Que faut-il retenir de la Fashion Week de Paris été 2020 ?

Article publié le 4 octobre 2019

Photo : Marine Serre printemps-été 2020.
Texte : Henri Delebarre.
04/10/2019.

Des cols oversized aux hommes en talon en passant par le premier défilé du label sud-coréen Kimhékim au sein du calendrier officiel, voici ce qu’il ne fallait pas manquer lors de la dernière Fashion Week de Paris printemps-été 2020.

Si la Fashion Week de Paris est la dernière du Fashion Month, un marathon débuté le 6 septembre dernier à New York, elle est aussi la plus longue des semaines de la mode avec, cette saison, 76 shows inscrits au calendrier officiel et un nombre incalculable de défilés off et de présentations. Programmée sur neuf jours, cette nouvelle édition pour la saison printemps-été 2020 a été marquée par l’arrivée de Kwaidan Editions ou encore du label Kimhékim, qui faisait ses premiers pas dans le calendrier de la FHCM. Davantage réputée pour héberger de grandes maisons à l’héritage conséquent, la Paris Fashion Week a ainsi eu un rôle à jouer dans la mise en avant de nouveaux talents émergents, parmi lesquels figurent également Nicolas Lecourt Mansion, lauréat du prix du label créatif de l’ANDAM cette année. De son côté, le créateur émérite Christian Lacroix faisait son grand retour, invité a collaborer sur la collection du Flamand Dries Van Noten. Grandes maisons et jeunes pousses étaient également toujours plus nombreuses à interroger leur impact sur l’environnement et tentaient d’adopter des pratiques visant à le réduire. Stella McCartney concevait ainsi une collection à 75% « sustainable », Marine Serre utilisait la métaphore de la marée noire et Givenchy récupérait de vieux jeans pendant que Dior promettait de replanter les arbres du décor de son show. Entre le souffle des années 70 qui a ramené les cols pelle à tarte et a conduit à l’exagération de leurs dimensions, le retour surprenant de la crinoline et des robes à paniers ou encore la présence de nombreuses pièces perforées, voici ce qu’il ne fallait pas rater lors de cette Fashion Week de Paris printemps-été 2020.

Les pièces : perforées

Plutôt que de dévoiler le corps en ayant recours à des décolletés plongeant, cette saison les créateurs ont pour la plupart privilégié les découpes, le plus souvent en forme de cercle, pour exposer la chair et mettre au jour des parties du corps d’ordinaire dissimulées. Chez Off-White, tops et pantalons étaient comme percés de hublots disposés sous la poitrine, aléatoirement le long de la jambe ou sur chaque hanche pour souligner la taille par un effet d’optique. Un procédé que l’on retrouvait chez Guy Laroche, tandis que chez Paco Rabanne et Chloé, Julien Dossena et Natacha Ramsay-Levi déplaçaient ces fenêtres sur corps au dessus de la poitrine. La créatrice britannique Stella McCartney y avait quant à elle recours sur un T-shirt et un pull bigarrés de rayures colorées. Enfin, chez Maison Margiela, manteaux, blazers et pantalons de costume semblaient avoir été découpés à l’emporte-pièce. Alternant entre vide et tissu, les pièces s’animaient de motifs circulaires disposés à intervalles réguliers, qui faisaient écho aux pois présent ailleurs dans la collection.

Photos de gauche à droite : Maison Margiela été 2020, Off-White été 2020, Paco Rabanne été 2020, Stella McCartney été 2020.

Les sacs : extrêmes

Chez Off-White, où Virgil Abloh était absent pour la première fois, encouragé par son médecin à rester chez lui à Chicago pour se reposer, ces découpes arrondies se retrouvaient en nombre sur des sacs à main qui permettaient aux mannequins d’y introduire leurs bras. Ainsi perforé, l’accessoire se moquait de son rôle de contenant et prenait l’allure d’un morceau de gruyère pour rendre hommage aux chapeaux en forme de morceaux de fromage portés par les supporters de l’équipe de football américain du Wisconsin, État où Virgil Abloh a suivi ses études d’ingénieur en génie civil. Aussi étrange soit-il, ce lien entre sac à main et couvre-chef (développé dès la saison dernière par Jonathan Anderson avec des sacs à mains-casquettes) se retrouvait au défilé Nina Ricci où certains mannequins portaient des sacs en forme de seau de plage qui, une fois à l’envers, devenaient de volumineux chapeaux.

Chez Louis Vuitton, pour clore cette Fashion Week mardi 1er octobre, Nicolas Ghesquière opérait quant à lui un nouveau retour vers le futur et rembobinait la cassette de l’Histoire pour s’arrêter sur la Belle Époque et les années 70, fusionnant l’esthétique de ces deux périodes à travers des silhouettes agrémentées de minaudières en forme de VHS étiquetées « A trunk to the future » ou « La Malle Idéale ». Chez Balenciaga, désormais seule et unique marque dont il pilote les collections, Demna Gvasalia marchait dans les pas d’Alessandro Michele – qui avait récemment imaginé des sacs en forme de tête de Mickey pour Gucci – et présentait des sacs Hello Kitty. De son côté, Marine Serre chargeait les biceps de sacs à dos miniaturisés tout en continuant à présenter ses désormais traditionnels sacs-ballons que l’on retrouvaient chez Sacai sous la forme de mappemondes. Allongé, étroit et rigide chez Y/Project où sa forme évoquait les malles de voyage du XIXème siècle, le sac était à l’inverse gigantesque et souple chez Rokh et Afterhomework, qui jouaient eux aussi avec les proportions.

Photos de gauche à droite : Rokh été 2020, Louis Vuitton été 2020, Nina Ricci été 2020, Off-White été 2020.

L’invitée surprise : la crinoline

Réintroduite à Londres par le créateur anglais Matty Bovan, la robe à paniers façon Marie-Antoinette est (avec son héritière, la robe à crinoline du XIXème siècle) de loin la tendance la plus inattendue de cette saison. À Paris, c’est Rick Owens qui a ouvert le bal avec des manteaux volumineux en coton plissé, associés à des coiffes sculpturales qui rendaient hommage aux origines mexicaines de sa mère. Chez Thom Browne, l’influence du XVIIIème était plus littérale. Après s’être inspiré pour l’automne-hiver 2018 d’Elisabeth Vigée-Le Brun, peintre de la reine Marie-Antoinette, le designer américain faisait défiler ses mannequins dans des tenues pastels surmontées de paniers laissés apparents ou recouverts, au milieu d’un jardin fait de fleurs en coton gaufré directement inspiré de celui du château de Versailles. En juin dernier, Thom Browne avait déjà eu recours aux paniers d’une manière plus genderfree pour son défilé homme, où certains mannequins étaient vêtus de robes à la française et avaient le visage poudré.

Chez Loewe, ce n’est pas la cour française mais celle espagnole qui semble avoir inspiré à Jonathan Anderson ses robes en dentelle aux hanches exagérées, qui évoquaient avec subtilité les fameuses Ménines de Velásquez. Enfin, chez Balenciaga, Demna Gvasalia avait recourt à la crinoline sur des robes à manches longues en velours monochrome bleu, rouge ou noir qui conféraient aux mannequins une allure hiératique pour réinterpréter les créations architecturales du fondateur de la maison, inspirées par la peinture de la péninsule ibérique (jusqu’au 22 septembre, le musée Thyssen-Bornemisza de Madrid présentait une exposition intitulée « Balenciaga et la peinture espagnole »).

Photos de gauche à droite : Balenciaga été 2020, Andreas Kronthaler for Vivienne Westwood été 2020, Rick Owens été 2020.

Les cols : oversized

Allongé et aiguisé ou arrondi et agrandi, le col était le point sur lequel se concentrait l’expérimentation cette saison. Ramené par la vague années 70 qui s’est abattue sur les podiums, le col pelle à tarte était ainsi omniprésent et soulignait les épaules déjà marquées du tailoring de Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton, Anthony Vaccarello chez Saint Laurent ou encore Julien Dossena chez Paco Rabanne. Chez Loewe, Jonathan Anderson l’étirait à l’horizontale ou à la verticale et le bordait de guipure sur une longue robe blanche monacale – qui n’était pas sans évoquer les portraits de Velasquez et les racines espagnoles de la maison. Chez Lanvin, son ancien poulain Bruno Sialelli agrémentait certains de ses manteaux amples (présentés dans les jardins du musée du quai Branly) de larges cols aux couleurs contrastantes.

Pour leur seconde collection chez Nina Ricci, Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter sont (avec le créateur japonais Kunihiko Morinaga du label Anrealage) sans doute ceux qui ont le plus exagéré les dimensions des cols. Présentée au Palais de Tokyo lors d’un show durant lequel un rideau de pluie scindait le podium installé à l’intérieur en deux, la collection comportait des chemisiers en coton ou en soie épaisse aux couleurs acidulées, dotés de cols si longs qu’ils recouvraient le haut du dos et les épaules. Enfin, chez Victoria/Tomas, les cols pelle à tarte des chemises fermées par des boutons pression étaient découpés de chaque côté comme s’ils avaient été grignotés.

Photos de gauche à droite : Anrealage été 2020, Paco Rabanne été 2020, Nina Ricci été 2020, Victoria Tomas été 2020.

Les hommes : en talons

Si cette Fashion Week était avant tout consacrée à la présentation des nouvelles collections féminines, à l’heure où s’impose le genderfluid et où les marques sont toujours plus nombreuses à concevoir des collections mixtes, l’homme se libère peu à peu des carcans de la virilité qui voudraient l’empêcher de porter des robes, des jupes ou encore des talons. Ainsi, chez Maison Margiela, où John Galliano invite régulièrement ses mannequins masculins à enfiler des chaussures qui en sont dotées, tous les modèles étaient juchés sur des bottes ou des escarpins, quelque soit leur genre. Un traitement identique et égalitaire qui rappelait par la même que les vêtements, en tant qu’objets, sont intrinsèquement asexués. Clôt par le mannequin berlinois de 20 ans Leon Dame dont la démarche a immédiatement fait le buzz sur Instagram, la collection réinterprétait et déconstruisait les uniformes des infirmières ou des militaires ayant œuvré pour la liberté lors des deux guerres mondiales, et diffusait un message d’espoir bienvenu à l’heure de l’exacerbation des nationalismes portée par certaines politiques d’extrême droite.

Chez Mugler, où Casey Cadwallader présentait une collection qui se nourrissait abondamment de l’univers de la corsetterie – dans le prolongement de l’héritage sexy de la maison -, tous les mannequins arboraient les mêmes sandales à talons et bouts pointus, qu’il s’agisse de la top Bella Hadid, de la mannequin intersexe d’origine belge Hanne Gaby Odiele ou des modèles masculins. Le designer américain, aux commandes de la maison française depuis 2017, est cependant venu saluer en sneakers, contrairement à Rick Owens qui, à la fin de son défilé, apparaissait en haut des escaliers du parvis du Palais de Tokyo dans la même paire de bottines à plateformes que ses « prêtresses aztèques », coiffées de cornettes futuristes. À leur manière, tous semblaient porter le même message : que l’égalité réside aussi dans la remise en question de la binarité.

Photos de gauche à droite : Rick Owens saluant à la fin de son défilé été 2020, Mugler été 2020, Maison Margiela été 2020, Mugler été 2020.

Le label à suivre : Kimhékim

Alors que la Fashion Week de Londres est réputée pour être un vivier de jeunes talents débordant de créativité, la Fashion Week de Paris peut désormais rivaliser grâce à une nouvelle vague de designers, pour la plupart asiatiques, qui sont de plus en plus nombreux à élire la capitale française pour dévoiler leur travail. Fondé en 2014 par le créateur sud-coréen de 33 ans Kiminte Kimhekim, le label Kimhekim est l’un d’entre eux et faisait son entrée dans le calendrier officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode cette saison.

Présenté lundi 23 septembre au premier jour de la Fashion Week de Paris, le défilé Kimhekim printemps-été 2020 intitulé « Attention Seeker » a tout fait pour attirer l’attention. En ouverture du show, le premier mannequin déambulait le visage dissimulé derrière d’épaisses lunettes noires dans un simple jean associé à un T-shirt logoté, en tenant dans sa main droite un pied à perfusion sur roulettes, relié à son avant-bras. Plus loin, accompagné du même accessoire, un autre semblait sortir directement de sa chambre d’hôpital et portait un T-shirt cette fois flanqué du mot « Sick » (« malade » en anglais), tandis que plusieurs silhouettes défilaient avec leur perche à selfies. Une méta-critique de la mode, nombriliste et au bord du burn-out, épuisée par le rythme effréné qu’elle s’est elle-même imposé ? Après les camisoles de force revisitées par Alessandro Michele à Milan, sur les réseaux sociaux certains s’insurgent cependant sur la récupération par la mode de l’univers hospitalier et des maladies.

Diplômé du Studio Berçot en 2009 et passé chez Balenciaga époque Nicolas Ghesquière, Kiminte Kimhekim proposait également des chemises et des vestes de costume gigantesques « pour attirer l’attention avec élégance ». Immense, un pantalon de costume engloutissait quant à lui le corps du mannequin qui le portait à la manière d’une combinaison bustier. Tout aussi oversized, les nœuds XXL en organza transparent chers au designer sud-coréen s’invitaient sur des pièces mêlant les techniques traditionnelles coréennes et les savoir-faire de la couture française. Dominée par le noir, comme de nombreuses collections cette saison, le défilé revisitait également le tailoring et l’esthétique corporate sur des vestes de tailleurs, parfois en cuir vegan, fermées sur le côté par de grosses perles ou recouvertes d’étiquettes du label.

Photos de gauche à droite : Kimhékim été 2020.

L’outsider : le bermuda

Saison estivale oblige, de Saint Laurent à Chanel en passant par Olivier Theyskens, Isabel Marant ou Dior, une pléthore de micro-shorts a également envahi les podiums. Mais une autre alternative au pantalon plus surprenante s’est également immiscée dans les collections : le bermuda. Tout juste débarqué à Paris, le label new-yorkais Telfar proposait ainsi pour son défilé-spectacle organisé au théâtre La Cigale une série de spécimens hybrides, qui fusionnaient le denim et la toile de coton utilisée pour la confection de pantalons cargo. En jean, la culotte courte apparaissait tour à tour aux défilés de Chanel, Celine par Hedi Slimane, Saint Laurent mais aussi de Givenchy où, s’inspirant du New York des années 90, Clare Waight Keller utilisait des jeans recyclés de cette époque. Façon tailoring, plusieurs silhouettes mêlaient également le bermuda à une veste de blazer portée à même la peau. Une association que l’on retrouvait chez Ottolinger ou chez Saint Laurent (à nouveau), sur un smoking noir entièrement rebrodé de sequins. Chez Rochas et Lacoste, où Louise Trotter présentait sa deuxième collection, le bermuda était cette fois proposé en version oversized.

Photos de gauche à droite : Chanel été 2020, Ottolinger été 2020, Telfar été 2020, Givenchy été 2020.

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