Le simple nom de ce chausseur espagnol évoque à chacun un souvenir différent. Celui d’une chaussure marron à lacets ou d’une paire de talons futuristes. C’est entre ces univers qu’oscille avec talent depuis 2014 le créateur français Romain Kremer après qu’il a accepté le défi de prendre la direction artistique de Camper. La transformation est sans appel et le résultat un succès retentissant. Rencontre.
Antidote : Comment avez-vous procédé pour la refonte de Camper ?
Romain Kremer : J’ai passé beaucoup de temps à Majorque où est basée l’entreprise. Il y a eu trois étapes. La première année, on a commencé à travailler sur la collection plus d’un an avant qu’elle ne soit sur le marché. J’ai vraiment insisté en amont sur le changement d’identité du produit. Je faisais des allers-retours entre Paris et là-bas. Une fois que les collections ont commencé à sortir, on a travaillé sur le positionnement. J’y ai passé un an et demi au final. C’était assez marrant au départ, après avoir passé 10 ans à Paris à faire des défilés les uns après les autres, forcément, c’est assez agréable.
Je viens de la mode, je fais des vêtements pour hommes et là je me retrouve avec un challenge plutôt étrange qui consiste à diriger une marque de chaussures « mainstream », avec des produits et une image qui à la base ne me plaisent pas du tout. Au-delà de ça, j’adorais la famille, l’ADN de la marque, et puis je les connais depuis plusieurs années parce que je faisais des collaborations avec eux à l’époque de ma marque.
Je me rappelle les premières saisons par exemple, pendant la Fashion Week d’octobre, j’étais sur la plage sous 30°C pendant que tout le monde postait tous les shows. J’avais l’impression d’avoir de la chance à ce moment là, je voyais des mecs avec les derniers manteaux de la saison alors que moi j’étais encore avec mon maillot de bain de l’été précédent.
Ça me faisait du bien de changer un peu de vie et de conditions mais au bout d’un moment, j’en ai eu marre. Finalement tu t’habitues à tout, au début je trouvais incroyable de voir la mer de mon lit, et maintenant que j’y suis, je ne la regarde même plus.
Mais c’était important d’y être et d’aider le CEO de la boîte avec qui j’entretiens de bons et proches rapports. Il était nécessaire de voir comment tout fonctionne pour savoir comment restructurer la boite, comme toutes les décisions sont prises de là-bas. Je pense que mon degré d’investissement leur a donné beaucoup de confiance.
J’aurais pu faire d’autres trucs à côté si j’avais voulu, des fringues ou autre mais j’ai moi-même décidé que j’allais le faire de façon exclusive. Quand je fais quelque chose, j’aime bien le faire jusqu’au bout, je n’avais pas envie de juste leur faire une jolie enveloppe, deux trois chaussures cool et puis ciao, ça n’aurait pas marché.
Photo : Romain Kremer par Bret Lloyd.
Pourquoi avoir accepté de reprendre la marque ?
Je suis convaincu que beaucoup de gens ont pensé que j’en avais marre d’être dans le circuit de la mode et que je m’étais trouvé une planque cool au bord de la plage, alors que c’est un vrai challenge pour moi. Le choix de venir chez Camper était vraiment créatif et délibéré, ce n’était pas un choix financier ou parce que j’en avais marre de ce que je faisais. J’ai envie que les gens voient Camper autrement. Je prends toujours des décisions assez radicales, et je trouvais que c’était intéressant d’avoir d’autres outils entre les mains. J’avoue que je ne m’étais pas rendu compte de l’ampleur de la difficulté au début, mais ça m’a plu. C’est un travail qui nécessite également de regarder le business plan et comprendre comment ils sont structurés et comment modifier.
On ne peut pas dire que la partie créative soit secondaire, mais il faut bien comprendre que tu travailles pour une entreprise qui a besoin de revoir son approche globale sur le marché, ce n’est pas seulement repenser le design. Ils avaient une manière de fonctionner très méditerranéenne, très relaxe, ça a marché pendant longtemps mais aujourd’hui ce genre de différence, c’est un atout en termes d’image, de sensibilité, mais c’est aussi une contrainte en termes de compétition et de concurrence. Ça leur a fait du bien de voir arriver quelqu’un comme moi qui voyais les choses différemment, et qui en plus ne venait pas de la chaussure mais de la mode.
Je suis quelqu’un qui aime aller jusqu’au bout, il fallait accepter les périodes de transition avec des choses qui ne seront peut-être pas en accord avec ce qu’on essaye de raconter, et d’être patient. Il faut trouver le bon équilibre entre être trop loud et trop discret. Quand je suis parti de Mugler [où il s’occupait de la division homme aux côtés de Nicola Formichetti], il y avait des gens de la mode masculine qui me suivaient, qui me regardaient en se disant : « qu’est ce qu’il va faire là bas, qu’est-ce qu’il va se passer ». C’est vrai que ça a pris du temps, mais ça commence à prendre forme.
En quoi est-il différent de faire des chaussures par rapport à de la mode ?
Chaque année, je pourrais donner une réponse différente. J’ai toujours aimé réfléchir à une silhouette globale, un ensemble. J’ai dû retrouver une autre manière de penser créativement à travers le simple objet qu’est la chaussure. J’ai eu du mal à ne regarder que les pieds, surtout que je ne suis pas vraiment fétichiste. En sachant en plus que c’est une marque qui ne fait pas que du sport, ou que du cuir. Il y a homme, femme, enfant, habillé, talons, sneakers, etc. Il y en a pour tout le monde. Quand je suis arrivé là-bas, je pensais aux pubs de Bruce Weber pour Ralph Lauren, avec la grand-mère, le chien, le fils, les petits-enfants. J’avais cette image de famille, il fallait essayer de penser à tout le monde et ne pas être dans un truc trop centré mode, masculin, pointu, gay… C’est clair que les fringues que je faisais avant, ce n’était pas pour le hipster hétéro, c’était plus pour les gens un peu taré de Tokyo ou Londres, ce n’était pas ultra mainstream.
Comment vous êtes-vous justement adressé à des identités différentes et plus nombreuses ?
Il faut faire tellement de types de chaussures et je trouve que c’est finalement assez agréable de projeter plusieurs typologies de gens : des potes, ma mère, des passants que je vois dans la rue. Ça me fait penser à un travail un peu comme Martin Parr ou au livre Exactitudes de Ari Versluis, Ellie Uyttenbroek où il n’y a que des portraits par typologie. Je retrouve un peu ce côté-là, je peux prendre n’importe qui dans la rue et lui faire une chaussure Camper. J’essaie de rassembler tout ça et d’apporter une direction unique, la collection est quand même uniforme. Camper existe depuis quarante ans, ils ont passé vingt ans en Espagne seulement et l’explosion est arrivée avec cette chaussure Pelotas. D’un coup, ils ont commencé à ouvrir partout. La première boutique hors Espagne a été créée à Châtelet à Paris, et puis après Londres, l’Italie, l’Asie. Ils ont commencé à vendre leurs chaussures dans un autre environnement, avec d’autres marques. Ça te permet de mieux imaginer comment elles peuvent être portées et associées à d’autres vêtements, ça aide à comprendre le produit.
Campagne Camper Automne-hiver 2014-2015, la première sous la direction de Romain Kremer.
Photo, Romain Kremer. Artwork, Nicolas Santos
Comment faites-vous pour satisfaire autant les clients originels de la marque que la nouvelle clientèle ?
La marque a été créée en 1975, le premier jour après le décès de Franco. Ça en dit beaucoup sur l’esprit et l’énergie qu’ils voulaient insuffler. Les vingt premières années ont été vraiment très créatives. Le fondateur faisait partie de la Movida à Madrid aux côtés des artistes. Il y avait vraiment une sensation de liberté, et ça s’est traduit en chaussures par des trucs assez fous en termes de formes, de recherches, etc. J’ai adoré les années 1990 parce qu’il y avait toute l’évolution du tourisme en Espagne, l’émergence de la musique électronique.
Et puis il y a eu ces quinze dernières années où ils sont partis dans un délire un peu bio, anatomique, ergonomique. Ça rentrait un peu dans cette nouvelle hype du bio d’il y a 12-15 ans, maintenant c’est devenu une banalité. Sauf qu’ils sont partis à fond là-dessus, ce qui a eu pour effet de fédérer autour d’un mode de vie plutôt qu’autour d’un style en sens esthétique du terme. Ils ont toujours été un peu liés à l’architecture, au design industriel, mais jamais vraiment à la mode finalement. Ils ont toujours réussi à faire sans, ils n’étaient pas intéressés par le côté mode, mais malgré tout les produits, eux, l’étaient.
Ce que j’ai essayé de faire, que ce soit dans les campagnes ou les collections, c’est de montrer ce qui fait que Camper n’est ni Berluti ni Nike. En ce qui concerne les prix, ça n’est pas cheap, mais pas aussi cher que des marques a priori concurrentes, à qualité équivalente. En termes de création, il n’y a pas de limites, donc je trouve qu’on a vraiment un positionnement assez génial. Tu peux créer des choses fortes, de qualité, avec un prix qui peut convenir à tout le monde. Ce qui m’intéressait, c’était de retrouver cet ADN de sens de l’humour – par exemple ils vendent très bien les chaussures colorées et je trouvais ça hallucinant car on en voit peu.
Donc la clientèle fidèle, notamment les Espagnols, qui connaissent bien la marque, comprennent très bien ce que j’essaye de faire. Ils savent que Camper, ce n’est pas juste la chaussure marron de prof d’arts plastiques. C’est plus compliqué dans des pays où la marque est arrivée avec un certain produit et qui d’un coup voient un changement d’identité assez radical.
Je pense avoir cerné la clientèle. J’aime bien le malentendu. Je trouve que dans la mode, il y a toujours cette espèce de malentendu ; il y a toujours ces gens très pointus et qui comprennent l’intention de la création et l’essence. Et puis il y a ceux qui suivent ceux qui sont cools et qui ont juste envie d’avoir la marque, et c’est avec ceux-là que tu fais ton business. J’aime bien l’amalgame, une chaussure peut très bien être portée par une fille super cool, que portée par une cliente qui va trouver ça rigolo. Il y a deux lectures.
« Je regarde tout le temps les pieds des gens maintenant c’est devenu un enfer. Déformation professionnelle ! »
Qu’essayez-vous de raconter avec Camper aujourd’hui ?
Quand j’ai commencé tout le monde me disait : « Ah, Camper, c’est cool comme marque », mais c’est cool pour quoi ? Parce qu’on la voit partout, parce que les boutiques sont super belles, super design, mais ça ne veut pas forcément dire que tu te sens concerné. Moi le premier. Quand on m’a appelé, j’aimais bien la marque dans l’idée, mais je ne savais pas ce qu’était le produit, je n’étais jamais entré dans une boutique. Je savais que ce n’était pas pour moi, mais pour autant, j’appréciais la marque.
Tout le monde peut s’y identifier. Je suis content maintenant parce que je vois les gens porter les chaussures. Je regarde tout le temps les pieds des gens, c’est devenu un enfer. Déformation professionnelle. C’est vrai qu’il y a encore du travail. Je pense qu’il faut ré-éduquer, ré-expliquer tout ça, l’intégrité de la marque, l’histoire avec cette famille, ces gens. Ce n’est pas le genre de grosse marque horrible qu’on trouve en Espagne. Le genre de businessmen et de CEO qui vendaient des machines à laver, qui vont vendre des manteaux pendant 5 ans et après ils vont faire autre chose. Là, il y a vrai savoir faire et un vrai positionnement que je trouve unique. On pourrait peut-être comparer avec Clarks, Doc Martens ou même Timberland. Sauf que toutes ces marques-là ont une icône, un best-seller, qui en plus est toujours un peu lié à un mouvement de mode. Doc Martens c’est les punks, Timberland c’est le hip-hop. Chez Camper, il n’y a pas ça. Alors, il y a une image en tête et qui est assez connotée, mais c’est plus comme Uniqlo pour moi : un gros truc qui marche mais qu’on n’associe pas à un seul produit.
Aimeriez-vous créer le produit iconique de Camper ?
Oui bien sûr. C’est vrai que je suis en train de me diriger de plus en plus vers la sneaker, mais d’une manière assez hybride, qui fait référence au sport sans être forcément là pour la performance. Même si techniquement tu peux tout à fait faire du sport avec, on ne communique pas dessus parce qu’on n’a pas envie de rentrer dans le running. Quand tu vois la campagne de la saison dernière, c’est un couple de glaise qui s’embrasse, ce n’est pas vraiment sportif. Après il y a encore autre chose, c’est que Camper a longtemps été connu surtout pour le confort de ses chaussures, et personnellement je pense que le confort, c’est de l’expérience, pas une communication.
On sait tous qu’il y a des marques pas confortables, on le sait et on s’en fout. Mais quand tu achètes quelque chose et qu’en plus il y a une qualité et un confort, t’es encore plus content et tu reviens. Donc je me suis un peu éloigné de ce truc de confort, les gens en feront l’expérience en l’achetant mais ce n’est pas ça qui va les faire venir au début. Ils viendront parce qu’elles sont belles, parce qu’elles sont cools. Pour nos talons par exemple, les filles hallucinent parce que toutes les semelles sont extra-light. Visuellement, il y a ces gros talons vraiment intenses mais quand tu les portes, ils pèsent trois grammes. Il y a beaucoup d’atouts dans la technicité, ce qui n’est pas forcément le cas des maisons de luxe qui font plutôt des chaussures pour le style, qui font 35 kilos et qui te font saigner pendant une semaine quand tu les mets…
Campagne Camper printemps-été 2017.
Direction artistique, Romain Kremer. Photo, Daniel Sannwald. Stylisme, Anna Trevelyan. Coiffure, Charlie Le Mindu. Maquillage, Isamaya Ffrench
Pourriez-vous créer une ligne de vêtement pour Camper ?
Oui. On a commencé à faire des sacs depuis deux ans, mais sans vraiment communiquer dessus, sans boutique, c’est une petite collection. Mais oui, pourquoi ne pas faire des vêtements pour eux, je pense qu’il y a vraiment quelque chose à faire, dans le technique et dans le vêtement un peu fonctionnel. Mais si on commence à faire des vêtements, ça demanderait une vraie restructuration, il faudrait revoir toutes les boutiques, etc. C’est quelque chose qu’ils ont envie de faire et auquel on pense, mais je n’avais pas envie de trop en même temps. Si on fait des vêtements, j’ai envie qu’il y ait une réalité à ça, avec un positionnement identique aux chaussures : c’est à dire un produit hyper créatif avec un prix assez cool. Ils ont réussi à créer ça avec la chaussure, avec le vêtement, c’est moins évident, notamment au niveau de la production. Et tant que je serai là, je n’ai pas envie qu’on fasse de la copie pas chère de grandes marques. Je ne suis pas là pour ça, je suis là pour apporter mon propre truc.
Si vous deviez faire un bilan, de quoi seriez-vous le plus fier ?
Je suis content d’avoir eu la patience de ne pas trop tomber dans l’élitisme, j’espère avoir trouvé un juste milieu et de ne pas n’avoir pensé qu’à moi, et d’avoir boosté la marque pas forcément pour des gens auxquels j’ai envie de m’adresser en premier, et de jouer justement sur cet amalgame là. Je trouve que nos campagnes explorent cette frontière, elles sont très fortes et ont leur place dans un magazine.
À l’époque, je pense que les campagnes étaient un peu plus mainstream et commerciales. Les dernières années, elles étaient plutôt plates mais c’est vrai qu’ils ont un historique de communication qui est génial. Si je suis là-bas, ce n’est pas par hasard, je pense qu’ils ont trouvé en moi ce côté un peu je-m’en-foutiste, je ne cherche pas à plaire. Et je pense qu’ils ont toujours été comme ça, c’est vraiment notre point commun numéro un.
La création a aujourd’hui pris le dessus sur la perception que l’on avait de la marque. Ça c’est un peu un pari réussi de mon côté. Il y aussi le fait d’avoir réussi à convaincre de faire des images qui se sont retrouvées affichées en 25mx25m en plein milieu de Barcelone, dans une campagne où l’on ne voit même pas le produit mais juste un chien. On l’a fait aussi avec une vierge, un léopard… Ce qui était important pour moi c’était de trouver un point d’ancrage entre les gens qui aiment l’art plastique, les arts appliqués, l’architecture, le design, et la mode. Je trouve que ces campagnes ont un langage qui n’est pas dans une politique actuelle du « tu dois ressembler à ça pour porter ça ». Ce n’est pas un problème bien-sûr, j’ai passé dix ans à faire ça, mais je trouve que ce n’était pas la marque pour faire ça.
J’ai l’impression qu’il n’existe pas chez vous et chez Camper une vision unique de la beauté. Vous êtes une sorte d’équilibriste entre le beau et le moche, le bon et le mauvais goût…
C’est un peu l’histoire de ma vie. Tu vois ce week-end, j’ai regardé Koh Lanta, samedi j’ai regardé The Voice, et à côté de ça, je lis des grands écrivains. Ce que je veux dire c’est que j’ai toujours aimé cette frontière, cette dualité entre ce qui est beau et ce qui est moche. Camper vient de Majorque, c’est une île sublime avec toute une partie au nord qui est très bourgeoise avec des gens qui vivent un peu cachés, des artistes, des écrivains, des célébrités… Et à côté, tu as la partie mass market horrible avec des gens qui viennent en vacances all inclusive. Tu retrouves cette dualité sur l’île avec un côté très posh, et à la fois super trash. Quand je suis là-bas, j’oscille entre les deux. Je peux très bien aller boire un café avec des gens très bien l’après-midi, et le soir aller à Magaluf où il n’y a que des anglais bourrés de seize ans qui se vomissent dessus. Les candidats de Jersey Shore sont tout le temps là-bas, je les vois sans cesse. C’est comme ça que je vois l’île, il y a la beauté, la nature, et puis le côté très méditerranéen trash de l’été. Quelque part, ça m’a inspiré pour le produit, ce mélange entre l’authenticité et le côté futile, furtif des vacances où tout est permis et où tout ce qui se passe à Magaluf reste à Magaluf.
Court-métrage Island, issu de la collaboration entre Campetr et Ekhaus Latta automne-hiver 2016, entièrement tourné à Majorque.
Quel est désormais la suite pour Camper après que vous avez transformé les lignes, avez ouvert de nouvelles boutiques, revu les campagnes de communication ?
Maintenant, ce qui m’intéresse, c’est de me concentrer sur la recherche de nouvelles manières de communiquer. On a pas tout fait encore en termes de comm’. Pour l’instant, on est resté sur des formats assez classiques. Par exemple là, on commence quelque chose avec la radio Rinse France : on va faire une résidence tous les mois dans les boutiques à Londres, où il y aura des Djs qui viendront jouer, avec des drinks, etc. pour que les gens se rassemblent autour de la musique et de la marque mais pas nécessairement autour du produit. C’est un exemple parmi d’autres mais le but, c’est de commencer à trouver des manières de continuer à avancer et à faire vivre le retail, les boutiques physiques et pas seulement le digital. Aujourd’hui, on essaye de créer de la vie autour de la marque.
On a aussi Camper Lab [la ligne plus expérimentale du label distribuée dans un réseau de boutiques dédié] qui fonctionne plutôt bien et cela rassure l’entreprise en lui prouvant qu’il est possible de vendre en quantité et en qualité. C’était vraiment mon challenge lorsque je suis arrivé.
Vous avez fait des collaborations avec Pierre-Ange Carlotti, Isamaya Ffrench et Eckhaus Latta. Peut-on s’attendre à de nouveaux partenariat ?
Oui, on refait une deuxième saison avec Isamaya. C’est un bon exemple. En fait, il y a eu un projet créé il y a 2 ans qui s’appelait Camper Together, ça a commencé avec Bernhard Willhelm, puis avec moi et pas mal de marques. C’était assez fort puisqu’ils étaient parmi les premiers à faire des collaborations. Aujourd’hui ça paraît évident, mais au départ ça ne l’était pas. Ils ont vraiment apporté ce côté très pointu de chaussures de créateurs, avec des choix assez extrêmes, mais à la portée de tous. Au départ, je travaillais avec Camper parce que je faisais des vêtements mais pas de chaussures, donc j’étais content d’en faire. Et après ça m’a hyper excité de voir qu’elles étaient vendues dans 400 boutiques dans le monde et que des gens achetaient mes godasses même si ils en avaient rien à foutre de qui j’étais, que je faisais des défilés à Paris avec des mecs à poil et du plastique, mais qui trouvaient juste la chaussure cool. Ce sont des gens que je n’aurais jamais pu toucher moi-même.
Que signifie aujourd’hui pour vous ce rôle de directeur de création ?
C’est une approche plus distanciée du produit. Avant je voulais toujours tout checker, ça m’a appris à lâcher un peu, donner des directions et voir ce qui sort, c’est plus un travail de chef d’orchestre, et c’est assez agréable finalement après avoir passé plus de dix ans en mode control freak. Et finalement aujourd’hui, ce qui m’intéresse chez Camper c’est de prendre cette position là et de pouvoir justement prendre du recul et pouvoir regarder aussi tout l’aspect comm’, et quelque part également l’aspect business, développement de la marque, commercial, comment la boite va s’étendre, comment elle va se restructurer en interne. Ce sont des choses qui ne se voient pas, ce sont des choses qui n’intéressent pas les gens, mais finalement tout le travail interne invisible, ça m’a étrangement presque autant plu. Je pense que c’est parce qu’avant j’avais ma propre boite et je savais ce que c’était de tout gérer du dessin à la production en passant par la livraison ou la compta, de devoir faire tout ça sur une échelle énorme, ça m’a franchement intéressé.
Quand je faisais des vêtements, il y avait vraiment une cohérence. Pour moi, un bon créateur ou DA doit être très impliqué dans le produit, même si il a une très bonne équipe. Si tu veux vraiment avoir un message très fort, si tu veux être très clair – par exemple comme Rei Kawakubo chez Comme Des Garçons, Nicolas Ghesquière partout où il est passé, Raf Simons, Helmut Lang, Yamamoto – tu vois la différence entre les gens qui ont vraiment les mains dans la matière, et ceux qui sont plus dans l’idée marketing. Je ne dis pas que l’un est mieux que l’autre, le résultat est vraiment très différent. L’un va te raconter une histoire, comme dans un film, avec une identité très précise. Et à l’inverse, il y a ceux qui regardent de plus loin et qui tapent juste, qui vont mettre tous les ingrédients pour faire en sorte que la marque fonctionne.
C’est sûr qu’il est difficile d’ignorer le côté commercial mais il y a aussi des gens qui ont un entourage très business pour pouvoir se concentrer sur la création, et puis il y a l’inverse aussi. C’est une balance à trouver. Chez Mugler, j’étais très protégé, j’étais en studio avec une équipe. Finalement, ça me manquait un peu de ne pas m’intéresser au reste. Là je peux faire plein de choses, j’ai pu designer des boutiques, on fait des campagnes qui sont présentes partout, c’est assez global et génial.
Découvrez le lookbook Camper automne-hiver 2017 photographié par Pierre-Ange Carlotti