Nouvelle promesse du cinéma français, Arnaud Valois joue un activiste de l’association de lutte contre le sida Act Up dans 120 battements par minute, un long-métrage de Robin Campillo récompensé du Grand Prix du jury à Cannes.
Suite à plusieurs petits rôles incarnés avec une présence magnétique, l’acteur de 33 ans a subitement tourné le dos aux projecteurs il y a huit ans, puis s’est concentré sur ses activités de masseur thaï et sophrologue… Avant de se réconcilier avec la caméra, et de livrer une superbe interprétation du deuxième personnage principal de 120 BPM, qui tombe amoureux d’un militant séropositif condamné par la maladie. Rencontre.
Antidote : À l’origine, qu’est-ce qui vous a poussé à vous inscrire au cours Florent pour devenir acteur ?
Arnaud Valois : C’était un rêve de gamin. Pas forcément le cinéma, mais le théâtre, être sur scène… À cinq ou six ans, j’adorais jouer aux spectacles de la kermesse. J’éprouvais un plaisir dingue, la première fois que je suis monté sur scène j’ai failli m’évanouir tellement c’était fort… Puis à 18 ans on m’a dit de faire du droit parce que j’étais un bon élève, et je n’ai pas envisagé de devenir comédien. Ensuite je devais terminer mes études à Paris, mais j’ai finalement tout abandonné pour suivre le cours Florent. J’avais été admis à la classe libre, un programme pour lequel dix filles et dix garçons sont sélectionnés chaque année, à qui la scolarité est offerte pendant deux ans. Je l’ai vu comme un signe, et après ça s’est enchaîné.
Bande-annonce et extrait du film 120 battements par minute
Selon Charlie de Nicole Garcia (2006) est le premier film dans lequel vous avez tourné. Il raconte le destin croisé de sept personnages, et vous avez joué l’un d’entre eux aux côtés de Benoît Poelvoorde, Vincent Lindon ou encore Jean-Pierre Bacri. Ce n’était pas intimidant ?
C’est très intimidant. Mais à vingt ans on a aussi l’impression que tout est normal. Je ne leur tapais pas dans le dos, mais ils étaient tous très bienveillants. C’était une expérience assez incroyable.
Le film a par contre été chahuté à Cannes, le montage a été repris avant sa sortie commerciale et plusieurs scènes avec votre personnage ont été coupées. Comment l’avez-vous vécu ?
C’était très dur. J’avais le sentiment de vivre une histoire de rêve avec Cannes et toutes les stars, et je croyais être sur une rampe de lancement. En fait pas du tout. Et j’ai su plus tard que Nicole Garcia a envisagé de supprimer mon personnage, pour resserrer l’histoire. Mais je me suis quand même un peu accroché au cinéma ensuite. Téchiné avait vu le film et m’a appelé deux ans après pour un petit rôle.
Vous avez décidé de tout arrêter après avoir joué dans son film La Fille du RER (2009). Quel a été le déclic ?
Je me demandais à chaque fois quand le « grand rôle » allait arriver. Et il ne venait pas. Puis j’ai joué dans Les Yeux de sa mère de Thierry Klifa, et j’ai été coupé au montage. C’était un tout petit rôle, et je n’ai rien contre Thierry Klifa, mais ce n’était plus possible, ça n’avançait pas… Je commençais à me sentir un peu triste, donc je me suis dit : « Tu as 25 ans et la vie devant toi, va voir ailleurs ».
Vous avez ensuite voyagé en Thaïlande, où vous avez suivi une formation pour devenir masseur thaï. Vous avez pris cette décision une fois sur place ?
Oui, au départ j’avais simplement pris la décision de partir là-bas. J’y suis d’abord resté un mois avec une amie, et j’ai eu un flash sur le pays, puis sur le massage. Et elle m’a dit : « Tu devrais essayer de faire une école, maintenant tu as du temps ». Il y en a une qui est très réputée en Thaïlande, Wat Pho, et j’y suis allé dans l’idée de vivre une aventure humaine, sans penser en faire mon métier. Et lors de ma formation j’ai pris un plaisir fou. Puis je suis rentré à Paris, j’ai commencé à masser des amis pour m’entraîner, et ils m’ont dit : « Tu as vraiment un truc, lance-toi ! ». Je l’ai fait, et trois semaines après j’étais presque complet.
Photo : Céline Nieszawer
Robin Campillo a repéré votre page Facebook il y a deux ans, et sa directrice de casting vous a proposé de passer des essais pour jouer dans 120 battements par minute. Pourquoi avez-vous accepté, alors que vous aviez arrêté le cinéma six ans plus tôt ?
Je leur ai d’abord dit que ça ne m’intéressait pas. Puis la directrice du casting m’a présenté le projet, et j’ai accepté parce que le sujet était engagé et fort.
Qu’est-ce que représentait Act Up pour vous à ce moment ?
Quelque chose de très visuel, comme la capote sur l’obélisque. Mais c’est en préparant le film que j’ai découvert l’identité de l’association, ce côté un peu skin, les Dr. Martens, les bombers…
« J’avais tout enterré, je pensais ne jamais revenir au cinéma »
En quoi ont consisté les séances de casting ?
On travaillait pendant deux heures à chaque fois, et il y en avait toutes les semaines, de début janvier jusqu’à mi-avril. On jouait une scène après l’autre, et j’ai même changé de rôle : j’ai incarné Thibault (le président d’Act Up dans le film, ndlr) deux fois, et puis je suis finalement revenu vers Nathan. En cours de route j’ai vu Eastern Boys, que j’ai adoré. Et j’aimais la façon dont Robin Campillo me dirigeait, ça me donnait vraiment envie d’être pris.
Après trois mois et demi d’essais, vous avez pourtant décidé de tout arrêter…
Je ne savais toujours pas si j’aurais le rôle, ça commençait à me faire souffrir, et au téléphone la directrice de casting m’a expliqué que le tournage pouvait durer jusqu’en juillet. Je lui ai dit : « J’arrête le casting, parce que je ne sais pas où ça mène ». Robin m’a donné rendez-vous dans un café le lendemain, et il m’a annoncé que je serai Nathan.
C’était difficile de redevenir comédien après six ans d’interruption, ou vous sentiez au contraire que vous aviez plus de recul et une plus grande maturité dans votre jeu d’acteur ?
C’était beaucoup plus facile parce que ce n’était plus du tout cérébral, je ne me disais pas (il prend un grande inspiration) : « C’est ma vie, c’est mon métier, il faut absolument que je sois performant ». J’étais juste là pour vivre l’aventure. Toutes les techniques que j’avais apprises au cours Florent étaient très visibles dans ma première partie de carrière, j’avais très envie de montrer que je parlais bien. Mais c’était il y a longtemps, et lors du tournage de 120 battements par minute je ne ressentais plus le besoin d’en faire la démonstration. J’ai pris beaucoup plus de plaisir qu’à l’époque où j’étais vraiment acteur, j’étais moins stressé.
Quels sont les comédiens que vous admirez le plus ?
J’aime beaucoup l’animalité de Vincent Cassel, son côté très instinctif, très sauvage, entre dompté et domptant. C’est quelque chose qui m’a toujours fasciné. Adèle Haenel (qui joue une militante dans 120 BMP, ndlr) est dans cette même veine elle aussi.
Photo : Arnaud Valois sur le tournage de 120 battements par minute, par Céline Nieszawer
Comment avez-vous construit le personnage de Nathan ?
Il y avait tout d’abord une construction physique. J’étais assez costaud quand j’ai commencé le casting et j’ai dû perdre du muscle. Le but était de ne pas avoir un séronégatif très en forme alors que le séropo (Sean, incarné par Nahuel Pérez Biscayart, ndlr) perd énormément de poids d’un coup.
Pour ne pas tomber dans les clichés ?
Exactement. Et intellectuellement j’ai très peu réfléchi au personnage, pour deux raisons. Nathan se remplit au fur et à mesure du film avec ce qu’il vit, ses rencontres, sa relation avec Sean, et son insertion grandissante dans le groupe. On tournait dans l’ordre chronologique donc je me suis laissé porter assez facilement. Et la deuxième raison, c’est que j’ai une confiance absolue en Robin : il racontait une partie de son histoire avec ce film, donc je savais qu’il pourrait m’éclairer si j’avais des doutes. C’était génial de collaborer avec lui, il m’impressionnait. Après quinze jours de tournage, j’ai réalisé que je travaillais avec un maître.
Comment vous a-t-il dirigé ? Quels types d’indications donnait-t-il ?
Il savait précisément ce qu’il voulait mais n’arrivait pas toujours à le verbaliser, et on avançait ensemble. Pour la première prise il ne donnait aucune indication. On ne répétait pas, donc je proposais ce dont j’avais envie. Et après il affinait, et puis il pouvait changer d’avis et repartir dans un autre sens. On tournait beaucoup, on faisait 30, 40, 50, 60 prises parfois, en recommençant tout à zéro.
Nathan est le rôle le plus important que vous ayez joué. À travers lui, avez-vous pu jouir de la liberté d’expression qui vous avait manquée à vos débuts ?
Oui, complètement. J’avais l’impression de fermer une boucle avec ce personnage, qui m’a permis de me réconcilier avec l’époque de mes premiers rôles. J’avais tout enterré, je pensais ne jamais revenir au cinéma.
Dans le film, Sean est de plus en plus rongé par la maladie. Comment avez-vous vécu les derniers jours du tournage, à l’approche de sa mort ?
C’était difficile. La fiction et la réalité se sont subitement rejointes. Nahuel avait perdu beaucoup de poids, c’était très dur de le voir diminué. Et le travail de la maquilleuse était très réaliste : les cicatrices, les taches dues au Kaposi… Il y a une scène dans laquelle j’emmène Sean dans sa baignoire, et c’était très fort de le voir dans cet état.
Photo : Arnaud Valois et Nahuel Pérez Biscayart, par Céline Nieszawer
Le film se déroule dans les années 90. Avez-vous le sentiment qu’il entre en résonance avec les nouvelles luttes actuelles ?
De nombreux jeunes qui ont assisté aux avant-premières en province ont dressé un parallèle avec Nuit Debout. C’est un mouvement qui a repris plusieurs codes d’Act Up : ça par exemple (il claque des doigts, un geste qui remplace les applaudissements aux réunions d’Act Up, ndlr), ou le fait de ne pas interrompre la personne qui prend la parole. Mais la situation a changé depuis les années 90, parce qu’aujourd’hui il y a les réseaux sociaux. La force d’Act Up venait des réunions hebdomadaires, les RH, pendant lesquelles les membres se retrouvaient. Maintenant on peut créer des choses depuis son canapé, c’est beaucoup plus dilué.
« On m’a proposé de jouer un bad boy, un intello, un mec issu d’un milieu populaire… Des rôles très éclectiques. »
120 battements par minute a obtenu le Grand Prix du jury à Cannes, et la critique française l’a encensé. On vous a proposé beaucoup de rôles suite à ce succès ?
J’ai reçu deux ou trois scénarios entre la fin du tournage et Cannes, envoyés par des gens qui étaient assez « fans » de Robin et de son univers. Et depuis Cannes c’est beaucoup plus large. Je me demande lequel choisir pour mon second rôle – j’estime que c’est un nouveau départ, ce ne sera pas mon sixième ou septième film mais mon deuxième. Il faut que ce soit un coup de coeur : j’ai un autre métier de masseur et sophrologue qui me plaît énormément, donc je n’ai pas besoin de tourner pour vivre. Mais il y en aura un prochain, j’en suis à peu près sûr.
Quels types de rôles vous a-t-on proposés ?
Des rôles principaux, mais c’est très éclectique : un bad boy, un intello, un mec issu d’un milieu populaire… On m’a même envoyé un scénario de comédie.
Y en a-t-il un qui corresponde à ce que vous recherchez ?
Il y en a deux, mais les films doivent encore être financés. J’en tournerai peut-être un l’hiver prochain, mais rien n’est encore signé.
Vous avez un tatouage qui représente une sainte sur l’épaule droite, que signifie-t-il pour vous ?
C’est Thérèse de Lisieux, la sainte des petites actions. Elle n’a jamais fait de grands miracles, comme d’autres ont fait marcher des paralytiques, ou guéri des lépreux, mais elle a été béatifiée parce qu’elle se comportait bien tous les jours, en donnant une pomme à quelqu’un qui était dans la rue, ou son manteau à une personne qui avait froid. C’est une philosophie qui me plaît : essayer de toujours agir de manière positive, sans être grandiloquent.
Le film 120 battements par minute de Robin Campillo sort en salle ce mercredi 23 août 2017.