autour de Dame Lauren et dans l’ordre d’apparition, ses enfants : Andrew, Dylan et David. Même s’il prête souvent son visage à la marque, Andrew, le fils ainé, n’a pas voulu entrer dans le business familial et dirige aujourd’hui une compagnie de production de films. Dylan, l’unique fille du couple, a elle aussi hérité de l’esprit entrepreneurial de son père et dirige le géant de la confiserie américaine : le Candy Bar. Quant à David, le cadet, après s’être laissé convaincre par daddy, il est le seul à avoir intégré l’entreprise familiale. On murmure que ce serait donc lui, l’actuel vice-président, le futur big boss.
Le label du créateur taïwano-américain Alexander Wang repose sur un modèle familial et autofinancé.
Côté jeunes pousses, c’est l’histoire d’Alexander Wang qui fascine l’Amérique. Un jeune prodige devenu superstar de la mode, propulsé par Anna Wintour et Diane von Furstenberg sur le devant de la scène. Agé de seulement 32 ans, le créateur taiwano-américain semble appliquer les préceptes de réussite ralphlaurenesque en investissant sur son nom et en jouant la carte du business en famille.
Fait rare pour un créateur, le jeune Wang a le sens des affaires. Depuis plus de dix ans, le designer à la tête de son empire éponyme, entreprise totalement autofinancée, distille sa vision de la mode ultra technique. Sa garde rapprochée se compose de ses parents, également propriétaires de la marque et qui siègent au conseil d’administration, de son frère Dennis Wang et de sa belle-sœur, Aimie, respectivement directeurs commercial et marketing la maison. Un empire qui affiche déjà au compteur un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions de dollars.
À l’heure où toutes les marques sont en quête d’un ADN qui fait vendre, les entreprises familiales dégainent leur histoire de famille, comme une botte secrète, garante d’authenticité et de savoir-faire.
Comble de l’ironie, les groupes LVMH et Kering, les deux fleurons du luxe qui détiennent à eux-seuls les plus grandes griffes de mode du monde, de Louis Vuitton à Saint Laurent en passant par Fendi et Gucci, reposent aussi sur des modèles économiques de réussite familiales, prévues pour prospérer de génération en génération. Force est de constater ici que le business à la sauce patriarcale joue la carte du long terme et de la croissance pérenne Et si finalement la famille était devenue le nouveau symbole de réussite durable ? Reste à s’assurer, avec le temps, de la véracité d’un vieux dicton moyenâgeux qui affirmait que « bon sang ne saurait trahir ».