Âgée de 22 ans, l’actrice autodidacte vient de remporter le prix du meilleur second rôle pour son rôle dans Divines. Rencontre avec Déborah Lukumuena, jeune femme au parcours atypique et furieusement passionné.
Fin février, les nominations des Césars 2017 tombent. Là, dans la catégorie de la meilleure actrice dans un second rôle, entre Nathalie Baye et Valeria Bruni Tedeschi, un nom moins habitué du cinéma français est dévoilé : celui de Déborah Lukumuena, qui incarne le personnage de Maimouna dans le film Divines de Houda Benyamina.
La jeune femme d’Épinay-sous-Sénart, autodidacte et découverte dans ce rôle gagne le prix, rarissime pour une première apparition. Pour cette même incarnation elle reçoit également la récompense de la meilleure actrice au festival de Carthage 2016, ex-æquo avec Oulaya Amamra, jouant le personnage principal ; puis le prix Lumières du meilleur espoir féminin 2017.
Âgée de 22 ans, Déborah est l’une des figures montantes d’un nouveau cinéma français. Elle apparaît dans le numéro Borders d’Antidote et répond aujourd’hui à nos questions sur les diverses frontières de son parcours.
Chemise en popeline, Maison Margiela. Manteau asymétrique à empiècements, Joseph.
Réalisation : Yann Weber. Casting : Élodie Yelmani. Maquillage : Tiziana Raimondo @ Atomo Management
Que symbolise ce prix pour toi ?
Je ne m’attentais pas à gagner ce prix, le simple fait d’être nominée dans cette catégorie me semblait déjà irréel.
Maintenant, je ressens une forme de responsabilité : je suis impatiente de montrer combien j’aime mon métier, son histoire, l’art de jouer, et que je ne suis pas là pour tout ce qui est autour.
J’ai envie d’aller voir d’autres univers. La série Les Tudors et l’interprétation de Jonathan Rhys-Meyer m’ont donné envie de jouer, alors un film à costumes pourrait être intéressant.
Tu es autodidacte : quelles sont les forces et les frontières d’un tel apprentissage ?
Je suis effectivement autodidacte. Avant de rencontrer Houda [la réalisatrice de Divines], je voulais m’inscrire dans un conservatoire de quartier. J’ai répondu à une annonce, je pensais initialement faire de la figuration et ce n’est que par la suite que j’ai appris que j’avais été retenue pour ce rôle.
Pour l’audition, on m’a fait faire une scène de deal, où le personnage principal accuse Maimouna de n’être pas digne de sa confiance. Ma réaction allait être le test. Le côté ingrat et le manque de reconnaissance de cette interaction sont des émotions qui m’ont touchée personnellement, qui m’ont guidée dans cet essai, et plus tard, au fil du rôle. C’était le début du long parcours d’une identification à celle que je jouais.
Aujourd’hui, je veux m’inscrire au conservatoire, mais ne veux pas perdre le côté autodidacte, la spontanéité, la naïveté et la fraicheur qui vont avec ; cela dit, ça peut s’entretenir et se travailler.
Quelles sont les frontières entre Maimouna et toi ? [spoiler]
Le personnage de Maimouna a suscité beaucoup de vives réactions. La première fois, c’était à Cannes, le 19 mai 2016, et on le voyait pour la première fois ; des critiques l’avaient déjà visionné et nous ont applaudis lorsque l’on est rentré dans la salle de projection, ils avait l’air tellement émus.
Encore aujourd’hui, des gens viennent me voir et me disent : « mais t’es pas morte ! ». Certains sont bouleversés, angoissés, touchés par le rôle – car le personnage le plus pur meurt et c’est pour ça que le film perturbe autant.
Pourtant, cette mort a un rôle narratif puissant qui apporte quelque chose au film : cette amitié est si belle, et Maimouna se sacrifie presque volontairement pour racheter les péchés de Dounia ; sa mort est la seule chose qui la fera finalement s’agenouiller, regarder le ciel et demander pardon à la fin du film, donnant à ce dernier une qualité presque christique. Le sort de mon personnage sert une fonction vitale au récit… et moi je suis encore en vie !
Sweatshirt nuisette en satin et dentelle, Fenty Puma by Rihanna. Pantalon en jersey, AMI Alexandre Mattiussi.
Réalisation : Yann Weber. Casting : Élodie Yelmani. Maquillage : Tiziana Raimondo @ Atomo Management
Ta vie a du radicalement changer : comment le vis-tu ?
Je savoure cet instant, ces prix, ces articles, on a travaillé dur pour en arriver là. Je suis néanmoins quelqu’un d’assez pragmatique et je pense à l’avenir. Je lis, je m’instruis, je regarde des films, pour construire une sorte de navire qui me portera jusqu’aux prochaines aventures. Ma mère est mon garde-fou, elle veille à ce que je garde les pieds sur terre, que je ne prenne pas la grosse tête. Je vis encore avec elle, là ou j’ai grandi. Je lis des scénarios, j’ai pris des masterclass de théâtre, je prends le temps d’observer et de réfléchir à mon futur.
Le cinéma a-t-il évolué ?
Il fait preuve d’une évolution lente mais qui est en marche, démontrant qu’il n’y a pas d’unique discours, couleur, talent, forme. En temps de tempêtes politiques, c’est très important.
Je suis moi-même un personnage assez atypique. Je suis une femme noire débutante et avec des formes, donc je sors de la « norme » dominante de quatre façons différentes. C’est donc un symbole merveilleux pour moi que d’être récompensée par ce César. Des personnes avec trois ou quatre de ces caractéristiques m’ont contacté pour me dire que ma mise en lumière avait été un message d’espoir, le début d’un changement.
T’intéresses-tu à la mode ?
Oui, mais elle est pleine de paradoxes et encore habitée par de grandes limites : elle a du mal à habiller des corps dépassant une taille 42. Néanmoins, j’aime beaucoup Jean Paul Gaultier, cet enfant terrible qui casse les codes et tutoie les sommets ; j’aime sa façon d’aller là ou on ne l’attend pas, faire de l’insolite, de l’inédit. Ce qu’il est à la mode, mon objectif est de l’être au cinéma.
Les photos de cet article sont extraites du Magazine Antidote : Borders été 2017