Trop souvent méconnue du public occidental, la photographie japonaise voit ses grands maîtres de la seconde moitié du XXe siècle réunis dans une exposition inédite à la Maison Européenne de la Photographie.
Au lendemain d’une Seconde Guerre Mondiale qui laissa le pays sur un champ de ruines, aussi littéral que figuratif, quelques années seulement après le choc nucléaire de 1945 et tout juste sorti de l’occupation américaine (qui dura jusqu’en 1951), le Japon panse ses plaies et entame sa reconstruction au sein du monde nouveau, entre conservatisme traditionnel et folie combustible qu’offrait la perspective d’une nouvelle société moderne. C’est dans ce contexte que la nouvelle garde de photographes japonais posent leur regard sur la société qui se dévoile sous leurs yeux et révèle alors leurs anxiétés et leurs douleurs aussi personnelles que générationnelles, plus qu’un témoignage social, ce sont les fêlures de leurs propres identités que cette génération va explorer caméra en main, l’intime devient alors leur matière première, et le Japon le décor de leurs odyssées respectives.
Naoya Hatakeyama, Blast #5707, 1998.
Célèbre pour son cliché d’une montre arrêtée à 11h02, heure symbolique de la catastrophe de Nagasaki, Shomei Tomatsu jongle sans distinction entre des sujets dramatiques et humoristiques, s’amuse à désacraliser la symbolique japonaise et oriente son travail autour du thème de la liberté. Hiroshi Yamazaki et Hiroshi Sugimoto déconstruisent notre vision de la nature pour un rendu subtil à la limite de l’abstraction. Mais c’est véritablement leur relation avec les femmes, ou plutôt leur absence, qui caractérise le mieux cette génération de maîtres de l’« ukiyo » photographique. Chez Miyako Ishiuchi, c’est sa défunte mère qui, pourtant absente, occupe tout l’espace par la grâce de ses reliques, vêtements, cheveux, objets. Seiichi Furuya lui documente avec obsession sa vie familiale avec son fils et sa femme Christine Gössler, atteinte de schizophrénie et qui finira par se défenestrer. Un sentiment similaire domine chez Masahisa Fukase qui consacra dix ans de sa vie à photographier avec amour sa compagne Yoko, avant de sombrer dans le sinistre à leur séparation pour ne laisser place qu’au chagrin incommensurable mis en images dans la série The Solitude of Ravens. Mais le maître incontesté du genre reste Nobuyoshi Araki, celui qui aura fait de sa vie une légende en appliquant la formule du « watakushi shosetsu » (le « roman du Je » en japonais). Son travail se lit comme un récit personnel où la pléthore de clichés pris, tout en reflétant la société japonaise, correspond à une éternelle confrontation de l’individu à la perte et à la possession amoureuse, lui qui restera profondément marqué par la disparition de sa femme. Les infinies déclinaisons du nu féminin deviennent alors sa signature.
Yasumasa Morimura, Daughter of Art History ( Theater B), 1990.
Au total, ce sont 21 photographes, 540 œuvres et 50 ans d’histoire – des années 1950 aux années 2000 – qui sont retracés en une seule et unique exposition rendue possible grâce au travail de la Maison Européenne de la Photographie en collaboration avec la société d’impression japonaise Dai Nippon Printing Co., Ltd. Dès 1992 et sous la houlette de son président Yoshitoshi Kitajima, la compagnie nippone rassemble pièce par pièce une impressionnante collection spécialement imaginée pour la MEP de Paris. Chaque année de 1994 à 2006, de nouvelles séries viennent garnir les archives de la MEP pour finalement constituer cette colossale collection qui donnera vie à l’exposition Mémoire et Lumière, à découvrir jusqu’au 27 août.
L’exposition Mémoire et lumière est à découvrir à la Maison Européenne de la Photographie, 5/7 Rue de Fourcye, Paris 4, jusqu’au 27 août.